Je me donne trois jours, non pour lire intégralement les premiers volumes d'une série de douze où seront rassemblés les romans durs de Georges Simenon, mais pour y lire quelques titres et donner, peut-être, envie de revenir à l'autre face du créateur de Maigret. Aujourd'hui, le tome 1 à travers deux romans.
Le haut mal
Lorsque les femmes des romans de Simenon imposent leur pouvoir, celui-ci
est souvent despotique. Dans Le haut mal, il va jusqu'à décider de
la vie et de la mort. Telle est Mme Pontreau: «On sentait qu'elle
commandait, ici, chez sa fille et son gendre comme partout où elle
allait. Elle n'élevait pas la voix. Elle ne faisait pas de bruit. Mais,
froidement, elle prenait la direction d'une maison comme un officier
prend la tête d'une compagnie.»
Jean, son gendre, dans la ferme duquel elle est venue régenter la
maisonnée pour la moisson, est atteint du «haut mal»: plusieurs fois,
il est tombé dans une crise d'épilepsie, et il n'est plus possible de
cacher cette tare qui fait de lui, pour Mme Pontreau, un bon à rien.
La mort d'une vache sonne comme le prélude à un événement plus grave.
Quelques pages plus loin, en effet, trouvant son pitoyable gendre
évanoui dans le grenier à grains, sans avoir besoin de donner une
justification à son geste, avec un naturel confondant, elle le
défenestre et le tue.
Personne n'a rien vu, c'est le crime parfait puisque le malade a très
bien pu tomber tout seul. Mme Pontreau n'est pas plus émue que si elle
avait dépiauté un lapin. Et seule une femme de ménage que tout le monde
prend pour une folle tient des discours délirants sur l'argent qu'elle
pourrait obtenir. Un jour, elle parlera à un homme de passage, qui
s'accusera d'avoir assassiné Jean en compagnie de Mme Pontreau. Une
information est ouverte, la dignité de la maison vacille et la plus
jeune des trois filles s'enfuit avec son amoureux.
Paradoxalement, la grande force de ce livre est de n'offrir aucune
explication à l'acte fatal. Il n'est d'ailleurs, pour le romancier, que
le point de départ de tout le reste: comment les trois filles, dans
l'ignorance de ce qu'a fait leur mère, continuent à vivre sous la coupe
de celle-ci jusqu'au moment où une accusation est portée contre elle,
provoquant des ratés dans les engrenages bien huilés.
Il n'y aura pas non plus de sanction à ce qu'il faut bien appeler un
meurtre. A défaut de preuve, et grâce à un arrangement de la veuve avec
la femme de ménage, la maison retrouvera un semblant de normalité. Bien
entendu, les failles sont toujours là, souterraines. Mais seule la plus
jeune des filles, qui s'est mariée et a deux enfants, semble capable de
les apercevoir, lors d'un passage discret sur les lieux de son
enfance...
Le locataire
Elie Nagéar aime trop l'argent facile. A Bruxelles, la vente de tapis dans laquelle il aurait dû être intermédiaire semble coincer et les deux cent mille francs promis s'éloignent. Alors, il prend le train de nuit pour Paris avec un riche Hollandais, le tue entre Saint-Quentin et Compiègne, lui prend son argent puis revient tranquillement à Bruxelles. Il y retrouve sa compagne d'aventures, Sylvie, entraîneuse dans une boîte de nuit, au moment où le récit du meurtre est déjà dans le journal, heureusement pour lui très incomplet.
La menace d'une enquête qui conduirait les policiers jusqu'à l'assassin est néanmoins bien réelle et Sylvie décide de l'envoyer à Charleroi, chez sa mère qui loue des chambres garnies. Elie découvre une maison menée d'une main ferme par madame Baron, dont l'époux, conducteur de trains, a des horaires chaotiques... De jeunes hommes de nationalités diverses y vivent, étudiants pour la plupart - vient inévitablement à l'esprit l'époque où le jeune Simenon côtoyait, chez lui, les étudiants russes auxquels sa mère louait des chambres et qui lui firent découvrir leur littérature nationale.
Antoinette, la jeune sœur de Sylvie, qui vit toujours chez ses parents, sera la première à comprendre que la situation est beaucoup plus compliquée qu'elle n'en a l'air. Sa mère est tombée sous le charme du voyou et son père apprécie plutôt ce locataire. Les autres, plus ou moins consentants, acceptent de taire leurs soupçons, puis leurs certitudes.
L'essentiel du roman réside dans l'attitude des membres de cette maison et dans celle d'Elie, tenté de commettre un autre meurtre en Belgique pour être jugé dans un pays qui n'applique pas la peine de mort. Quant à madame Baron, elle est le personnage le plus saisissant, pathétique jusqu'à son étonnante présence dans la dernière scène...
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