samedi 31 décembre 2011

L'actualité littéraire (55) - 2011, on boucle!

Ça sent 2012, vous ne trouvez pas?
Marianne, cette semaine, consacre douze pages (plus une: l'éditorial de Jacques Julliard) à L'ordre libertaire, l'essai que Michel Onfray publie la semaine prochaine, tout entier consacré à La vie philosophique d'Albert Camus (c'est le sous-titre).
Il ne s'agit évidemment que d'un début: comme tous les livres de Michel Onfray, celui-ci devrait faire abondamment parler de lui, et peut-être même se vendre très bien. Preuve, peut-être, que Camus reste un sujet "porteur", comme on dit, bien que son nom sur la couverture apparaisse dans une typographie moins voyante que celui de l'auteur. Encore plus "porteur" que son sujet, faut-il croire...

Avant de fermer la page de 2011, je tiens à préciser que les bons livres n'ont pas d'âge. La preuve? J'ouvre un livre de 1957 - pas n'importe lequel, il est vrai: Mythologies, de Roland Barthes, que j'ai dû lire trois ou quatre fois et sur lequel je retombe, un peu par hasard mais non sans plaisir.
Un extrait, tout au début, le premier paragraphe de Le monde où l'on catche, pour partager ce plaisir:
La vertu du catch, c'est d'être un spectacle excessif. On trouve là une emphase qui devait être celle des théâtres antiques. D'ailleurs le catch est un spectacle de plein air, car ce qui fait l'essentiel du cirque ou de l'arène, ce n'est pas le ciel (valeur romantique réservée aux fêtes mondaines), c'est le caractère dru et vertical de la nappe lumineuse: du fond même des salles parisiennes les plus encrassées, le catch participe à la nature des grands spectacles solaires, théâtre grec et courses de taureaux: ici et là, une lumière sans ombre élabore une émotion sans repli.
Je me console ainsi, avec ce bout de texte paru il y a un peu plus d'un demi-siècle, de ne pas vous avoir tenu quelques propos définitifs sur un roman auquel je tiens pourtant beaucoup, Le cas Sneijder. Jean-Paul Dubois, avec l'humour très fin qui le caractérise, y raconte une superbe histoire d'ascenseur vers le bas. Paul Sneijder, après avoir fait une véritable chute dans un ascenseur aussi authentique que mal entretenu, est entraîné dans une déchéance sociale dont le récit est jubilatoire.
Le temps me manque, malheureusement, pour en dire davantage. Oui, 2012 m'appelle, j'y suis déjà, et en même temps, dans un étrange écho, en 1912, comme vous le comprendrez très vite.

Soyez sages, des milliers de pages vous attendent et il ne faudrait pas, demain, avoir l’œil éteint au point de commencer l'année sans lire...

dimanche 25 décembre 2011

Littérature sur toile : 3. ONLiT

ONLiT, c'est encore tout à fait autre chose. Ils sont deux à animer le site, je suis allé vers Benoit Dupont pour qu'il m'explique comment ça fonctionne - et vers quoi cela se dirige, car les projets, en voie de concrétisation, sont très précis.

- Peut-on considérer ONLiT comme un blog littéraire collectif?

- Avant d'aborder ONLiT Books, une véritable maison d'édition numérique que nous lançons en 2012, abordons d'abord notre activité de revue en ligne que nous effectuons pour ONLiT depuis 2006. A propos de cette activité qui mêle littérature et internet, bien plutôt que de "blog", nous parlons plus volontiers de "revue littéraire en ligne" dans le sens où nous y publions des textes que nous proposent des auteurs. Tous les quinze jours sur notre site www.onlit.be paraît un nouveau texte court (maximum 8.000 signes), qui est accessible librement au lecteur. Depuis la naissance de notre structure d'édition, début 2006, nous fonctionnons comme un éditeur: nous recevons des propositions par email, nous effectuons ensemble un travail de sélection, ensuite nous les relisons, corrigeons et révisons  avec les auteurs si nécessaire et puis publions ces textes, enfin nous effectuons un travail de promotion par mailing et via les réseaux sociaux.
Un "blog collectif" pourrait faire penser que tous les auteurs sont administrateurs du site et que chaque auteur y publie ce qu'il écrit, dans un espace réservé. Ce qui n'est absolument pas le cas (voir question suivante pour fonctionnement). Si le côté "collectif" peut s'appliquer d'une certaine manière à notre projet, nous en parlerions plutôt en terme d'une curiosité voire partagée autour d'un nouveau mode de diffusion du texte, un mode qui passe par le numérique, qui se caractérise par ses aspects instantanés et interactifs. Une dimension intéressante de cette proximité entre l'auteur et le lecteur est la possibilité de laisser des commentaires. Cela fonctionne très bien et nous assistons régulièrement à des échanges entre lecteurs mais aussi entre les lecteurs et l'auteur. Ce "temps Internet" crée une complicité entre les auteurs, les lecteurs et nous-mêmes qui à certains égards créent un sentiment de collectif.
- Comment se fait le choix des textes publiés?

- Le comité de lecture de ONLiT Editions est donc composé de Pierre de Mûelenaere et moi-même. Depuis cinq ans, outre les textes que nous commandons à certains auteurs que nous apprécions particulièrement, nous lisons Pierre et moi chaque proposition de texte. Nous en recevons plusieurs centaines par an. C'est un travail passionnant qui a abouti à de nombreuses découvertes: auteurs connus ou en devenir, jeunes ou moins jeunes, belges, français, québécois... Nous publions donc ce que nous aimons, ce qui nous fait rire, ce qui nous touche... Le seul critère pour la revue en ligne est de ne pas dépasser les 8.000 signes. Ce format court est adapté au monde numérique, il correspond à notre objectif initial dont nous allons parler plus bas mais rend également ses lettres de noblesse à la nouvelle publiée dans le journal au 19e. Il y a chez nous une volonté d'aller de l'avant sans renier le passé. Enfin, pour la revue, il faut faire des choix car nous ne publions que 25 textes par an, à raison de un toutes les deux semaines. Le résultat est une ligne de fiction contemporaine, francophone et volontiers décalée. Nous aimons surprendre, et nous surprendre. La ligne peut sembler floue mais je pense que ceux qui nous suivent depuis longtemps aiment notre ligne et savent pourquoi. L'originalité et la liberté de ton sont nos maîtres-mots.
Pour ONLiT Books, l'édition de livre électronique pour tablettes et liseuses, qui arrive au mois de février, il n'y a pas de raison de changer de méthode.

- Quelle est la vocation initiale du site? Faire découvrir des auteurs? Se faire plaisir? Autre chose?

- La vocation initiale de notre projet était de mettre le texte au plus près du lecteur grâce aux nouvelles technologies. Pour ce faire, le format court s'est imposé à nous. L'idée était de créer quelque chose susceptible de s'insérer dans les "temps morts" de notre quotidien. Au-delà de l'intention première, il faut bien reconnaître que les liens parfois étroits que nous avons pu lier avec certains auteurs, voire lecteurs, sont devenus une véritable source de plaisir.
Dans l'avenir, notre activité de revue littéraire en ligne continuera à exister parallèlement à notre nouvelle activité d'édition de livres numériques : ONLiT Books. Plus qu'une juxtaposition, nous y voyons un excellent moyen de faire communiquer un "laboratoire littéraire" en libre accès et une activité d'édition numérique de livres électroniques (destinés aux liseuses et tablettes moyennant paiement). A notre sens, ces deux activités se complètent parfaitement. De véritables vases communicants au sein de la structure ONLiT Editions qui "chapeautera" les deux entités.


- Le passage à l'édition est-il une suite logique de l'expérience?

- D'une certaine manière, oui. Après plus de cinq années à gérer une revue en ligne, il nous semble que le moment est propice de passer à l'édition numérique. Nous avons aujourd'hui un large réseau d'auteurs (plus de septante auteurs publiés à ce jour) et de lecteurs (plus de 25.000 visites chaque mois).  Nous sommes férus de nouvelles technologies et très enthousiastes par rapport au futur du livre numérique, ou du "lire" numérique. Certes, les liseuses stricto sensu ne sont pas encore très répandues en Belgique francophone tandis que les iPad commencent à être bien présents; certes le marché du livre électronique est encore mince en terme de chiffres. Mais, d'un autre côté, nos sorties numériques seront disponibles (sans rupture de stocks, sans réimpressions, etc.) dans toute la Francophonie. Il était important dès lors pour nous de prendre une place, développer un savoir-faire, de construire et d'installer une présence, d'offrir aux auteurs de la Fédération Wallonie-Bruxelles un espace, une fenêtre dans le numérique. Ce dernier point est certainement crucial car, au-delà des débats entre les nostalgiques de "l'odeur du papier" et les utilisateurs de Kindle, la question n'est en fin de compte pas de savoir si on va aller dans le numérique ou pas. Ni si on va aller dans le numérique ou dans le papier. Le fait est que l'on est dans le numérique. Le numérique fait partie de notre vie quotidienne.  La question est donc de savoir si on est en mesure d'y construire une place pour la littérature. Une place pour nos auteurs, pour nos lecteurs. C'est aussi à nous, éditeurs, de travailler pour mettre cela place afin que le texte puisse continuer à vivre dans le numérique. A petite échelle, c'est ce que nous avons voulu faire en créant notre revue en ligne. C'est à présent ce que nous voulons faire encore davantage en créant la collection de littérature contemporaine ONLiT Books.

Littérature sur toile : 2 Les notules dominicales

Philippe Didion intrigue. Les notules dominicales de culture domestique (et de villégiature exotique) ne ressemblent à rien de connu - mais sont publiées depuis maintenant plus de dix ans. Cette accumulation faite elle-même d'accumulations méritait d'être éclaircie par son responsable...

- On ne parlait pas encore beaucoup de blog, quand vous avez commencé à publier vos "Notules" en 2001. Aviez-vous conscience d'en avoir ouvert un?

- Effectivement, en 2001, il n'était pas question de blog: on créait cependant des sites qui pouvaient être personnalisés mais la structure blog avec contenu essentiellement autobiographique et commentaires n'est devenue populaire qu'un peu plus tard. De toute façon, ma démarche était différente, il ne s'agissait pas de s'adresser à l'ensemble de la Toile mais à certains destinataires choisis qui se sont multipliés au cours des années qui ont suivi. La création du site des notules n'est intervenue qu'après mais le modus operandi est resté le même, la mise en ligne et l'administration du site se faisant par l'intermédiaire d'une personne extérieure.

- Maintenant que le blog est devenu populaire, voire envahissant, vous annoncez que vous cessez les mises à jour et que vous n'enverrez plus vos "Notules" que par email. Pourquoi?

- En fait, le site pourrait être repris début 2012 par un autre administrateur mais là n'est pas la question. Il est primordial pour moi de m'adresser à des personnes identifiées, même si elles me sont pour la plupart inconnues. La forme courriel est peut-être archaïque mais elle me convient dans la mesure où elle instaure un lien direct, personnel, avec chacun des abonnés qui constituent de fait une petite communauté, ce que j'appelle la "notulie". Qu'ensuite les notules soient reprises sur un site et deviennent lisibles pour tout un chacun m'apparaît comme secondaire. Dans le même ordre d'idée, le site permet de répondre directement au notulographe mais n'offre pas de rubrique "commentaires" ouverte à tous vents.

- Vous assemblez, chaque semaine, des fragments sans rapports apparents les uns avec les autres: lectures, salons de coiffure, monuments aux morts, curiosités... Quelle est la cohérence de tout cela?

- S'il fallait trouver une cohérence, elle se trouverait dans l'intérêt que j'ai pour ce que Georges Perec appelait l'infra-ordinaire : les petits faits insignifiants qui passent inaperçus et qui forment le tissu de l'existence. Les divers chantiers qui apparaissent de façon régulière dans les notules sont un reflet de l'infra-ordinaire, assorti d'une contrainte. Par exemple, je recopie les noms des victimes qui figurent sur les monuments aux morts des communes des Vosges mais je visite celles-ci selon la contrainte de l'ordre alphabétique, ce qui me conduit à suivre un itinéraire extravagant. Je fais la chasse aux salons de coiffure dont le nom comporte un jeu de mots banal, comme Créa'Tifs ou Atmosp'Hair, je recopie des fragments de romans qui présentent une scène se déroulant chez un coiffeur, etc. L'essentiel, c'est que ces chantiers soient démesurés, voire interminables, c'est ma façon à moi de lutter contre le temps.

Littérature sur toile : 1. La république des livres

On me dit que c'est Noël. Ah! bon? Voilà qui vaut bien un petit quelque chose de spécial...
Je vais donc profiter des échanges que j'ai eus, la semaine dernière, avec quelques acteurs de la littérature sur Internet - je leur posais des questions pour des articles parus vendredi dans Le Soir, et je n'ai pu utiliser qu'une toute partie de leurs réponses.

Le premier à réagir a été Pierre Assouline, à lui donc d'ouvrir le bal.


- Quand vous avez ouvert le blog "La république des livres" il y a un peu plus de sept ans, vous attendiez-vous à ce que cela dure?

- Il y a sept ans, je n'avais aucune idée de l'aventure dans laquelle je m'embarquais ni pour combien de temps. Je n'avais qu'une conviction basée sur une intuition : là est le présent et l'avenir du journalisme.

- Qu'appréciez-vous le plus dans l'exercice? Une totale liberté? Les réactions des lecteurs? La souplesse de l'instrument? Autre chose?

- J'apprécie la rapidité de l'instrument, son indépendance, la capacité de tout maîtriser du début à la fin et les réactions immédiates des lecteurs. Lorsque je voyage au bout du monde pour parler de mes livres, je rencontre des gens qui me parlent de l'article que j'ai posté le matin même...

- Le nombre de commentaires que vous suscitez n'a-t-il pas quelque chose d'effrayant?

- Effrayant en effet. Environ 400 par jour. Mais suivez la décision historique que j'ai prise ce matin même [note: le dimanche 18 décembre] et l'enthousiasme de la majorité des commentateurs...

- Choisissez-vous vos sujets de la même manière que si vous aviez, par exemple, une chronique dans un journal?

- Oui, probablement. Je me laisse guider par l'actualité, l'air du temps, mon bon plaisir, ma curiosité et... l'actualité. Mais quand je prépare ma chronique pour Le Monde des livres ou L'Histoire, j'en parle d'abord avec la Rédaction, alors que sur le blog, je n'en parle qu'à moi-même et je suis souvent d'accord...

jeudi 22 décembre 2011

Jean-Claude Mouyon, mon héros, mon frère

Je n'ai pas l'habitude de reprendre ici les notes de mon autre blog, Actualité culturelle malgache. Aujourd'hui, impossible de faire autrement...
D'apprendre, ce matin, la mort de Jean-Claude Mouyon, m'a donné un sacré coup de vieux. Un coup douloureux sur la tête, aussi. Je vais tenter, malgré tout, et sachant que je ne serai pas à la hauteur de son talent, de dire deux ou trois choses que je pense essentielles sur lui - l'homme et l'écrivain.
Quand je l'ai croisé pour la première fois, en 2001 ou 2002, c'était par hasard. Non, il n'y a pas de hasard. Il écrivait, je lisais - je ne savais pas encore que je monterais une maison d'édition -, il était assez naturel que nous ne soyons pas indifférents l'un à l'autre.
D'autant que j'avais eu l'occasion de me convaincre de son talent - en même temps que d'une propension certaine à le gâcher parfois, abandonnant un texte en cours de route alors qu'il était encore à l'état de brouillon. C'est dans cet état que j'avais lu pour la première fois Roman vrac, cette trilogie foutraque dont je me suis bien demandé alors ce qu'il allait pouvoir en tirer. Il y avait là de toute évidence un tempérament, et tout aussi évidemment un tempérament mal maîtrisé.
Puis, quand j'ai eu l'inconscience de me lancer (à Madagascar, faut-il être fou!) dans l'édition de livres papier, je me suis quand même, bien entendu, tourné vers Jean-Claude. Je me disais qu'il avait, entretemps, peut-être écrit autre chose. En effet. Mais, heureuse surprise, il avait aussi retravaillé Roman vrac, qui était devenu, mieux qu'un livre, un emblème. Quand, fin 2007, entre Noël et Nouvel An, lui et moi avons placardé un peu partout à Toliara des affichettes qui annonçaient la sortie du livre, je n'étais pas peu fier du slogan que j'avais imaginé - non parce qu'il était neuf, mais parce qu'il était vrai. "Le Sud comme vous ne l'avez jamais lu."
En effet. Il y a dans ces pages une manière d'envisager l'humain, et en particulier la part d'humain qu'il côtoyait, qui était la sienne, à mes yeux (de grand lecteur) totalement inédite. Jean-Claude était devenu précieux, non seulement pour moi mais aussi, comme j'allais le constater dans les endroits les plus improbables, pour tous ceux qui, découvrant sa trilogie romanesque, la feraient lire à leur tour, transmettant leur enthousiasme avec un coeur immense.
Jean-Claude n'était pas l'homme d'un seul livre. Il en avait écrit avant Roman vrac, il en écrirait dès lors d'autres. Depuis 2007, lui et moi, surtout lui bien sûr, n'avons pas cessé de travailler sur ses manuscrits. Mes séjours, une ou deux fois par an, à Toliara, n'avaient d'autre but que celui-là. Rectifier des fautes d'orthographe (il était fâché, une fois pour toutes, avec certains aspects de l'orthographe), redresser quelques phrases tout en gardant le savoureux déhanché de son écriture, son invention verbale, tout ce qui faisait, fait encore puisque ses livres sont là, un écrivain.
Il y a eu ensuite Beko ou La nuit du Grand Homme, un roman plus travaillé dans sa structure, dans lequel la voix des sahiry répondait à un récit plus classique, digne d'un polar contemporain - et du Sud, forcément du Sud. Il y fallait de la finesse. Jean-Claude la possédait à un degré qu'il ne montrait pas toujours, même si la lecture ne trompait pas. Il n'essayait pas de se faire passer pour un Malgache, il n'était pas le "décivilisé" (pour reprendre un mot de Charles Renel) que certains croyaient voir en lui. Il était le vazaha, avec ses antécédents et sa culture - immense, sa culture, car s'il ne lisait pas énormément, il assimilait ses lectures comme le fait un écrivain. Je me souviendrai toujours de nos conversations sur, par exemple, Antoine Blondin, qu'il me reprochait, en rigolant, d'avoir eu la chance de rencontrer (et d'avoir bu avec lui un ou deux coups de trop). Le vazaha, disais-je, mais acharné à comprendre le monde où il avait choisi d'être - et presque de mourir, mais cela, il ne le savait pas encore. Il en parlait parfois, cependant, comme Beko parle de la mort. Comme si c'était, pour les autres, toujours l'occasion d'une fête qui se superpose à la tristesse pour faire oublier celle-ci. On va la faire, Jean-Claude, la fête, on n'en sera pas moins triste pour autant!
Mais, pour gommer la tristesse, nous n'utiliserons pas que le rhum et la THB. Nous relirons Carrefour, ce moment inoubliable où un quartier de Toliara titube entre fête et folie à l'occasion de la rencontre entre un rastaman de renommée internationale et une campagne électorale comme il n'en existe que chez nous - non, bien entendu, il en existe ailleurs, d'aussi pittoresques et peu démocratiques, mais celle-ci nous appartient puisque Jean-Claude l'a racontée.
De tous ses livres publiés, il m'a semblé que c'était le plus abouti, le plus cohérent. J'ai cru, peut-être un peu naïvement, qu'il suffirait à imposer Jean-Claude auprès d'une grande maison d'édition française. Cet échevèlement si personnel devait marquer les esprits, trouver d'autres défenseurs que moi et se propager au-delà de nos rivages. Il s'en est fallu de peu, plusieurs fois. Mais chaque fois la décision a été négative. Excessif, Jean-Claude Mouyon? Probablement. D'un excès salutaire - sauf pour sa santé, bien sûr -, du genre qui balaie les clichés et remet les choses à leur place, c'est-à-dire cul par-dessus tête. Là où elles doivent être. Mieux: là où elles sont. Jean-Claude ne faisait pas de rangement (il fallait voir son bureau!), il racontait comment c'était, et tant pis si cela ne plaisait pas toujours.
Son dernier roman paru à la Bibliothèque malgache, L'Antoine, idiot du Sud, est, comme le premier, une trilogie. Je me flatte d'y faire une apparition - Pierrot, l'éditeur. Il y a aussi une voiture pourrie et des trous dans la rue du front de mer à Toliara, il y a des personnages hauts en couleurs (je ne parle pas de moi, là), il y a cet élan vital avec lequel Jean-Claude rencontrait les protagonistes de ses livres comme s'il leur tapait dessus jusqu'au moment où ils avoueraient même ce qu'ils n'avaient pas fait, parce que de toute manière la réalité dépasse la fiction et qu'elle est si invraisemblable qu'il vaut mieux en rester à la fiction.
Je crois que j'aimais Toliara avant de connaître Jean-Claude. Il y a quelque chose de tellement décalé dans cette ville qu'elle devait me plaire. Mais ses livres me l'ont fait découvrir encore d'une autre manière, ils m'ont fait rencontrer en chair et en os, autour de quelques verres, du genre que quand on aime on ne compte plus, ceux qui peuplaient ses pages. Ils les peuplaient si bien qu'ils en débordaient. Comme je déborde d'affection pour ce type à nul autre pareil, titubant certains jours sur ses jambes mais mieux campé sur le sol poussiéreux que personne.
Jean-Claude, mon héros, mon frère, je te déteste de nous avoir abandonnés. Mais je t'aimais et je t'aime. Et nous n'en avons pas fini, nous deux!

mercredi 14 décembre 2011

Les poids lourds, au sens propre, de la rentrée de janvier

La première chose qui me frappe, dans l'exploration en cours de la rentrée d'hiver (pour l'instant, je la hume, j'ouvre les livres et je les referme), c'est le poids d'un bon nombre d'ouvrages. Les écrivains du vingt et unième siècle sont-ils devenus incapables de faire court? (Je précise qu'un bon livre est, à mon sens, celui qui a la taille idéale dans laquelle son auteur se sent à l'aise et, dans le meilleur des cas, son lecteur aussi.)
Je prends, par exemple, les 714 pages du nouveau roman de David Lodge, Un homme de tempérament, qui me tente beaucoup. C'est du copieux, et je me demande si l'auteur d'Un tout petit monde tient sur cette distance, qui me semble inhabituelle pour lui, le pétillement qui caractérise son œuvre. J'espère que oui, parce que j'ai l'intention de m'y mettre sans tarder.
Les 689 pages d'A.S. Byatt dans Le livre des enfants sont encore plus impressionnantes, en raison d'un choix typographique plus serré. Mais la sœur de Margaret Drabble a de la ressource, et je ne crois pas que je vais m'ennuyer.
Antonio Muñoz Molina vogue dans les mêmes eaux, s'agissant du volume de Dans la grande nuit des temps (768 pages). Grande, dit-il...

En France, Régis Jauffret n'a pas non plus lésiné sur le nombre de pages avec Claustria, un livre que je ne suis pas le seul à attendre: 544. La matière, il est vrai, est celle des 3096 jours d'enfermement de Natascha Kampusch, transposée dans un roman - l'écrivain n'en est pas à son coup d'essai dans le fait divers détourné du côté de la fiction.
Stéphane Koechlin publie un livre de 600 pages, Le vent pleure, Marie, dont Louis Armstrong et la revue Rock and Folk ne sont pas absents.
Et le premier roman de Pierre Patrolin déroule sur 720 pages La traversée de la France à la nage - je suis très curieux de voir ça.

Il en manque peut-être, dans les grands formats. Mais ceux-ci m'ont frappé. Parce qu'ils m'attirent. Au moins autant qu'un certain nombre d'ouvrages à la taille plus raisonnable - il y en a beaucoup, heureusement pour les heures que je me prépare à passer, dès la semaine prochaine, dans la rentrée littéraire de janvier.

lundi 12 décembre 2011

Demain, ou presque, la rentrée des poches

Ça sent la fin de l'année, le chroniqueur s'épuise aux derniers articles de 2011, se désespère de n'avoir pas lu tel ou tel livre qui lui aurait pourtant, croit-il, apporté bien du bonheur (parfois, pour se rassurer, il se dit qu'il aurait peut-être été déçu et que ce n'est donc pas si grave). Il tente de prendre du recul en visitant l'actualité de 1912 (je vous dirai bientôt pourquoi). Et il voit, sur le coin du bureau, le bel agenda de la Pléiade marqué, en lettres d'or, 2012. De quoi 2012 sera-t-il fait? s'interroge-t-il. Entre autres choses, de belles séances de rattrapage grâce aux livres de poche dans lesquels il plongera avec les délices de l'urgence décalée.
Revue de quelques titres attendus à partir du 4 janvier.

En commençant par celui que beaucoup ont lu déjà (pas moi) et que beaucoup plus encore attendent (j'en suis): le deuxième tome de Millenium. La fille qui rêvait d'un bidon d'essence et d'une allumette, titre prometteur après Les hommes qui n'aimaient pas les femmes par lequel j'avais été séduit, il y a un an et demi déjà.
Stieg Larsson, mort avant d'avoir pu boucler le quatrième volume de ces polars, ignorait probablement à quel point il rassemblerait les lecteurs autour de ce massif isolé dans la production littéraire contemporaine. Il ignorait davantage encore comment le cinéma relaierait le succès de ses livres.
Dans un autre registre, une chronique toujours en cours (le cinquième volet est publié en même temps qu'est réédité le précédent) peut être lue avec un an de retard. C'est donc avec la même joie un peu sadique que je me plongerai dans la Quatrième chronique du règne de Nicolas Ier, où Patrick Rambaud utilise son imagination dans les marges du réel.
J'aurai en revanche quelques hésitations avant d'ouvrir Suite(s) impériale(s), de Bret Easton Ellis, auteur un peu trop culte à mon goût pour que sa littérature soit tout à fait honnête - mais j'espère me tromper. Et la première semaine de janvier aura quand même été, avec ces trois livres, assez riche pour passer à la suivante.

Le 11 janvier, je ne relirai probablement pas Une forme de vie, laissant Amélie Nothomb à celles et ceux qui aiment ça - c'est rarement mon cas, et certainement pas avec ce livre-ci.
En revanche, je serai heureux de retrouver Herta Müller avec La bascule du souffle, un roman époustouflant qui justifierait bien, à lui tout seul (mais il y en a d'autres), un prix Nobel de littérature.
Mais pourquoi donc n'avais-je pas lu le deuxième roman de Jean-Baptiste Del Amo alors que j'avais beaucoup aimé le premier. Voilà qui mérite une réparation, dont l'occasion est accordée grâce à la réédition du Sel.
Tant qu'à évoquer des réparations, j'en dois une aussi à Régis Jauffret, dont je n'ai pas lu Tibère et Marjorie.

Ce sont quelques envies, parmi beaucoup d'autres, dont les conséquences trouveront un écho ici (et ailleurs).

mercredi 7 décembre 2011

L'actualité littéraire (54) - Geneviève Damas et Lydia Flem, deux beaux prix Rossel

Peut-être faudrait-il écrire: "deux belles prises du Rossel" puisque, comme l'an dernier, ce sont deux romancières qui sont couronnées. Et, comme l'an dernier, le jury du Rossel historique, créé en 1938, va à un premier roman.
Détaillons.

Le prix Rossel, attribué par un jury d'écrivains, a donc fait le choix d'un premier roman et peut-être surtout, au même titre qu'en 2010 d'ailleurs, d'une écriture singulière qui s'impose naturellement en même temps qu'elle impose un univers tout aussi singulier. La fois précédente, c'était Caroline de Mulder et son Ego tango. Aujourd'hui, c'est Geneviève Damas avec Si tu passes la rivière.
Dès son premier roman, Geneviève Damas manifeste le désir de sortir des sentiers battus et de trouver une voix originale. Celle de François Sorrente qui, à dix-sept ans, ne connaît rien du monde sinon la violence de sa famille et le sentiment de perte créé par le départ de sa sœur. La rivière, qu’il est interdit de traverser, est le symbole d’une frontière au-delà de laquelle se situent tous les dangers mais aussi toutes les expériences. Un curé à la vie paradoxale et une femme généreuse renforceront sa volonté de comprendre qui il est et quel est son destin. Probablement pas en compagnie des cochons qui étaient auparavant ses seuls amis, parce qu’ils ne le trahissaient pas.
Je note au passage que, réservé aux écrivains belges ou habitant en Belgique, le prix Rossel n'avait pas, depuis 17 ans, salué un livre publié sur le territoire de ce petit pays qui renoue donc, en même temps qu'avec un gouvernement, avec l'édition de création reconnue comme telle.
Pour goûter le ton de Geneviève Damas, rien de mieux que de lire les premières lignes de son roman:
«Si tu passes la rivière, si tu passes la rivière, a dit le père, tu ne remettras plus les pieds dans cette maison. Si tu vas de l’autre côté, gare à toi, si tu vas de l’autre côté.» J’étais petit alors quand il m’a dit ça pour la première fois. J’arrivais à la moitié de son bras, tout juste que j’y arrivais et encore je trichais un peu avec les orteils pour grandir, histoire de les rejoindre un peu mes frères qui le dépassaient d’une bonne tête, le père, quand il était plié en deux sur sa fourche. J’étais petit alors, mais je m’en souviens. Il regardait droit devant, comme si la colline et la forêt au loin n’existaient pas, comme si les restes des bâtisses brûlées c’était juste pour les corbeaux, si rien n’avait d’importance, plus rien, et que ses yeux traversaient tout.
«Arrête de me crier dessus comme une vache, que je lui ai dit, arrête de crier. Je ne veux rien savoir de l’autre côté. Jamais. Tu n’as pas à te biler. Ton François, il restera. Il n’y aura jamais autre chose.»
Le prix Rossel des jeunes, composé d'un jury de lycéens, couronne, de son côté, une écrivaine à l’œuvre déjà importante et à la carrière impressionnante. Psychologue, psychanalyste pour enfants, Lydia Flem a travaillé avec Françoise Dolto et Ménie Grégoire. Elle a connu le succès dès 1986 avec son deuxième livre, La vie quotidienne de Freud et de ses patients - on était loin du roman, comme on voit. Elle a, depuis, publié une dizaine d'autres ouvrages, parmi lesquels Comment j'ai vidé la maison de mes parents. Et, au début de cette année, La reine Alice - à qui la couronne va bien, forcément.
L’autre côté du miroir, pour Alice, est la découverte d’un cancer. Et le chemin initiatique qu’elle fait avec la maladie. Celle-ci ouvre sur des mondes inattendus, où il faut vaincre des périls sans nombre. Chaque étape, teintée d’un merveilleux à la fois sombre et lumineux, la rapproche d’elle-même et d’un trésor secret, que les autres lui envient sans connaître la vérité.
C'est un livre magnifique, dans lequel la réalité est transfigurée grâce ou à cause de (ou plus probablement les deux) ce basculement dont il est question dès le début:
Quelque chose avait basculé.
Un instant plus tôt rien n'était arrivé, un instant plus tard tout était bouleversé.
Alice aimait revenir en songe au Pays des Merveilles; sa phrase favorite était: «Faisons semblant.»
Mais ce soir-là, à la veille des vacances, au moment d'aller se coucher, il se passa un événement tout à fait inattendu. Alors qu'elle se regardait dans la glace, essayait l'une après l'autre ses robes d'été, elle passa réellement de l'autre côté.
Il n'y avait plus de semblant. Le verre se brouilla, devint aussi inconsistant que de la gaze, se changea en une sorte de vapeur qu'il était aisé de traverser; hélas, il ne s'agissait en rien d'un jeu d'enfant. Ce n'était nullement merveilleux d'entrer dans la Maison du Miroir.
– Ce n'est pas du jeu, murmura Alice en découvrant ce qu'elle découvrit.
Comment nommer ce qui venait de se passer, de surgir comme la bête dans la jungle, elle ne le savait pas.

vendredi 2 décembre 2011

Camilla Läckberg, comme Agatha Christie - en moins bien

Camilla Läckberg, la nouvelle reine suédoise du polar bénéficie, comme d'autres, de la vogue qui porte, dans le genre, les auteurs scandinaves. Mais - même si je dois préciser que je n'ai pas lu ses ouvrages précédents, c'est-à-dire ceux qui l'ont rendue célèbre et qui peut-être méritent l'attention - je m'interroge sur ce qu'au Nouvel Observateur on appelle les raisons d'un succès. Cyanure est un roman policier construit à la manière d'Agatha Christie, mais sans le charme que celle-ci a donné à des intrigues aujourd'hui légèrement surannées - le côté suranné ajoutant d'ailleurs au charme...
Martin, un flic manquant d'expérience, a été invité par sa petite amie Lisette à une fête familiale organisée sur une petite île à l'occasion de Noël. A la tête de la dynastie, le vieux Ruben, richissime homme d'affaires dont la descendance lorgne avec avidité sur la fortune. Lors d'un repas, Ruben meurt, empoisonné au cyanure comme le prouve la caractéristique odeur d'amandes amères dont les (mauvais) romans policiers font souvent usage. Puis un de ses petits-fils, Matte, est assassiné par balle...
L'atmosphère lourde, le soupçon généralisé, la haine glissée comme un coin entre les membres de la famille, le huis clos assuré par une tempête qui interdit de se porter sur le continent... et Martin en observateur maladroit, tout est rassemblé pour une énigme classique, à résoudre en 150 pages comme une partie de Cluedo.
Mais quelle pesanteur! Camilla Läckberg traîne son ennui et tente de nous le faire partager. Elle y réussit à peu près. C'est d'ailleurs la seule réussite de ce roman à oublier au plus vite.