A peine refermés les trois premiers volumes des Romans durs que l'on se souvient de Simenon en homme pressé, et que les trois suivants sont déjà arrivés. Je poursuis donc avec, aujourd'hui, le tome 4.
Monsieur La Souris
La Souris est un clochard
qui porte encore beau et qui est comme chez lui au poste de police de l’Opéra.
Il vient souvent y faire son numéro et amuser la galerie. Sauf l’inspecteur
Lognon, surnommé Malgracieux. Cette fois-ci, Lognon flaire en outre quelque
chose de bizarre: La Souris a trouvé une enveloppe pleine de dollars et
il est venu la déposer en bon citoyen, avec l’espoir de la récupérer dans un an
et un jour. Bon citoyen, ou presque. Il a prélevé quelques billets dans les
liasses pour que leur éventuel propriétaire soit incapable d’en donner le
compte exact s’il se présente. Et l’origine de l’enveloppe est moins avouable
qu’il ne l’a raconté… En 1938, Monsieur La Souris était l’un des treize
Simenon publiés par Simenon par Gallimard. De cette période de production
intense, tout n’a pas survécu de la même manière. Celui-ci avait été un peu laissé de côté, malgré une incarnation du personnage
principal par Raimu dans un film de 1942.
La découverte mérite
pourtant d’être faite. On croit voir l’ombre de Maigret à chaque coin d’une rue
parisienne, bien qu’il soit absent du livre. La relation entre La Souris et
Lognon, si différents qu’ils soient, évolue pourtant vers une surprenante
estime réciproque, à la lisière d’une impossible amitié. Le clochard vaut mieux
que le personnage dont il s’est construit la silhouette banale en s’appliquant
à ne pas faire de vagues. Il possède un passé solide, que les femmes ont
contribué à détruire. Et il fait encore de beaux rêves…
Quant à l’enquête
policière qui structure le récit, elle navigue entre la haute finance et les
milieux interlopes chers à l’auteur, avec un détour par la philatélie qui
ravira les passionnés. Monsieur La Souris prouve, une fois encore,
combien les œuvres de Simenon considérées comme mineures possèdent au moins
quelques-unes des qualités de son vaste ensemble romanesque.
Malempin
Au début du roman, le
docteur Malempin devrait être tout guilleret. Mais une sourde crainte le ronge.
C'est son dernier jour de travail avant les vacances, qu'il passera, hors
saison, dans le Midi - pour la première fois, comme une échappée hors de ses
habitudes... En outre, il rentre chez lui avec une nouvelle voiture.
La journée passe vite,
comme dans un souvenir d'enfance où sa course s'était accélérée jusqu'à
s'arrêter brusquement à un mètre d'un tramway: «Est-ce que, ce jour-là, je
courais plus vite parce que j'avais une intuition, parce que je sentais la
catastrophe?»
Il retrouve la même hâte
qu'autrefois, sans raison apparente, et comprend la signification de cette nouvelle
intuition quand il entre dans l'appartement: Bilot, un de ses deux fils,
est malade, et c'est grave. Envolées, les vacances! Il ne reste plus qu'à
tenter de maintenir l'enfant en vie, même si le pronostic est inquiétant.
Mais ce combat-là n'est,
dans Malempin, qu'un prétexte, l'événement qui fait basculer une
existence pour en découvrir des pans inédits.
Son fils fiévreux le
regarde et Malempin se demande quelle image il gardera de lui plus tard: Est-ce que mon père était bien comme ça ?
Lui-même n'a jamais voulu
savoir qui était vraiment son père et, tout à coup, là, au chevet du fils, il
en éprouve de la honte. En quelques lignes, Georges Simenon met en place
l'énigme familiale: l'oncle Tesson qui a disparu, la tante qui est une
chipie, le père enterré... Alors, au cours des longues heures près de Bilot,
tout le passé revient comme un flot amer, avec enfin la volonté de comprendre
ce qui est arrivé, et pourquoi.
Le mécanisme de ce roman
paru en 1940 fait penser au Modiano d'aujourd'hui, avec ses jeux de mémoire qui
superposent deux époques, renvoyant inlassablement de l'une à l'autre. C'est
pourtant bien du Simenon. Et un Simenon attaché à dépouiller une histoire
familiale de ses traditions en forme de faux-semblants, pour en extraire la vérité.
Bien sûr, Malempin reconstitue cette histoire
longtemps après, il lui en manque quelques éléments. Mais il en retrouve assez,
dans des souvenirs qu'il croyait avoir perdus, pour reconstituer un puzzle qui
lui parle de lui-même. Et l'oblige à se regarder en face: époux et père
de famille tout à coup décidé, dans un dernier chapitre plein de points de
suspension, à ne pas reproduire le gâchis de la génération précédente.
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