lundi 30 avril 2012

Avant le deuxième tour, quelques livres

Comme l'écrivait l'autre jour Sylvain Bourmeau dans un style un peu ampoulé, «Nicolas Sarkozy a donné de la France sa vision.» François Hollande passant lui aussi son temps, dans les meetings et les émissions de radio ou de télévision, à de la France donner sa vision (allons-y, ce style semble dans l'air du temps, pourquoi serait-il réservé à Libération?), les données du choix semblent claires pour dimanche - au moins pour les Français qui votent. Oui, mais... Le discours politique est-il le seul à traduire l'état de la société? Et si on essayait les écrivains? Ils ont, en général, bien plus à nous en dire, chacun à sa manière, et par exemple ces trois-ci, parmi lesquels deux ne sont pas français - ce qui ne change rien au fait qu'on pourra lire leurs nouveaux romans cette semaine et qu'ils apportent un éclairage différent sur le monde.

En cette fin d’été 1913, le jeune comédien anglais Lysander Rief est à Vienne pour tenter de résoudre, grâce à cette nouvelle science des âmes qu’est la psychanalyse, un problème d’ordre intime. Dans le cabinet de son médecin, il croise une jeune femme hystérique d’une étrange beauté qui lui prouvera très vite qu’il est guéri, avant de l’entraîner dans une histoire invraisemblable dont il ne sortira qu’en fuyant le pays grâce à deux diplomates britanniques, et ce au prix d’un marché peu banal. Dès lors, Lysander, espion malgré lui, sera contraint de jouer sur le théâtre des opérations d’une Europe en guerre les grands rôles d’une série de tragi-comédies. Sa mission: découvrir un code secret, dont dépend la sécurité des Alliés, et le traître qui en est l’auteur. Sexe, scandale, mensonges ou vérités multiples aux frontières élastiques, chaque jour et chaque nuit apportent leur tombereau d’énigmes et de soupçons. L’aube finira-t-elle par se lever sur ce monde de l’ombre, et par dissiper enfin les doutes que sème avec une délectation sournoise chez le lecteur fasciné l’auteur de cet étonnant roman du clair-obscur?
William Boyd, né à Accra (Ghana) en 1952, a étudié à Glasgow, Nice et Oxford, où il a également enseigné la littérature. Il est l’auteur d’une dizaine de romans, de recueils de nouvelles, récits et essais. Il vit avec son épouse entre Londres et la Dordogne.

Isoline, la plus jolie fille d’Aigues-Mortes et Valentin, le plus vaillant de ses raseteurs (champions des courses de taureaux camarguaises), s’aiment depuis l’enfance.
Farouchement opposé à leur amour sans qu’on sache bien pourquoi, le père d’Isoline précipite sa fille dans un mariage arrangé.
Le lendemain des noces, l’inconsolable Valentin défie les taureaux lâchés dans l’arène et meurt sous les yeux de celle qu’il aime.
Des années plus tard, la vérité éclate : Valentin n’aura finalement été que le jouet d’un destin implacable…
Fatum antique, faiblesses humaines, amours contrariées…, un conte tragique et romantique avec, pour toile de fond, la cité médiévale d’Aigues-Mortes.
Maxence Fermine est l’auteur de plusieurs romans à succès, Neige, L’Apiculteur (Prix del Duca et Prix Murat en 2001), Opium, Amazone (Prix Europe 1 en 2004)…, traduits dans de nombreux pays, notamment l’Italie où il est un best-seller.
Il vit en Haute-Savoie.

Bristol, 1985.
L’université! Brian Jackson s’y voyait déjà: une vie d’étudiant sans contrainte, une sexualité débridée, des amis par centaines, un diplôme en or, qui serait suivi d’une entrée fracassante dans la vie active.
Oui, mais voilà, la réalité est loin d’être aussi idyllique. Une acné récalcitrante, des fringues informes chinées aux puces, une spécialisation dans la très moyenne et très populaire section de littérature anglaise, pas un sou en poche et une passion farouche pour Kate Bush. Un seul véritable talent: une culture générale qui ferait de lui le candidat idéal pour participer au «Questions pour un champion» local, le quiz télévisé «University Challenge».
Recruté dans l’équipe in extremis, Brian est bien décidé à remporter le trophée et le cœur de la belle et riche Alice, aspirante actrice. Pour l’aider dans sa mission, Rebecca, punkette grande gueule, juive marxiste, improvisée conseillère en relations sociales et sentimentales.
Enfin la chance semble lui sourire… Mais lorsque vous vous appelez Brian Jackson, la malchance finit toujours par se rappeler cruellement à vous.
Né en 1966, David Nicholls a d’abord envisagé une carrière d’acteur avant de se tourner vers l’écriture. Il a été scénariste pour la télévision, signant notamment pour la BBC les adaptations remarquées de Beaucoup de bruit pour rien et de Tess d’Urberville, et pour le cinéma avec l’adaptation de la pièce de Sam Shepard, Simpatico, mais également de deux de ses romans Pourquoi pas? et Un jour. Après le succès critique et commercial international d’Un jour (2011), Belfond publie son premier roman, Pourquoi pas? – adapté au cinéma en 2006 par Tom Vaughan, sous le titre Starter for Ten. David Nicholls vit à Londres avec son épouse et leurs deux enfants.

dimanche 29 avril 2012

Après la fête de la librairie indépendante, les lectures continuent

Hier, c'était donc la fête de la librairie indépendante. Bien. Et maintenant, on fait quoi? On arrête d'en parler pendant un an? J'ai toujours une réticence devant ces journées de ceci ou de cela, surtout quand leur sujet me touche. Car quelque part, du plus mauvais côté de mon plus mauvais esprit, germe l'idée que c'est aussi une manière de se débarrasser du problème, comme un pensum inévitable. Je préfère y penser 365 jours par an, et même 366 cette année. Au lendemain de cette journée, donc, je reviens sur quelques-unes de mes lectures de la semaine, avant de poursuivre.

Il y a trois livres que j'ai beaucoup aimés, d'autres que j'ai appréciés. Le plus marquant, peut-être (mais ils sont à peu près à égalité), est celui de Luis Sepulveda (pour les textes) et de Daniel Mordzinski (pour les photographies), Dernières nouvelles du Sud. Plus que le récit d'un voyage en Amérique du Sud, c'est une prodigieuse récolte d'histoires glanées au fil du chemin, au fil des rencontres. Chaque personnage mériterait un roman à lui tout seul, tant la densité est grande dans des vies qui auraient pu être inventées - elles sont si belles, à leur manière pas toujours drôle.
Cet été-là, de William Trevor, a été une sorte de berceuse légère, la gratuité d'une histoire d'amour qui dure, on l'avait deviné grâce au titre, un été. L’Irlande des années 1950 n'est cependant pas un cadre propice à une liaison hors mariage, et la pauvre Ellie n'a pas tout compris de la liberté avec laquelle Florian s'est épris d'elle, comme pour mieux s'envoler ensuite. Du romantisme sans mièvrerie, ce n'est pas si fréquent, et tout est dans le ton juste, celui qui convient au roman.
Et puis, celui-là je l'attendais, le nouveau roman de Henning Mankell, L’œil du léopard, parce que l'écrivain me touche, qu'il soit ou non dans le registre du polar, et parce qu'il me touche encore davantage quand il parle de l'Afrique dont il connaît une bonne partie. A ma grande surprise, il s'agit d'un livre déjà assez ancien, qui a une vingtaine d'années - je ne savais pas qu'il restait des ouvrages à traduire. Ce Suédois (le personnage principal, pas l'auteur) qui débarque en Zambie a tout à apprendre d'un continent sur lequel il n'a que des idées vagues. Et beaucoup à faire pour trouver sa place dans un univers où les Blancs, les anciens colons, sont restés inchangés...
Dans les nouveautés parues en poche, le plaisir de retrouver Dominique Sylvain - un rendez-vous jamais manqué jusqu'à présent (je n'ai pas tout lu, ceci dit) - avec La nuit de Geronimo, belle enquête complexe qui touche, de biais, aux OGM et aux trafics de drogue. Et qui, surtout, démêle des histoires familiales dont certains auraient voulu qu'elles restent oubliées.
Avais-je lu quelque chose d'Eugène Dabit? Je n'en suis pas certain, au fond. L'île, un texte des années trente, a été une belle occasion de m'y plonger. Trois nouvelles pour décrire une société en proie à la crise qui la touche à cette époque, les cordonniers comme les pêcheurs...
Nancy Mitford, pareil, je ne connaissais que par ouï-dire. On n'en a jamais fini de découvrir des écrivains, celle-ci grâce à la réédition d'un roman qui se déroule aussi dans les années trente, dans un milieu britannique et aristocratique où l'on admire Hitler. C'est, en fait, une affaire de famille aussi, comme l'explique très bien la préface, et c'est un fameux Charivari.
Enfin, le deuxième roman de Daniel Glattauer, La septième vague, surfe (d'accord, c'est facile) sur le succès du premier, Quand souffle le vent du nord et prolonge les échanges de courriels entre Emmi et Léo. Comédie romantique de notre temps, peut-être...

vendredi 27 avril 2012

Antoine Bello joue avec les règles du roman policier

Les références à Agatha Christie sont partout, du début à la fin. Achille Dunot, détective, ne jure que par elle. Il connaît dans le détail les intrigues de tous ses romans, chaque personne qu’il rencontre lui fait penser à un personnage de l’un d’entre eux, il se voit bien en Hercule Poirot – et Henri Gisquet serait son inspecteur Japp. Achille réfléchit, déduit, conclut. Et sa réussite dans la résolution d’affaires criminelles est de 100 %. Quand Henri fait appel à lui pour l’aider à résoudre le mystère de la disparition d’Emilie Brunet et de son amant, Achille ne doute pas de réussir.
Sinon que, depuis une chute, Achille souffre d’amnésie antérograde : chaque nuit efface le souvenir du jour écoulé. Ennuyeux pour mener une enquête. Le détective contourne la difficulté en notant chaque soir les événements qu’il vient de vivre, et se relit le matin. Mais, les pages s’accumulant, et malgré le soin qu’il prend à biffer des paragraphes qu’il juge inutiles, la lecture dure de plus en plus longtemps et ce qu’il reste de la journée devient bien court pour poursuivre ses investigations.
Enquête sur la disparition d’Émilie Brunet, d’Antoine Bello, qui s’était montré maître dans l’art de la mystification (voir Les falsificateurs et Les éclaireurs, ses deux précédents livres), est donc une course contre le temps – et le temps joue contre Achille, comme joue contre lui l’intelligence supérieure du principal suspect, le mari d’Emilie. Il est aussi traversé avec subtilité par une réflexion sur le roman policier classique, genre aux vingt règles fixées par Van Dine, et auxquelles se réfère souvent le détective pour balayer plusieurs hypothèses. Par exemple, le personnel domestique, en vertu de la onzième règle, est écarté du cercle des suspects. Mais, bien sûr, ce cadre rigide a depuis longtemps volé en éclats et Antoine Bello finit ici d’en disperser les morceaux dans un livre ludique à souhait.

jeudi 26 avril 2012

Pas de fiction pour le prix Pulitzer cette année

Le prix Pulitzer, grande récompense américaine, ne s’intéresse pas qu’au journalisme. La fiction y a sa place depuis sa création en 1917. Le palmarès est de ceux qu’on regarde de près : Edith Wharton, Willa Cather, Sinclair Lewis, Margaret Mitchell, John Steinbeck, Robert Penn Warren, Ernest Hemingway, William Faulkner, William Styron, Saul Bellow, John Cheever, Toni Morrison, etc., ils sont presque tous là, les écrivains qui ont fait la littérature américaine du 20e siècle. Et même du 21: Michael Chabon, Richard Russo, Jeffrey Eugenides, Cormac McCarthy, Paul Harding (dont nous vous parlions il y a peu), parfois des confirmations, souvent des découvertes.
Cette année pourtant, comme c’était déjà arrivé plusieurs fois par le passé, le jury n’a pas réussi à s’accorder sur un livre et le palmarès restera vierge. Les trois finalistes, disent ceux qui connaissent leurs ouvrages, avaient pourtant belle allure. Claro, grand traducteur et directeur d’une collection où plusieurs lauréats ont déjà été publiés, s’énerve sur son blog. Une occasion manquée de promouvoir la littérature alors que ce prix est « vital et symbolique dans un contexte économique où les libraires indépendants ont presque tous disparu », écrit-il.
Les prix littéraires font souvent râler quand ils fonctionnent : trop de magouilles, trop de fausses valeurs, des lauréats inférieurs à ceux qui auraient dû être couronnés, liste non exhaustives des raisons de râler. Combien de fois s’est-on amusé à chercher, dans le palmarès du prix Goncourt, ceux qui l’ont eu et qui n’auraient pas dû, et ceux qui ne l’ont pas eu alors qu’ils auraient dû ? Le jeu est un peu vain, mais il fait toujours recette.
Mais, quand les prix littéraires ne fonctionnent pas, c’est bien pire encore !

mercredi 25 avril 2012

Un couple déchiré, des enfants pris au piège, Christine Angot, hélas!

Jusqu’après la moitié de son roman, Les petits, Christine Angot semble pour une fois avoir abandonné l’autofiction au profit d’une narration extérieure à ses personnages : Billy, le chanteur originaire de Martinique ; Hélène, sa femme ; et Chloé, sa maîtresse. A l’évidence, aucun des trois n’est l’écrivaine et le « je » n’intervient que dans les dialogues. Et tout à coup survient, hors de ces dialogues, une phrase troublante : « Après un concert à Montreuil, qui se termine plus tard que prévu, il m’emprunte mon téléphone »… C’est reparti, avec des nœuds de désir amoureux aussi complexes à défaire que dans ses livres précédents. Et avec, parce qu’il faut bien justifier le titre, une place importante accordée aux enfants, victimes des comportements et des emportements adultes. Victimes peut-être aussi, comme leur mère, du livre qui s’écrit pendant que Billy et Hélène, dont le prénom disparaît dans les dernières pages pour n’être plus que « elle », divorcent : « J’ai pensé que c’était de ma faute. Que c’était à cause du livre, que je l’avais tuée. Comme après la sortie de L’Inceste quand mon père est mort. »
Même s’il était vrai que les bons sentiments font de la mauvaise littérature, retourner la proposition ne suffirait pas à donner la recette d’un excellent livre. Christine Angot pratique un style d’une telle platitude qu’on en viendrait presque à l’admirer, par moments, pour la rigueur avec laquelle elle s’y tient. Mais il faudrait résister à l’irritation suscitée par une suite monotone et sans rythme de propositions juxtaposées comme au petit bonheur la chance. Il ne s’agit pas d’une écriture blanche, qui peut avoir son charme, mais plutôt d’une écriture transparente. Aucun goût, aucune saveur… La lassitude guette, d’autant que l’argument n’est pas assez convaincant pour emporter l’adhésion.
Bien sûr, tout ce qui vient d’être dit peut être inversé, pour peu qu’on soit sensible à la manière particulière que Christine Angot a faite sienne depuis longtemps. Après tout, si elle continue à avoir des lecteurs, c’est probablement que ceux-ci apprécient. Je ne veux pas croire seulement à des mauvaises raisons – le scandale toujours plus ou moins présent dans les livres ou autour d’eux, la part de provocation dans sa façon d’afficher la vie privée, y compris celle des autres…
On me rétorquera aussi qu’elle aborde de front des sujets de société qui méritent leur place dans des romans. Les enfants, dont j'ai déjà parlé, les déchirements du couple, rarement ignorés par la littérature, l’importance prise par une religion – ici, le bouddhisme – dans l’éloignement croissant entre un homme une femme, etc.
Mais donner naissance à une œuvre de création, c’est autre chose. Un objectif qui n’est pas atteint.

mardi 24 avril 2012

John Le Carré et l’argent sale des oligarques russes

Ce pourrait être un banal match de tennis entre deux vacanciers, sur l’île d’Antigua. Mais, en ouverture d’un roman de John Le Carré, il ne s’agira bien sûr pas seulement d’une détente entre deux adversaires de hasard que le moniteur local estime de valeur comparable. Estimation très approximative, d’ailleurs, puisque Peregrine Makepiece, appelons-le Perry comme ce sera le cas dans tout le livre, devra retenir ses coups pour ne pas écraser Dima, ou plutôt « l’homme qu’on appelle Dima », pour introduire immédiatement une précision fournie plus tard.
Plus tôt, plus tard : John Le Carré joue avec le temps du récit dont une partie est rapportée, a posteriori, lors d’un interrogatoire de Perry et Gail, sa compagne, par Luke et Yvonne. Dès leur retour d’Antigua, Perry a pris la décision de contacter les autorités pour transmettre un message de Dima. Il aurait préféré laisser Gail en dehors de tout cela mais, d’une part, elle a vécu à peu près les mêmes événements que lui pendant leurs vacances et, d’autre part, elle ne tient pas à être écartée de ce qui se passe. L’étrangeté de la situation leur est apparue le soir où Dima les a invités à une fête. L’ambiance était étrange, presque effrayante, Dima voulait se confier à Perry. Expliquer qu’il était le numéro un mondial du blanchiment d’argent, que son rôle de banquier s’exerçait surtout auprès de la mafia russe, qu’il était en danger de mort et qu’il souhaitait un asile en Grande-Bretagne contre les nombreux renseignements en sa possession. Impliquant des personnalités britanniques dans des trafics pas très nets…
L’histoire est un peu embrouillée aux yeux de Perry et Gail qui n’ont pas les moyens d’en comprendre tous les enjeux. Il est professeur de littérature, elle est avocate mais n’a jamais côtoyé la pègre internationale. Ils découvrent donc, en même temps que nous et au fur et à mesure que l’interrogatoire met les détails en lumière, dans quel piège ils sont tombés. Ainsi que les décisions difficiles à prendre désormais : Dima les a invités à la finale du tournoi de Roland-Garros pour préciser les détails du marché avec les services secrets britanniques. L’oligarque russe, lui, sait la partie dangereuse : il a face à lui un groupe d’hommes qui n’ont pas hésité à tuer déjà des membres de sa famille, et qui ne reculeront pas devant le meurtre d’un couple soudain trop proche de leurs affaires.
L’histoire serait aussi embrouillée aux yeux du lecteur si John Le Carré ne prenait soin de nous prendre par la main pour nous conduire dans ses recoins les plus obscurs. Parfois, il est vrai, avec un bandeau sur les yeux. L’écrivain cultive le goût du mystère depuis assez longtemps pour qu’on ait appris à goûter la manière à la fois délicate et brutale avec laquelle il fait naître et croître la fascination.
On l’a dit souvent, mais il n’est pas inutile de le répéter : l’auteur de La Taupe a réussi, et avec quel talent, à changer de terrain pour rester dans le présent. La guerre froide, cadre de ses premiers romans, est terminée pour lui aussi. Et, comme dans la vraie vie des agents secrets, il a trouvé des perspectives nouvelles. Avec les flux d’argent sale, il construit une fiction aussi passionnante que celles d’avant la chute du Mur de Berlin.
Ce n’est pas sa seule qualité. Ce n’est peut-être même pas la première. Avec constance (La constance du jardinier ?, un autre de ses romans), il fournit à ses personnages des rôles complets. Le cadre de l’espionnage déborde sur les aspects humains. Dans Un traître à notre goût, la fascination exercée par Dima sur Perry est pour celui-ci un élément moteur. Même si la fascination est trouble, peut-être suscitée davantage par l’impression d’avoir été élu que par le sentiment de pouvoir rendre service à son pays. Plus intense encore est la relation nouée entre Gail et les filles de la famille russe, deux orphelines dont les parents viennent de mourir dans un accident de voiture – un accident à coups de kalachnikov – et une adolescente sublime dont les problèmes deviennent presque ceux de Gail.
Un traître à notre goût n’est pas un grand roman d’espionnage. C’est un grand roman, tout court.