Presque à la fin de Capitaine,
son deuxième roman, Adrien Bosc, lisant La
Terre magnétique, d’Edouard Glissant, a cette réflexion : « en somme peu importe le voyage, seul
compte le récit qui en est fait. » Elle naît de la manière dont
l’écrivain semble avoir saisi l’île de Pâques « comme personne auparavant, avec une lucidité et une audace dont
des explorateurs consciencieux auraient manqué », alors même qu’il n’y
est pas allé.
Capitaine raconte aussi un voyage, Adrien Bosc ne l’a pas fait non plus. Mais le récit qu’il en donne laisse croire qu’il s’est glissé dans les coursives du Capitaine-Paul-Lemerle à son départ de Marseille pour l’Amérique, le 24 mars 1941, et qu’il a bavardé, pendant la traversée, escales comprises, avec tous les passagers.
Capitaine raconte aussi un voyage, Adrien Bosc ne l’a pas fait non plus. Mais le récit qu’il en donne laisse croire qu’il s’est glissé dans les coursives du Capitaine-Paul-Lemerle à son départ de Marseille pour l’Amérique, le 24 mars 1941, et qu’il a bavardé, pendant la traversée, escales comprises, avec tous les passagers.
Ils ne sont pas les premiers venus. Adrien Bosc ne voyage pas
avec n’importe qui. Dans Constellation,
l’avion qui fournissait le titre de son premier roman et s’écrasa aux Açores en
1949, il y avait Marcel Cerdan et Ginette Neveu, entre autres voyageurs moins
connus auxquels il avait restitué identité et histoire personnelle. Sur le Capitaine-Paul-Lemerle, on croise André
Breton, Claude Lévi-Strauss, Anna Seghers, Victor Serge, Wifredo Lam, Alfred
Kantorowicz. Et Simone Weil, sur le quai, regardait partir le cargo…
Même un surréaliste est préoccupé de choses matérielles. A
l’escale d’Oran, André Breton fait une liste des commissions indispensables à
une digne survie pendant la traversée. Il a besoin d’une salopette, de tabac,
de transatlantiques, d’un peigne, de savon, etc., l’énumération est longue et
se prolonge par celle des personnes à qui il doit absolument écrire, car qui
sait quand partiront les prochaines lettres ? Skira, Bonnard, Paulhan, Péret, Mabille, Denoël, Matta, Francis, Tanguy
devraient en être, cette fois, les destinataires.
Les soucis
quotidiens prennent de la place, comme dans la vie, en fait. Il n’est pas
interdit de penser qu’Adrien Bosc aurait pu leur en consacrer un peu moins,
mais sans doute a-t-il voulu, c’est compréhensible, restituer toutes les
facettes de la vie à bord pour ces émigrés. La plupart fuyaient un climat
européen devenu dangereux pour les Juifs bien sûr mais aussi pour les
intellectuels, ces empêcheurs de penser selon la ligne droite dessinée par le
nazisme.
Le plus passionnant
du livre est constitué, bien entendu, par les échanges que peuvent avoir ces
créateurs de haut vol, ces penseurs en liberté que le hasard rassemble et dont
nous avons la chance de voir les esprits fonctionner dans un espace clos bien que
mouvant. Un jeu de l’oie, imagine Claude Lévi-Strauss : « le
voyageur est pareil au joueur qui, soufflant sur les dés, reste tributaire de
l’incertitude et du hasard, et avance à tâtons sur un chemin semé d’embûches,
de chausse-trapes, de joies vite déçues, de plans déroutés ou, à l’inverse, à
la faveur d’un coup du sort, dessine une résolution inattendue, sur le dos, qui
sait, d’autres voyageurs, eux arrêtés. »
On peut embarquer, on est en bonne compagnie.
On peut embarquer, on est en bonne compagnie.
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