Avec Virginie Despentes pour marraine – ou l’équivalent : préfacière –, Fatima Daas arrive avec un premier roman fort d’un atout majeur. Et argumenté : « Le monologue de Fatima Daas se construit par fragments, comme si elle updatait Barthes et Mauriac pour Clichy-sous-Bois », écrit Virginie Despentes à propos de La petite dernière. On ne lui donnera pas tort, car son livre permet la rencontre d’une voix prégnante qui s’avance avec précaution mais insistance, jusqu’à s’imposer par le jeu des répétitions et des déplacements.
« Je m’appelle
Fatima. » « Je m’appelle Fatima Daas. » Les fragments commencent
presque tous ainsi, affirmation d’une identité (celle de la romancière ou de
son personnage ? on ne cherchera pas à démêler les faits et la fiction)
revendiquée ou nécessité de le dire et le redire en raison d’une incertitude
qu’elle cherche à lever, sachant qu’elle a peu de chances d’y parvenir. Plus le
texte se déroule par à-coups, plus on penche pour la deuxième explication, tant
Fatima ressent un malaise qui nous gagne.
« Je porte le nom
d’un personnage symbolique en islam. Je porte un nom auquel il faut rendre
honneur. » Et tout le livre dit combien elle se sent destinée à
transgresser ce qu’elle devrait être. Dans un groupe d’amis, elle est la seule
fille – « mais je ne le sais pas
encore », ajoute-t-elle. Car elle se cherche une identité sexuelle
qu’elle découvre peu compatible avec les préceptes de sa religion. Elle
consulte un imam, au prétexte de lui poser des questions sur le cas d’une amie.
J’ai une amie lesbienne
musulmane. Tout le monde pense que ça n’existe pas. Je veux dire être musulman
et homosexuel. On lui dit que l’homosexualité est un phénomène social, une
notion occidentale pas adaptée à des personnes musulmanes. Je voulais avoir
votre avis, comment la conseiller, comment faire pour qu’elle ne se sente pas
excommuniée.
Sans surprise, les réponses ne la satisfont pas. Elle n’est
pas, elle ne sera décidément pas une bonne musulmane. En outre, Nina, dont elle
est amoureuse, la tient à distance, lui laisse entendre que jamais elle ne sera
pour elle ce que Fatima voudrait qu’elle soit. Et, comme les causes de malaise
se nourrissent les uns des autres, plantant leurs racines vives dans un sol
fécond, ses voyages en Algérie, le pays de ses parents, où ses deux sœurs sont
nées, agrandissent le fossé qui la séparent de ce qu’elle devrait être.
J’ai l’impression de laisser une partie de moi en Algérie, mais je me dis à chaque fois que je n’y retournerai pas.
Mais cette phrase est écrite dans un carnet, car la porte de sortie se trouve peut-être dans l’écriture, dans le roman – qu’elle racontera, ou pas, à sa mère, qu’elle nous raconte en tout cas, avec le bouillonnement intérieur qui conduit, dans l’urgence, dans la nécessité, à ce livre.
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