Un récit sans masque romanesque : tout Modiano est dans Souvenirs dormants qui disent les
hésitations d’un homme confronté à une mémoire fuyante, en quête de points de
repère rendus flous par le temps qui s’est écoulé depuis les événements
rapportés. Les années soixante sont, avec l’Occupation, l’époque la plus
souvent évoquée par Patrick Modiano dans son œuvre. Elles marquent la fin d’une
adolescence qui tarde à se transformer en âge adulte, les débuts de romancier,
dans une atmosphère pas si éloignée de celle qui obscurcissait vingt ans auparavant,
à l’heure du couvre-feu, les rues de Paris. C’était aussi le temps où la mère
de l’écrivain accueillait son fils dans les loges des théâtres où elle jouait,
tandis que le père, cet « inconnu »,
vaquait à des occupations pas très claires.
D’une certaine manière, Patrick Modiano écrit toujours le
même livre. Ou, plus exactement, il prolonge dans chaque ouvrage une quête
commencée il y a longtemps déjà – son premier texte est paru en 1968. Le mécanisme consiste à rattacher des
bribes éparses, à reconstruire un puzzle qui n’en finit pas de révéler de
nouvelles pièces, et de fasciner. Car jamais le lecteur ne s’ennuie à suivre
les méandres superposés d’une œuvre qu’il faudra, le moment venu, considérer dans
son ensemble.
Souvenirs dormants
en sera une articulation majeure. Des personnages croisés ailleurs reviennent,
sans la précaution de la fiction. Mais avec, comme toujours, des téléphones qui
sonnent dans le vide et des doutes sur la valeur des souvenirs : « De temps en temps, il me semble que
le café s’appelait Le Bar vert, à d’autres moments, ce souvenir s’estompe,
comme les mots que vous venez d’entendre dans un rêve et qui vous échappent au
réveil. »
Cette vie rêvée est une sorte d’aventure. Au coin d’une rue
presque vide, un dimanche soir, vous croisez quelqu’un que vous croyez
reconnaître. Il ou elle vous entraîne, dans ses pas ou dans le passé, vers des
territoires qui ne sont pas totalement inconnus et qui charrient des noms, des
adresses, des numéros de téléphone, des silhouettes… Vous creusez : « avec un peu de bonne volonté, ils
vous reviennent à la mémoire, ces noms qui demeuraient dans votre esprit sous
une légère couche de neige ou d’oubli. »
Et la phrase se déroule avec son rythme propre, une fausse
nonchalance qui masque une inquiétude permanente. On y devine une question sans
réponse : que serais-je devenu si je n’avais pas été écrivain ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire