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mercredi 27 juillet 2016

En rayon, Jean-Baptiste Del Amo avant la rentrée

Je parlais de calendrier, hier. Avez-vous vu celui des prix littéraires d'automne publié, hier aussi, par Livres Hebdo? Un coup d’œil distrait donne à penser que les choses s'annoncent à peu près comme d'habitude. Mais non, pas du tout. L'Académie française, dont le Grand Prix du roman ouvre habituellement la série, sera devancée cette année, malgré une proclamation le 27 octobre, par le Prix Femina, dès le 25 octobre. Avec, pour celui-ci, l'annonce de la dernière sélection... la veille du prix. Il n'y a pas d'erreur? La source est, habituellement, très fiable, et on suppose qu'il en ira bien ainsi.
De toute manière, Jean-Baptiste Del Amo a damé le pion à tout le monde en recevant, dès le mois de juin, le premier Prix de l'île de Ré, pour son roman à paraître chez Gallimard le 18 août, Le règne animal. On marche sur la tête. Ou sur l'eau, ce qui n'est pas beaucoup plus assuré. Bon, de toute manière, j'ai lu tous les livres précédents de cet écrivain, il n'y a pas de raison de s'arrêter. Mais, comme promis hier, je jette un regard en arrière avec le premier roman de l'auteur, Une éducation libertine, paru en 2008 et, depuis, réédité au format de poche.
Avait-on déjà peint une Seine si noire ? Dans le magnifique premier roman de Jean-Baptiste Del Amo, elle charrie toutes les sanies de la ville, la peau de ceux qui y travaillent se couvre de squames répugnantes, une tête de bébé ou un cadavre de bourgeois y traîne parfois. Pour Gaspard, qui vient d’arriver à Paris, elle est le lieu de son premier emploi précaire quand il est chargé, avec d’autres compagnons d’infortune, de récupérer des trains de troncs d’arbre. Elle est aussi le rappel d’un autre fleuve, près de Quimper, où s’est achevée la poursuite d’un cochon et la vie de son père.
De Quimper à Paris, c’est la même crasse. Faite de sang et de lisier dans une enfance marquée aussi par un monstrueux accouchement de sa mère. Faite de déjections diverses et d’une persistante odeur de mort dans une capitale qui, dans les années 1760, offre au jeune homme des perspectives d’ascension sociale, même s’il a commencé sa carrière plus bas que terre, dans une misère répugnante et une promiscuité moite.
Gaspard possède quelques atouts sous sa dégaine de paysan mal dégrossi : il est joli garçon et ne manifeste pas le moindre signe de sens moral. Arriviste, il utilise donc ses armes sans aucun scrupule, séduisant des hommes situés de plus en plus haut dans la hiérarchie sociale afin d’atteindre le statut de parvenu dont il rêve. Sous les assauts répétés d’amants dont il se lasse vite, il n’éprouve guère de plaisir. Et ne pense qu’à la suite, quand il gravira un nouvel échelon…
Libertin, Gaspard n’est cependant pas un parfait cynique. La corruption des chairs au milieu desquelles il se vautre faute de mieux correspond chez lui à une corruption de l’âme dont il prend de mieux en mieux conscience. Il aimerait extirper le mal qu’il devine dans son corps, contre lequel il aimerait se battre. La lutte est inégale entre l’ambition et la perception sourde d’une douleur née des années plus tôt. Aux blessures de l’enfance répondent alors celles que s’inflige Gaspard, dans une tentative désespérée de quitter la spirale de la débauche où il est entré.
Ce roman pue. Pour la bonne cause : les odeurs délétères qui flottent au-dessus de ses pages sont le reflet d’une probable réalité à laquelle nous sommes confrontés sans préparation. Jean-Baptiste Del Amo l’affiche dès la première phrase : « Paris, nombril crasseux et puant de la France. » Avant de dérouler un récit somptueusement baroque, dans toute la gamme des teintes prises par les corps malades et les cadavres. On piétine un cimetière, la beauté s’efface rapidement, brûlée par l’acide de désirs bestiaux qui ne s’embarrassent pas d’hygiène.
L’éducation est ici celle, et uniquement celle, de l’argent et du pouvoir – pouvoir illusoire en un temps où le pays vacille sur ses bases. Les philosophes mettent en doute bien des certitudes. La Révolution n’est plus très loin. En attendant, Paris pouilleux danse une funèbre farandole, emporté dans un délire comparable au fleuve malsain qui infecte plus qu’il nettoie.
En voici un peu plus que la première phrase:
Paris, nombril crasseux et puant de France. Le soleil, suspendu au ciel comme un œil de cyclope, jetait sur la ville une chaleur incorruptible, une sécheresse suffocante. Cette fièvre fondait sur Paris, cire épaisse, brûlante, transformait les taudis des soupentes en enfers, coulait dans l’étroitesse des ruelles, saturait de son suc chaque veine et chaque artère, asséchait les fontaines, stagnait dans l’air tremblotant des cours nauséabondes, la désertion des places. Dans cette géhenne, la chaleur de l’été collait aux visages comme un masque, drapait les corps de feu, tuait les bêtes qui tentaient de survivre en quelque coin d’ombre, suffoquait les femmes aux poitrines poisseuses. Les glandes sudorales déversaient par flots leurs humeurs. Jaillies d’aisselles velues, elles s’écoulaient des fesses aux flancs puis sur les jambes. Fondue comme du beurre sur les fronts, la sueur piquait aux yeux, répandait son sel aux bouches haletantes. La crasse s’écoulait comme un sédiment, marquait les plis aux articulations de traces noires. On s’éventait avec un rien, un vieux chiffon, une gazette, une main.

lundi 30 septembre 2013

Le Prix Sade à Jean-Baptiste Del Amo

Chère cousine,

Ton œil perçant n'aura pas manqué cette information, en préface de la saison des prix littéraires: samedi, le jury du Prix Sade a choisi son nouveau lauréat, Jean-Baptiste Del Amo, pour son roman Pornographia. Un titre qui aurait presque suffi à établir le choix si l'écrivain n'avait témoigné, dans ses livres précédents, d'un authentique talent. Veux-tu que je t'en donne un début de preuve? Voici les premières lignes de son dernier roman:
Au soir des obsèques, le long du front de mer, je marche à travers les embruns, le fracas des vagues atomisées sur le béton dans le crépuscule, et je laisse mon regard errer à la surface des façades en lambeaux. Au milieu de ceux qu’il me faut désigner comme miens, dans une maison dont les recoins ternes et les odeurs de tiroir ne m’évoquent plus rien, j’ai été saisi d’un malaise. Tout me paraît hostile. Des enfants indistincts jouaient dans l’ombre grise, mais leurs jeux sonnaient faux et l’étain des plats à offrandes tintait sur l’autel lorsque leurs petits pas feutrés glissaient d’une pièce à l’autre. Mes frères fumaient, vautrés dans les fauteuils en rotin, et leurs sourires ravagés m’ont encouragé à me lever. Des écailles de ciment jonchent le sol, crissent sous mes semelles et dévalent la chaussée à chaque bourrasque. Je ne pense à rien, je suis à l’image de ces immeubles dévastés et graves, un corps désert dont les fondations sont de bois vermoulu, ma chair limée par le sel et le sable. Je déambule sans conscience, étourdi par la certitude de ma présence, la confrontation toujours fuie et âprement désirée avec la ville.
Je dois t'avouer cependant que, malgré ce paragraphe en forme de belle promesse, je n'ai pas placé Pornographia en tête de mes urgences de lecture. J'attendrai avec sérénité la réédition au format de poche pour lui redonner une certaine fraîcheur. J'ai un problème avec le Prix Sade, en tout cas avec leur choix de l'année dernière. Un livre très médiatisé, certes, mais qui m'était tombé des mains.
Il est possible, il est probable que ma position est indéfendable. Ce n'est pas parce qu'un jury s'est trompé (à mes yeux) une année qu'il est obligé de persister dans l'erreur. Du coup, j'ose une demande: lis-le, ce livre, dis-moi ce que tu en penses. Après tout, je ne suis pas le seul à avoir un avis sur tel ou tel roman que je viens de terminer. Et ne crains pas de me dire ce que tu penses vraiment, avec toutes les nuances que tu jugeras bon d'apporter - je ne risque pas de te contredire.
Je te souhaite donc malgré tout, chère cousine, une bonne lecture, et je t'embrasse,
ton cousin


lundi 12 décembre 2011

Demain, ou presque, la rentrée des poches

Ça sent la fin de l'année, le chroniqueur s'épuise aux derniers articles de 2011, se désespère de n'avoir pas lu tel ou tel livre qui lui aurait pourtant, croit-il, apporté bien du bonheur (parfois, pour se rassurer, il se dit qu'il aurait peut-être été déçu et que ce n'est donc pas si grave). Il tente de prendre du recul en visitant l'actualité de 1912 (je vous dirai bientôt pourquoi). Et il voit, sur le coin du bureau, le bel agenda de la Pléiade marqué, en lettres d'or, 2012. De quoi 2012 sera-t-il fait? s'interroge-t-il. Entre autres choses, de belles séances de rattrapage grâce aux livres de poche dans lesquels il plongera avec les délices de l'urgence décalée.
Revue de quelques titres attendus à partir du 4 janvier.

En commençant par celui que beaucoup ont lu déjà (pas moi) et que beaucoup plus encore attendent (j'en suis): le deuxième tome de Millenium. La fille qui rêvait d'un bidon d'essence et d'une allumette, titre prometteur après Les hommes qui n'aimaient pas les femmes par lequel j'avais été séduit, il y a un an et demi déjà.
Stieg Larsson, mort avant d'avoir pu boucler le quatrième volume de ces polars, ignorait probablement à quel point il rassemblerait les lecteurs autour de ce massif isolé dans la production littéraire contemporaine. Il ignorait davantage encore comment le cinéma relaierait le succès de ses livres.
Dans un autre registre, une chronique toujours en cours (le cinquième volet est publié en même temps qu'est réédité le précédent) peut être lue avec un an de retard. C'est donc avec la même joie un peu sadique que je me plongerai dans la Quatrième chronique du règne de Nicolas Ier, où Patrick Rambaud utilise son imagination dans les marges du réel.
J'aurai en revanche quelques hésitations avant d'ouvrir Suite(s) impériale(s), de Bret Easton Ellis, auteur un peu trop culte à mon goût pour que sa littérature soit tout à fait honnête - mais j'espère me tromper. Et la première semaine de janvier aura quand même été, avec ces trois livres, assez riche pour passer à la suivante.

Le 11 janvier, je ne relirai probablement pas Une forme de vie, laissant Amélie Nothomb à celles et ceux qui aiment ça - c'est rarement mon cas, et certainement pas avec ce livre-ci.
En revanche, je serai heureux de retrouver Herta Müller avec La bascule du souffle, un roman époustouflant qui justifierait bien, à lui tout seul (mais il y en a d'autres), un prix Nobel de littérature.
Mais pourquoi donc n'avais-je pas lu le deuxième roman de Jean-Baptiste Del Amo alors que j'avais beaucoup aimé le premier. Voilà qui mérite une réparation, dont l'occasion est accordée grâce à la réédition du Sel.
Tant qu'à évoquer des réparations, j'en dois une aussi à Régis Jauffret, dont je n'ai pas lu Tibère et Marjorie.

Ce sont quelques envies, parmi beaucoup d'autres, dont les conséquences trouveront un écho ici (et ailleurs).

dimanche 28 mars 2010

Jean-Baptiste Del Amo et Paris qui pue

Le prix Goncourt du premier roman 2009 est paru en poche, et c'est une bonne nouvelle, car Une éducation libertine, de Jean-Baptiste Del Amo, mérite d'être découvert.
Avait-on déjà peint une Seine si noire? Dans le magnifique premier roman de Jean-Baptiste Del Amo, elle charrie toutes les sanies de la ville, la peau de ceux qui y travaillent se couvre de squames répugnantes, une tête de bébé ou un cadavre de bourgeois y traîne parfois. Pour Gaspard, qui vient d’arriver à Paris, elle est le lieu de son premier emploi précaire quand il est chargé, avec d’autres compagnons d’infortune, de récupérer des trains de troncs d’arbre. Elle est aussi le rappel d’un autre fleuve, près de Quimper, où s’est achevée la poursuite d’un cochon et la vie de son père.
De Quimper à Paris, c’est la même crasse. Faite de sang et de lisier dans une enfance marquée aussi par un monstrueux accouchement de sa mère. Faite de déjections diverses et d’une persistante odeur de mort dans une capitale qui, dans les années 1760, offre au jeune homme des perspectives d’ascension sociale, même s’il a commencé sa carrière plus bas que terre, dans une misère répugnante et une promiscuité moite.
Gaspard possède quelques atouts sous sa dégaine de paysan mal dégrossi: il est joli garçon et ne manifeste pas le moindre signe de sens moral. Arriviste, il utilise donc ses armes sans aucun scrupule, séduisant des hommes situés de plus en plus haut dans la hiérarchie sociale afin d’atteindre le statut de parvenu dont il rêve. Sous les assauts répétés d’amants dont il se lasse vite, il n’éprouve guère de plaisir. Et ne pense qu’à la suite, quand il gravira un nouvel échelon…
Libertin, Gaspard n’est cependant pas un parfait cynique. La corruption des chairs au milieu desquelles il se vautre faute de mieux correspond chez lui à une corruption de l’âme dont il prend de mieux en mieux conscience. Il aimerait extirper le mal qu’il devine dans son corps, contre lequel il aimerait se battre. La lutte est inégale entre l’ambition et la perception sourde d’une douleur née des années plus tôt. Aux blessures de l’enfance répondent alors celles que s’inflige Gaspard, dans une tentative désespérée de quitter la spirale de la débauche où il est entré.
Ce roman pue. Pour la bonne cause: les odeurs délétères qui flottent au-dessus de ses pages sont le reflet d’une probable réalité à laquelle nous sommes confrontés sans préparation. Jean-Baptiste Del Amo l’affiche dès la première phrase: «Paris, nombril crasseux et puant de la France.» Avant de dérouler un récit somptueusement baroque, dans toute la gamme des teintes prises par les corps malades et les cadavres. On piétine un cimetière, la beauté s’efface rapidement, brûlée par l’acide de désirs bestiaux qui ne s’embarrassent pas d’hygiène.
L’éducation est ici celle, et uniquement celle, de l’argent et du pouvoir – pouvoir illusoire en un temps où le pays vacille sur ses bases. Les philosophes mettent en doute bien des certitudes. La Révolution n’est plus très loin. En attendant, Paris pouilleux danse une funèbre farandole, emporté dans un délire comparable au fleuve malsain qui infecte plus qu’il nettoie.