lundi 9 septembre 2019

Delphine de Vigan, les blessures d'autrefois


Deux femmes ont souffert autrefois : Hélène, enseignante, est marquée par les coups qu’elle a reçus ; Cécile, fille d’alcoolique, se sent coupée en deux. Elle est la mère de Mathis et s’inquiète de voir celui-ci fréquenter Théo, dont elle a l’impression qu’il a une mauvaise influence. Les deux garçons ont construit autour d’eux une bulle alcoolisée qui les coupe du monde réel. Mais, s’ils ont choisi cette forme de transgression, c’est parce qu’ils se sentaient déjà, d’une certaine manière, exclus.
Delphine de Vigan, dans Les loyautés, rompt, au moins par la forme brève, avec la manière qui lui a donné récemment ses plus grands succès : Les heures souterraines, Rien ne s’oppose à la nuit et D’après une histoire vraie. Mais elle reste fidèle au moteur principal de ces précédents romans : une tension psychologique installée d’abord comme un malaise sournois et qui, au fur et à mesure, s’approfondit jusqu’à faire craindre un drame majeur.
Les quatre principaux protagonistes, dont les noms alternent en tête des chapitres, possèdent chacun leurs vérités et leurs questionnements. Un peu plus de certitude du côté des adultes, mais à peine. Cécile a découvert récemment la face cachée de son mari et s’en inquiète autant que de ses propres troubles de la personnalité. Hélène veut tout faire pour le bien de Théo mais craint parfois de se montrer trop intrusive dans son existence d’adolescent.
On a parfois le sentiment d’une longue plongée au terme de laquelle le roman deviendra irrespirable. Delphine de Vigan connaît l’art de faire partager des inquiétudes, et cela passe par une écriture fluide qui n’oppose aucune résistance au lecteur. De quoi expliquer en partie la popularité de ses livres.


Entretien

Votre nouveau roman est plus court que les précédents. A quelle nécessité cela répond-il ?
C’est la volonté de revenir à une forme courte, qui m’intéresse d’un point de vue formel. J’aime l’idée d’un roman nerveux, j’avais envie d’explorer de nouveau cette forme qui suppose, du coup, une grande économie de moyens. Il y avait pour moi l’idée d’un compte à rebours qui se met en route dès le départ pour les personnages.
Avant que le roman commence, vous donnez plusieurs définitions des loyautés : des liens invisibles, les lois de l’enfance, des tremplins… Une mise au point pour le lecteur ou à votre propre usage ?
Les deux, en fait. C’est un joli mot, une mise au point… Je le voyais comme un éclairage…
Des balises ?
Oui, des clés de lecture, parce que je voulais explorer ces différents aspects de la loyauté. Pour moi, elle est forcément plurielle. Et je voulais fournir cela au lecteur, au début d’une histoire dans laquelle, d’ailleurs, le mot loyauté lui-même ne sera jamais reprononcé. Parce que ces loyautés sont souvent inconscientes, on ne se formule pas forcément à soi-même qu’il s’agit de loyauté. C’est pour ça aussi que j’avais envie de l’évoquer au début, pour ne plus du tout l’évoquer ensuite.
Les loyautés font partie des heures souterraines, pour reprendre le titre d’un autre de vos livres ?
Voilà, exactement !
Il y a quatre personnages principaux, deux femmes et deux adolescents. Vous les aviez dès le début ?
Oui, ils sont arrivés assez vite. Je me suis interrogée sur le personnage de Cécile, sur comment l’intégrer dans cette histoire où elle joue un rôle très important. A un moment, je me demandais s’il fallait la garder. Aujourd’hui, j’en suis tout à fait convaincue. Les quatre personnages existaient avant que je rentre dans l’écriture. C’est toujours le cas. J’ai une phase de préparation pour mes romans.
A propos des deux adultes, Cécile a un « radar », écrivez-vous, fourni par son passé, Hélène a souffert dans son enfance. Sont-elles hypersensibles à cause de ce qu’elles ont vécu avant ?
Oui, leur histoire respective leur permet, au fond, de déceler des choses que tout le monde ne perçoit pas, d’y être perméables.
Quant aux deux ados, on se demande un peu ce qu’ils cherchent : une perte de contrôle, la boisson pour la boisson… ?
Déjà, je pense qu’ils ne cherchent pas la même chose l’un et l’autre. Au départ, c’est finalement une transgression adolescente assez banale, j’ai envie de dire, même si elle survient à un âge très précoce. Il y a la volonté d’explorer les limites, de savoir où elles se trouvent. Pour Mathis, c’est quelque chose de cet ordre-là, avec aussi la découverte de la sensation de l’ivresse. Pour Théo, ça va au-delà, parce qu’il y a chez lui quelque chose de plus profond, probablement une volonté inconsciente de se mettre en danger, d’aller vers une forme d’effacement.
Auraient-ils pu passer par autre chose que l’alcool ?
L’alcool est très accessible aujourd’hui à quiconque. Il est en vente libre. Il est normalement interdit de vendre de l’alcool à des jeunes gens de moins de dix-huit ans, mais on sait très bien qu’ils n’ont aucune difficulté à s’en procurer.
A travers leurs cas, vous touchez à un phénomène de société. Mais vous ne le faites pas de manière explicite. Est-ce volontaire ?
Effectivement, ce qui m’intéresse, c’est d’écrire quelque chose du monde qui nous entoure, et de le faire à travers des personnages qui soient incarnés, justes, crédibles. Et j’espère, bien sûr que ça raconte quelque chose de notre monde. Mais le plus important, pour moi, c’est que les personnages soient crédibles.
C’est au lecteur qu’il appartient de concevoir, à travers eux, une vue plus générale ?
Oui, si le lecteur s’y reconnaît, s’y projette, ce que j’espère. Je ne suis pas là pour donner des leçons, pour tirer une morale. Chaque lecteur se fera son idée sur tout ça.
Selon vous, est-ce que l’alcool exclut ou est-ce parce qu’on se sent exclu qu’on boit ?
Je pencherais plutôt pour la deuxième solution mais… les deux sont vraies, en fait. Encore une fois, l’un et l’autre n’ont pas le même rapport à l’alcool. L’un des deux est capable de s’arrêter au moment où il sent que ça va trop loin. Tandis que le second n’est pas capable de s’arrêter parce que, précisément, il cherche à aller au-delà des limites.
Vous montrez la difficulté qu’ont des adultes à établir des rapports de confiance avec des adolescents plutôt égarés. Est-ce à vos yeux une part essentielle du roman ?
Je ne sais pas que vous répondre… Je ne peux pas généraliser. Hélène cherche, d’une certaine manière, à donner confiance à Théo, elle cherche par différents moyens à lui montrer qu’elle est son alliée, qu’elle peut l’aider. Mais c’est un enfant qui est réfugié dans le silence.
C’est un roman plein de tension, vous en aviez conscience ?
J’espère qu’il y a de la tension ! C’est un enjeu de vie ou de mort.
En commençant à écrire, connaissiez-vous la fin ?
Oui, j’avais vraiment la scène finale, je savais très bien où j’allais, ce que je voulais raconter.

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