Le premier roman de Laurent Petitmangin, Ce qu’il faut de nuit, arrive précédé d’une agréable rumeur : les éditeurs étrangers se l’arrachent, c’est la divine surprise. Du genre qu’avaient provoqué Gaël Faye en 2016 ou Adeline Dieudonné deux ans plus tard ? Allez savoir… Ma boule de cristal ne me dit rien à ce sujet, mais je l’ai lu et je n’en pense que du bien. Le Prix Stanislas, attribué hier, lui sera en tout cas remis le 12 septembre à Nancy.
Fus, qui s’appelle Frédéric mais qui a été rebaptisé ainsi à
cause du Fußball, y joue, au foot, le
dimanche. Y va, aussi, voir Metz, dont il est fan avec son père, quand l’équipe
joue à domicile. Fus est le moteur du récit, ce qu’il est et ce qu’il deviendra
en forment la colonne vertébrale. Son petit frère Gillou a un début de vie plus
lisse, tourné vers l’excellence. Leur mère est morte d’un cancer, c’est leur
père, qui travaille à la SNCF et à travers les yeux duquel nous allons suivre
toute cette histoire, qui s’occupe d’eux. Comme il peut, pas trop mal, en fait.
Même s’il sera amené à se poser bien des questions à ce sujet.
Il a tracté, il a collé, parcours de militant socialiste en
héritage familial qui n’empêche pas la sincérité. Il en est pourtant revenu,
sans pour autant avoir changé d’idées, et se contente de retrouver de temps en
temps ses potes à la section, autour d’un gâteau. Seul le jeune Jérémy a remis
un peu de carburant pour que la flamme ne s’éteigne pas, lui qui cherche à
tracer sa voie vers la politique, y faire carrière, peut-être, suivi par
Guillou qui lui emboîte le pas.
Quant à Fus, il a vaguement décroché, pris une voie de
garage avant d’emprunter des chemins de traverse plus hasardeux. Il s’éloigne,
il se fait des potes, passe du temps avec eux, revient un jour avec un bandana
marqué d’une croix celtique.
« Fus, c’est quoi cette
croix ? – Pa, j’en sais rien, c’est juste un bandana prêté par un pote. –
Fus, si tu ne le sais pas, je vais te le dire, c’est une croix celtique !
Une croix celtique ! Bon Dieu, Fus, tu portes des trucs de facho
maintenant ? – Pa, calme-toi, c’est un bandana d’ultra, pas de facho. Ça
vient de la Lazio, de leur virage nord. C’est leur truc de reconnaissance.
C’est Bastien qui les collectionne. »
À l’exact opposé de son socialiste de père, Fus fraie avec
le FN, trouve que ces types ne sont pas si mal, une gêne s’installe même avec
Jérémy, son ami de toujours. La dérive est active : Fus aussi colle des
affiches, comme avait fait son père, mais pour le camp d’en face, les ennemis,
les racistes.
Quoi qu’on fasse, quoi qu’on
veuille, c’était fait : mon fils avait fricoté avec des fachos.
L’idée n’est pas facile à accepter, la suite le sera encore
beaucoup moins, quand les débats d’idées, fussent-elles simplistes, se
transforment en haine, en baston, en coups qui font vraiment mal – et que germe
l’idée d’une vengeance.
Dit comme ça, le roman peut paraître binaire. Mais, entre le
blanc et le noir (le bien et le mal ?), s’installe une zone de gris, faite
de silences, de progressive acceptation, de concessions mutuelles. Jusqu’au
moment, du moins, où il sera trop tard pour revenir en arrière, sans qu’il soit
possible de comprendre à quel moment les choses se sont articulées jusqu’à cela
– que je ne vous dirai pas, et qui fait un choc quand on l’apprend abruptement
avant d’en découvrir les détails.
J’avais finalement compris que la
vie de Fus avait basculé sur un rien. Que toutes nos vies, malgré leur
incroyable linéarité de façade, n’étaient qu’accidents, hasards, croisements et
rendez-vous manqués. Nos vies étaient remplies de cette foultitude de riens,
qui selon leur agencement nous feraient rois du monde ou taulards.
Dans un monde qui se défait, les liens familiaux ont perdu
une grande partie de leur signification et ne suffisent en tout cas pas à
rattraper celui qui va tomber. Peut-être le phénomène n’est-il pas nouveau. Il
est, quoi qu’il en soit, décrit ici avec une efficacité que l’écriture hachée
de Laurent Petitmangin renforce, avec une forte influence de l’oralité.
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