Il y a les livres que tout le monde lit en même temps. Enfin, quand je dis "tout le monde", je me comprends: je fais allusion aux livres sur lesquels les journaux publient des articles en même temps. Comme le Journal de Thoreau, dont il était question hier (c'était plutôt son traducteur qui en parlait, d'ailleurs - et, pour le reste, l'article est ici). Ou le nouveau roman de Jean-Christophe Rufin, Le grand Cœur, devant lequel je n'éprouve qu'un enthousiasme modéré. Je m'en suis expliqué dans Le Soir. Des aspects formidables, d'autres moins, dans ces cinq cents pages...
Dans la même catégorie, du point de vue de l'empressement avec lequel la presse s'empare de certains sujets, Le studio de l'inutilité, de Simon Leys, est aussi un sujet d'actualité. Et si ce livre pouvait toucher autant de lecteurs que celui de Rufin, cela me réjouirait. Superbement écrit, d'une belle pertinence qui fournit des armes à ceux qui récusent le culte de la rentabilité, il est aussi, malgré son titre, d'une grande utilité. Par ailleurs, bien que constitué d'articles et de conférences, il démontre à quel point Simon Leys se trouve sur une trajectoire toujours cohérente. Bref, cette lecture a été un grand moment de ma semaine. D'autant qu'elle se conclut par une sorte de bon usage de l'Université dans lequel je me retrouve complètement. (Bien qu'ayant peu fréquenté les salles de cours.)
Autre grand moment pour moi, la découverte de Patrick Lapeyre avec La vie est brève et le désir sans fin, réédité en poche. En fait, j'avais déjà lu et aimé, il y a quelques années, L'homme-sœur, aussi à l'occasion d'une réédition. Mais, cette fois-ci, c'est un véritable choc, grâce à la magie d'une écriture qui m'a littéralement transporté hors de moi, dans un monde purement littéraire qui m'a semblé avoir été inventé pour moi seul, tant je me suis senti bien dans ces pages. Des jaillissements d'images, des bribes de pensée, des élans contrariés, et tout cela par le biais de la langue. Les mots ne sont donc pas si usés qu'on le dit ni que semblent le croire des écrivains moins attachés à créer leur propre langage. Voici un roman indispensable, je pèse mes mots, avec lequel on a envie de suivre "trois ou quatre fillettes à vélo qui filent à grands coups de pédales vers la puberté."
Toutes les lectures ne provoquent pas de tels séismes - y résisterait-on, d'ailleurs? J'ai quand même été bouleversé par la noirceur de Féroces, où Robert Goolrick met ses blessures à nu. L'expérience est redoutable.
Moins redoutable, mais beaucoup plus agréable que je ne m'y attendais, Les témoins de la mariée, de Didier van Cauwelaert, est un roman habile, et même un peu mieux que cela. L'humour est fin, les situations inattendues, c'est un bon moment de distraction.
Un peu comme, dans un registre plus inventif, sur le ton d'un conte pour adultes, Métamorphose en bord de ciel, de Mathias Malzieu - accompagné de sa bande son que j'écoutais presque en même temps, Bird'N'Roll, de Dionysos.
Je n'ai pas été très impressionné, en revanche, par En attendant Robert Capa, de Susana Fortes, peut-être parce que j'ai eu un peu de mal à y entrer (pas le bon moment? allez savoir). Il y a de belles choses sur la photographie, la guerre d'Espagne et sur la vie, pourtant, dans ce livre. Mais, bon...
Je termine cette revue rapide de mes lectures de la semaine avec deux excellents romans aux qualités très différentes. Les fantômes du Delta, d'Aurélien Molas, est une grande fresque dans laquelle le delta du Niger est le cadre d'une chasse sans merci à la découverte médicale. Et La dernière nuit de l'émir, d'Abdelkader Djemaï, retrace la vie d'Abd el-Kader qui mena la vie dure aux Français jusqu'en 1847, en une évocation passionnante et sensible.
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