mardi 17 avril 2012

Les romans durs de Simenon, 1938-1941

A peine refermés les trois premiers volumes des Romans durs que l'on se souvient de Simenon en homme pressé, et que les trois suivants sont déjà arrivés. Je poursuis donc avec, aujourd'hui, le tome 4.

Monsieur La Souris
La Souris est un clochard qui porte encore beau et qui est comme chez lui au poste de police de l’Opéra. Il vient souvent y faire son numéro et amuser la galerie. Sauf l’inspecteur Lognon, surnommé Malgracieux. Cette fois-ci, Lognon flaire en outre quelque chose de bizarre: La Souris a trouvé une enveloppe pleine de dollars et il est venu la déposer en bon citoyen, avec l’espoir de la récupérer dans un an et un jour. Bon citoyen, ou presque. Il a prélevé quelques billets dans les liasses pour que leur éventuel propriétaire soit incapable d’en donner le compte exact s’il se présente. Et l’origine de l’enveloppe est moins avouable qu’il ne l’a raconté… En 1938, Monsieur La Souris était l’un des treize Simenon publiés par Simenon par Gallimard. De cette période de production intense, tout n’a pas survécu de la même manière. Celui-ci avait été un peu laissé de côté, malgré une incarnation du personnage principal par Raimu dans un film de 1942.
La découverte mérite pourtant d’être faite. On croit voir l’ombre de Maigret à chaque coin d’une rue parisienne, bien qu’il soit absent du livre. La relation entre La Souris et Lognon, si différents qu’ils soient, évolue pourtant vers une surprenante estime réciproque, à la lisière d’une impossible amitié. Le clochard vaut mieux que le personnage dont il s’est construit la silhouette banale en s’appliquant à ne pas faire de vagues. Il possède un passé solide, que les femmes ont contribué à détruire. Et il fait encore de beaux rêves…
Quant à l’enquête policière qui structure le récit, elle navigue entre la haute finance et les milieux interlopes chers à l’auteur, avec un détour par la philatélie qui ravira les passionnés. Monsieur La Souris prouve, une fois encore, combien les œuvres de Simenon considérées comme mineures possèdent au moins quelques-unes des qualités de son vaste ensemble romanesque.

Malempin
Au début du roman, le docteur Malempin devrait être tout guilleret. Mais une sourde crainte le ronge. C'est son dernier jour de travail avant les vacances, qu'il passera, hors saison, dans le Midi - pour la première fois, comme une échappée hors de ses habitudes... En outre, il rentre chez lui avec une nouvelle voiture.
La journée passe vite, comme dans un souvenir d'enfance où sa course s'était accélérée jusqu'à s'arrêter brusquement à un mètre d'un tramway: «Est-ce que, ce jour-là, je courais plus vite parce que j'avais une intuition, parce que je sentais la catastrophe?»
Il retrouve la même hâte qu'autrefois, sans raison apparente, et comprend la signification de cette nouvelle intuition quand il entre dans l'appartement: Bilot, un de ses deux fils, est malade, et c'est grave. Envolées, les vacances! Il ne reste plus qu'à tenter de maintenir l'enfant en vie, même si le pronostic est inquiétant.
Mais ce combat-là n'est, dans Malempin, qu'un prétexte, l'événement qui fait basculer une existence pour en découvrir des pans inédits.
Son fils fiévreux le regarde et Malempin se demande quelle image il gardera de lui plus tard: Est-ce que mon père était bien comme ça ?
Lui-même n'a jamais voulu savoir qui était vraiment son père et, tout à coup, là, au chevet du fils, il en éprouve de la honte. En quelques lignes, Georges Simenon met en place l'énigme familiale: l'oncle Tesson qui a disparu, la tante qui est une chipie, le père enterré... Alors, au cours des longues heures près de Bilot, tout le passé revient comme un flot amer, avec enfin la volonté de comprendre ce qui est arrivé, et pourquoi.
Le mécanisme de ce roman paru en 1940 fait penser au Modiano d'aujourd'hui, avec ses jeux de mémoire qui superposent deux époques, renvoyant inlassablement de l'une à l'autre. C'est pourtant bien du Simenon. Et un Simenon attaché à dépouiller une histoire familiale de ses traditions en forme de faux-semblants, pour en extraire la vérité.
Bien sûr, Malempin reconstitue cette histoire longtemps après, il lui en manque quelques éléments. Mais il en retrouve assez, dans des souvenirs qu'il croyait avoir perdus, pour reconstituer un puzzle qui lui parle de lui-même. Et l'oblige à se regarder en face: époux et père de famille tout à coup décidé, dans un dernier chapitre plein de points de suspension, à ne pas reproduire le gâchis de la génération précédente.

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