À chacun ses pudeurs. Donate, qui appartient à « la catégorie des gens perpétuellement offensés », place la sienne dans son tiroir à légumes. Après tout, pourquoi pas ? Sa colocataire de dix-neuf ans, trois de moins que Donate, a envie de rire, mais c’est peut-être nerveux. Car le coup des courgettes déplacées (pour faire de la place à des brocolis) n’est pas le premier indice que donne cette fille de son caractère. « Donate était chiante au dernier degré ». Diagnostic sans appel, à la cinquième page du nouveau roman d’Amélie Nothomb, Les aérostats.
Ce sera donc plus léger que l’air ? On va voir, en tout
cas Donate est lourdingue. Si son portrait, à petites touches, composé essentiellement
de dialogues, est en revanche plutôt drôle, je préfère ne pas avoir connu cette
emmerdeuse.
Mais, en face, à dix-neuf ans, étudiante, qui ? Amélie
Nothomb elle-même, dans ses années universitaires à Bruxelles ?
Oui, la lecture suscite d’emblée des questions. Pour être
honnête, celles-là ne sont posées que pour retarder la principale, qui précède
la lecture et à laquelle il ne sera apporté de réponse qu’après avoir tourné la
dernière page : alors, il est comment le Nothomb 2020 ? Pas
mal ? Tiré en longueur ? Génial ? Et sur quelle idée ?
On va voir ça…
La narratrice, en tout cas, ne s’appelle pas Amélie Nothomb
mais Ange (prénom épicène, fait-elle remarquer plus loin) Daulnoy, elle étudie
la philologie, des trams passent sur le boulevard, elle aime lire, ses
relations à l’université sont limitées, elle aime rentrer tard (sans faire de
bruit, ça réveillerait Donate), à pied, après être allée, seule, voir un film.
Les quelques éléments biographiques fournis au fil du récit l’éloignent de la
romancière, et tant mieux, il n’y aura pas à suivre un jeu de piste épuisant en
cherchant des indices.
Très vite, il est question de littérature. De littérature et
de vie, ce qui se joue entre l’une et l’autre, comment elles se superposent, se
contredisent, créent des échos parfois trompeurs.
L’étudiante a été engagée pour suivre un lycéen qui souffre
de dyslexie et dont les difficultés à lire désespèrent le père qui l’imagine
déjà échouant au bac. Pie, c’est son prénom, est une boule de problèmes, sa
dyslexie n’est pas le pire. Et Ange l’évacue en moins de temps qu’il n’en faut
pour le concevoir, quand elle lui impose la lecture du Rouge et le Noir. Un coup de baguette magique, une méthode peu
conventionnelle pour faire basculer l’adolescent dans le monde merveilleux de
la fiction écrite – merveilleux pour Ange, qui baigne dedans depuis qu’elle est
petite, beaucoup moins pour Pie qui doit, contre son gré, forcer ses
inclinations. Pie rêve d’aérostats, de zeppelins, et préfère les chiffres aux
lettres.
Un peu comme son père, d’ailleurs, bien que tout le reste
les oppose frontalement. Le père, qui paie grassement mais tient son petit
monde sous une surveillance pénible, est un cambiste prétentieux, qui prétend
faire confiance à Ange mais désapprouve à peu près tout ce qu’elle entreprend
pour faire évoluer Pie. Sa femme, qu’Ange rencontrera plus tard, est un
personnage insignifiant, le genre d’épouse dont il avait besoin, pense le fils
qui la méprise…
Les échanges entre Ange et Pie à propos des livres que
celle-là fait lire à celui-ci sont vifs et permettent à Amélie Nothomb de faire
passer l’essentiel dans les dialogues, encore une fois. Y compris ce qui doit
être son idée de la littérature.
Quand j'entends des lecteurs dire
« J'adhère à Madame Bovary », je soupire de désespoir.
Mais le temps est trop court, ou trop peu sensible, ce qui
revient au même à la lecture, pour ce qui s’y passe. Comment croire dans un
personnage de seize ans qui bascule aussi soudainement de l’impossibilité de
lire un livre à des remarques pertinentes sur les grandes œuvres ? Comment
croire aux glissements opérés dans les relations d’Ange avec Donate, Pie et un
professeur d’université ? La trame est séduisante, elle aurait gagné à
être mieux nourrie entre les fils trop visibles.
Pire : la fin ressemble à une entourloupe, comme si Amélie Nothomb n’arrivait pas à finir, ou à gagner, une partie d’échecs et balayait toutes les pièces d’un revers de la main. Je me sens grugé des développements qui auraient pu se glisser dans la succession des jours, orphelin des « crevés » (un mot à prendre au sens que lui donnent les couturiers et les couturières) si bien décrits mais absents du roman.
Dommage.
Cette note s'ajoute, comme un nouveau chapitre à un long feuilleton, dans la nouvelle édition de Amélie Nothomb, regard critique, publié l'an dernier par la Bibliothèque malgache dans sa collection littéraire.
La mise à jour est disponible en même temps que Les aérostats.
0,99 euros ou 3.000 ariary
ISBN 978-2-37363-082-4
Je partage ton avis sur la fin, ratée à mes yeux.
RépondreSupprimerMais tout ce qui la précède m'a beaucoup plu.
Tant mieux pour toi, chère Lucie.
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