C’est un prix littéraire encore marginal, mais la plupart de celles et ceux qui l’ont baptisé Maison rouge, du nom d’un établissement de Biarritz, possèdent une réputation (une surface ?) qui lui promet une notoriété croissante, s’il dure. Le jury se compose de Philippe Djian, Frédéric Beigbeder, Frédéric Schiffer, Isabelle Carré, Dominique de Saint Pern, Diane Ducret, Claude Nori et Jean Le Gall. En outre, ils avaient élu l’an dernier l’excellent Chroniques d’une station-service, d’Alexandre Labruffe. Le choix de 2020 n’est pas mal non plus : L’île de Jacob, de Dorothée Janin.
Dans l’île en question, qui s’appelle Christmas Island, le
narrateur est arrivé adolescent, en compagnie de son père. Il y avait là des
mines de phosphate et des crabes rouges, espèce locale envahissante mais
protégée. Des millions de crabes rouges, que Werner Herzog était venu filmer,
fasciné comme nous le sommes dans la description que fait la romancière de leur
présence. Quand ils se mettent en mouvement, ils couvrent tout, on n’entend qu’eux.
Un bruit qui continue de hanter le narrateur, longtemps après : « maintenant quand je suis sur le
continent et que j’entends des rats fouiller les poubelles – j’habite un quartier
très propre, très bien, mais toutes les nuits c’est pareil – il faut que je me
force pour ne pas penser que ce sont des crabes. »
Plus un gamin, pas encore un homme, le garçon rêve de
rencontrer là une fille, « au moins
une jeune asiatique bienveillante à mon égard ». Le désir court tout le
temps qu’il passe sur l’île, mais il est pollué par d’autres préoccupations. La
présence de Jacob Cazaly, réputé sexy, auréolé d’une réputation de tombeur – « des kilotonnes de touristes »,
des Allemandes dont les maris étaient à la pêche au gros – et tout à coup
replié sur la protection (ou la garde rapprochée) de Nisaï. Elle venait du Sri
Lanka, elle avait échoué sur Christmas Island comme beaucoup d’autres
clandestins qui finissaient enfermés au « centre d’accueil et de
traitement de l’immigration ». Car l’île était devenue une prison
australienne, un territoire éloigné sur lequel les règles du droit d’asile n’avaient
pas cours.
On pouvait indéfiniment détenir
les gens qui étaient là en attendant de décider quoi en faire et où les
renvoyer. Selon les cauchemars de saison dominaient les Tamouls, les Hazaras d’Afghanistan, les Kurdes. Ils
étaient un peu plus nombreux que les habitants de l’île, leur nombre augmentait
chaque année.
Des réfugiés, des crabes en sursis, un homme plein de mystères et, à y regarder de près, peut-être menaçant, c’est plus qu’il n’en faut pour déstabiliser le narrateur et appeler, en écho d’une catastrophe écologique globale, une catastrophe intime dont Vicky, présente à cette époque, retrouvée plus tard, prend peut-être la mesure. Ou pas.
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