Il est de ces télescopages sur lesquels on s’arrête
brièvement, alors qu’on devrait peut-être en chercher le sens – mais la vie n’a
pas le temps, alors on continue, quitte à se dire plus tard : zut ! j’aurais
dû creuser…
Ne creusons pas trop, ce serait donner à une coïncidence une
valeur qu’elle n’a peut-être pas. Mais quand même…
Hier soir, je commençais Extérieur
monde, d’Olivier Rolin. J’y croise un vers de Baudelaire :
Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais
Ce matin, plongé dans un entretien avec Alain Finkielkraut
publié dans L’Obs, voici que le
bégaiement gagne ma lecture, puisque j’y trouve :
Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !
Étonnant, non ?
Baudelaire est assez riche pour se trouver à l’intersection
des univers d’auteurs qui ont assez peu de choses en commun. Rolin erre,
Finkielkraut pense – je simplifie à l’excès, je sais.
Pour rassurer un peu sur l’ordre des choses qui ne s’en
trouvera pas complètement ébranlé, chacun des deux tire quand même ce vers de
son côté.
Olivier Rolin cite ce vers en hommage aux apparitions
féminines qui fixent une partie de son ambition littéraire : « Tenter de ressusciter ces grâces
aperçues, ces émotions vite évanouies, trouver les quelques traits qui les
feront émerger, vivantes de la vie des mots, de la grande cave d’ombre du
passé, est une gageure qui n’est pas indigne d’un écrivain. »
Alain Finkielkraut l’utilise pour servir sa vision d’un
monde en cours de changement (changement qui, dans son esprit, n’est certes pas
toujours pour le meilleur) : « Aujourd’hui,
c’est impossible : le poète en serait pour ses frais, la passante aurait
les yeux rivés sur son écran. »
On en pensera ce qu’on veut (je n’en pense pas moins). Ou
(et ?) on relira ce poème des Fleurs
du mal.
À une passante
La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;
Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Un éclair… puis la nuit ! – Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?
Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais
peut-être !
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j’eusse aimée, ô
toi qui le savais !
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