Pourquoi la jeune narratrice du premier roman de Vinca Van Eecke, Des kilomètres à la ronde, s’entiche-t-elle d’une bande de loubards de province, forts en gueule, toujours les premiers pour faire du bruit dans les rues et échapper mine de rien au système dans lequel ils sont sans le savoir déjà enfermés puisqu’ils sont du genre à travailler tôt ? Et pourquoi ça dure, pourquoi est-ce encore avec eux qu’elle brûle ses cours du lycée après avoir réussi le bac ? « Peut-être parce que les contraires se subjuguent », avance-elle avec précaution, et parmi d’autres « peut-être », dans un prologue qui donne le ton. Plus tard, l’explication se fait plus précise, bien qu’elle soit incapable de la transmettre à sa mère qui s’inquiète de ses fréquentations : « la grâce ».
Une intelligence du mouvement,
une connivence au monde, qui faisaient que, de tout temps, les gens comme moi,
voués à s’asseoir dans des amphithéâtres, avaient été subjugués par les gens
comme eux et cherchaient leurs mots pour décrire ce truc indéfinissable après
lequel on soupirait sans fin.
Ils s’appellent Phil, son frère Buddy le bègue, Mallow,
Jimmy, José, Reno et Chuck, pour la plupart – Jimmy est l’exception – ce sont
des surnoms qui tentent de dire ce qu’ils veulent être, dans la lignée d’une
mythologie nord-américaine. Prolongée, ça tombe bien, avec la découverte des
Doors et du destin brisé de Jim Morrison.
Mais la belle insouciance n’a qu’un temps, il faut bien un
jour redevenir sérieux – les accidents de la vie sont là pour rappeler que
celle-ci ne se déroule jamais selon le programme que l’on pensait suivre sans
fin. On a traversé la moitié du roman sur un rythme allègre, sans se poser de
questions (à peine la narratrice est-elle effleurée, parfois, de légers
doutes), et voilà que le poids d’un cercueil semble marquer un basculement
définitif vers autre chose. Est-ce que ça s’appelle grandir, la rencontre avec
le malheur ?
Frottés au même macadam depuis
des années, nos enthousiasmes ne produisaient plus que de vagues étincelles.
Roman de formation, Des
kilomètres à la ronde dit, et de belle manière, de la manière qui râpe
quand c’est nécessaire, l’indispensable rêve de l’adolescence tenu encore à
bout de bras pendant quelques années d’une vie d’adulte – et comment le rêve se
fracasse sur le réel, laissant des traces qui oscillent entre nostalgie et
cicatrices, à moins qu’il s’agisse de la nostalgie des blessures qui ont causé
ces cicatrices.
Par certains aspects, plus discrets mais présents malgré
tout, c’est aussi le roman des oubliés de la société française, dans une région
– en lisière du Morvan – qui laisse peu de possibilités de participer à la
compétition sociale à laquelle d’autres, ailleurs, se livrent avec tant
d’énergie. L’énergie est présente chez ces jeunes aussi, mais ils ne trouvent
pas, parce qu’on ne leur en donne pas l’occasion, de meilleure manière d’être
dépensée qu’en vaines activités dévoreuses de temps. On brûle, mais on brûle en
vain.
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