Deux femmes ont souffert autrefois : Hélène,
enseignante, est marquée par les coups qu’elle a reçus ; Cécile, fille
d’alcoolique, se sent coupée en deux. Elle est la mère de Mathis et s’inquiète
de voir celui-ci fréquenter Théo, dont elle a l’impression qu’il a une mauvaise
influence. Les deux garçons ont construit autour d’eux une bulle alcoolisée qui
les coupe du monde réel. Mais, s’ils ont choisi cette forme de transgression,
c’est parce qu’ils se sentaient déjà, d’une certaine manière, exclus.
Delphine de Vigan, dans Les loyautés, rompt, au moins par la forme brève, avec la manière qui lui a
donné récemment ses plus grands succès : Les heures souterraines, Rien
ne s’oppose à la nuit et D’après une
histoire vraie. Mais elle reste fidèle au moteur principal de ces
précédents romans : une tension psychologique installée d’abord comme un
malaise sournois et qui, au fur et à mesure, s’approfondit jusqu’à faire
craindre un drame majeur.
Les quatre principaux protagonistes, dont les noms alternent
en tête des chapitres, possèdent chacun leurs vérités et leurs questionnements.
Un peu plus de certitude du côté des adultes, mais à peine. Cécile a découvert
récemment la face cachée de son mari et s’en inquiète autant que de ses propres
troubles de la personnalité. Hélène veut tout faire pour le bien de Théo mais
craint parfois de se montrer trop intrusive dans son existence d’adolescent.
On a parfois le sentiment d’une longue plongée au terme de
laquelle le roman deviendra irrespirable. Delphine de Vigan connaît l’art de
faire partager des inquiétudes, et cela passe par une écriture fluide qui
n’oppose aucune résistance au lecteur. De quoi expliquer en partie la
popularité de ses livres.
Entretien
Votre nouveau roman
est plus court que les précédents. A quelle nécessité cela répond-il ?
C’est la volonté de
revenir à une forme courte, qui m’intéresse d’un point de vue formel. J’aime
l’idée d’un roman nerveux, j’avais envie d’explorer de nouveau cette forme qui
suppose, du coup, une grande économie de moyens. Il y avait pour moi l’idée
d’un compte à rebours qui se met en route dès le départ pour les personnages.
Avant que le roman
commence, vous donnez plusieurs définitions des loyautés : des liens
invisibles, les lois de l’enfance, des tremplins… Une mise au point pour le
lecteur ou à votre propre usage ?
Les deux, en fait.
C’est un joli mot, une mise au point… Je le voyais comme un éclairage…
Des balises ?
Oui, des clés de
lecture, parce que je voulais explorer ces différents aspects de la loyauté.
Pour moi, elle est forcément plurielle. Et je voulais fournir cela au lecteur,
au début d’une histoire dans laquelle, d’ailleurs, le mot loyauté lui-même ne
sera jamais reprononcé. Parce que ces loyautés sont souvent inconscientes, on
ne se formule pas forcément à soi-même qu’il s’agit de loyauté. C’est pour ça
aussi que j’avais envie de l’évoquer au début, pour ne plus du tout l’évoquer
ensuite.
Les loyautés font
partie des heures souterraines, pour reprendre le titre d’un autre de vos
livres ?
Voilà,
exactement !
Il y a quatre
personnages principaux, deux femmes et deux adolescents. Vous les aviez dès le
début ?
Oui, ils sont arrivés
assez vite. Je me suis interrogée sur le personnage de Cécile, sur comment
l’intégrer dans cette histoire où elle joue un rôle très important. A un
moment, je me demandais s’il fallait la garder. Aujourd’hui, j’en suis tout à
fait convaincue. Les quatre personnages existaient avant que je rentre dans
l’écriture. C’est toujours le cas. J’ai une phase de préparation pour mes
romans.
A propos des deux
adultes, Cécile a un « radar », écrivez-vous, fourni par son passé,
Hélène a souffert dans son enfance. Sont-elles hypersensibles à cause de ce qu’elles
ont vécu avant ?
Oui, leur histoire
respective leur permet, au fond, de déceler des choses que tout le monde ne
perçoit pas, d’y être perméables.
Quant aux deux ados,
on se demande un peu ce qu’ils cherchent : une perte de contrôle, la
boisson pour la boisson… ?
Déjà, je pense qu’ils
ne cherchent pas la même chose l’un et l’autre. Au départ, c’est finalement une
transgression adolescente assez banale, j’ai envie de dire, même si elle
survient à un âge très précoce. Il y a la volonté d’explorer les limites, de
savoir où elles se trouvent. Pour Mathis, c’est quelque chose de cet ordre-là,
avec aussi la découverte de la sensation de l’ivresse. Pour Théo, ça va
au-delà, parce qu’il y a chez lui quelque chose de plus profond, probablement
une volonté inconsciente de se mettre en danger, d’aller vers une forme
d’effacement.
Auraient-ils pu
passer par autre chose que l’alcool ?
L’alcool est très
accessible aujourd’hui à quiconque. Il est en vente libre. Il est normalement
interdit de vendre de l’alcool à des jeunes gens de moins de dix-huit ans, mais
on sait très bien qu’ils n’ont aucune difficulté à s’en procurer.
A travers leurs cas,
vous touchez à un phénomène de société. Mais vous ne le faites pas de manière
explicite. Est-ce volontaire ?
Effectivement, ce qui
m’intéresse, c’est d’écrire quelque chose du monde qui nous entoure, et de le
faire à travers des personnages qui soient incarnés, justes, crédibles. Et
j’espère, bien sûr que ça raconte quelque chose de notre monde. Mais le plus
important, pour moi, c’est que les personnages soient crédibles.
C’est au lecteur
qu’il appartient de concevoir, à travers eux, une vue plus générale ?
Oui, si le lecteur s’y
reconnaît, s’y projette, ce que j’espère. Je ne suis pas là pour donner des
leçons, pour tirer une morale. Chaque lecteur se fera son idée sur tout ça.
Selon vous, est-ce
que l’alcool exclut ou est-ce parce qu’on se sent exclu qu’on boit ?
Je pencherais plutôt
pour la deuxième solution mais… les deux sont vraies, en fait. Encore une fois,
l’un et l’autre n’ont pas le même rapport à l’alcool. L’un des deux est capable
de s’arrêter au moment où il sent que ça va trop loin. Tandis que le second
n’est pas capable de s’arrêter parce que, précisément, il cherche à aller
au-delà des limites.
Vous montrez la
difficulté qu’ont des adultes à établir des rapports de confiance avec des
adolescents plutôt égarés. Est-ce à vos yeux une part essentielle du roman ?
Je ne sais pas que
vous répondre… Je ne peux pas généraliser. Hélène cherche, d’une certaine
manière, à donner confiance à Théo, elle cherche par différents moyens à lui
montrer qu’elle est son alliée, qu’elle peut l’aider. Mais c’est un enfant qui
est réfugié dans le silence.
C’est un roman plein
de tension, vous en aviez conscience ?
J’espère qu’il y a de
la tension ! C’est un enjeu de vie ou de mort.
En commençant à
écrire, connaissiez-vous la fin ?
Oui, j’avais vraiment
la scène finale, je savais très bien où j’allais, ce que je voulais raconter.
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