31 décembre: le colis que je prends à la poste est inhabituellement lourd. Un seul ouvrage, pourtant, sans l'enveloppe. Mais quel ouvrage! Un peu plus de 2000 pages, 2010 exactement si on s'arrête de lire avant la table des matières.
1er janvier: le millésime et la pagination coïncident donc exactement. Je n'aurai pas le temps de lire tout ça maintenant, les ouvrages de janvier m'appellent et celui-ci, qui a transité lentement par l'Allemagne, est paru fin octobre.
Mais je me suis jeté dessus comme si je n'avais rien d'autre à lire, retrouvant les sensations fortes éprouvées il y a vingt ans quand le premier volet de cette vaste entreprise littéraire de Jacques Roubaud était paru sous le titre qu'il donne maintenant à l'ensemble, Le grand incendie de Londres.
Et je redis ce que j'avais écrit en 1989.
Pour Jacques Roubaud, il y avait à l'origine un grand projet - il l'écrit même avec une majuscule, et le Projet, quand il l'évoque, suscite en nous, bien que nous n'en sachions pas grand-chose, le frisson qu'on éprouve devant la volonté de perfection, hélas! toujours plus éloignée que l'endroit atteint, comme l'horizon. Et le «récit, avec incises et bifurcations» qui porte pour titre: Le Grand Incendie de Londres annule le Projet. Parce qu'il était question d'écrire Le Grand Incendie de Londres, mais que ce soit un véritable roman à l'intérieur duquel le Projet se développe, alors que le livre tel qu'il a été obtenu n'est qu'une déclinaison de la volonté originale, bien loin de son aboutissement.
Au fond, il n'y a ici que le récit d'un échec: «Poser le rêve sur le papier, c'était l'effacer (c'est fait). Mais il n'a été posé que parce que l'échec était reconnu, parce que le renouvellement avait eu lieu.» Et on nous dira: bon, encore un écrivain qui, incapable d'écrire son livre, nous raconte comment il n'arrive pas à l'écrire. Oui, il y a un peu de cela. Et alors? Puisque Jacques Roubaud, avec le récit de cet échec, non seulement bâtit un mécanisme qui lui permet de reproduire la réalité à sa manière, mais aussi tient le lecteur en haleine, il est permis de voir dans Le Grand Incendie de Londres une réussite, certes paradoxale, mais cependant bien réelle.
Une première lecture pousse à la tentation du découpage: puisque le livre se présente sous forme de fragments numérotés (ils sont 196 au total, et ce nombre n'est pas indifférent), pourquoi ne pas détacher ceux qui, immédiatement, font sens? Les quatre luxes de Jacques Roubaud qui fait le «Portrait de l'artiste absent»: marcher, nager, compter et lire. Aucune de ces activités ne se faisant n'importe où ou n'importe comment, mais chacune d'entre elles participant du goût de la solitude. Ou bien la métaphore de la gelée d'azerole, ce fruit rare dont il fait des confitures, frissonnant à l'instant de la réussite comme la prose pourrait le faire lorsqu'elle traduit des instants, précisément. Ou encore les réflexions sur l'inexorable expansion des bibliothèques - de quoi faire peur à ceux qui sont déjà envahis par les livres.
Cette première lecture terminée, la récolte est déjà abondante. Mais ce n'est pas fini, car il manque l'essentiel: la manière dont tout cela s'organise selon des structures mathématiques et obligatoires. Mathématiques à cause du goût qu'éprouve Jacques Roubaud envers elles, obligatoires parce qu'il est de ces écrivains pour qui l'Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle, qui étudie surtout les contraintes dans la création littéraire) est un lieu de recherches particulièrement actif. Autant dire qu'on se trouve, la dernière page tournée pour la première fois, au milieu d'un vaste territoire dont la plus grande partie reste à explorer.
1er janvier: le millésime et la pagination coïncident donc exactement. Je n'aurai pas le temps de lire tout ça maintenant, les ouvrages de janvier m'appellent et celui-ci, qui a transité lentement par l'Allemagne, est paru fin octobre.
Mais je me suis jeté dessus comme si je n'avais rien d'autre à lire, retrouvant les sensations fortes éprouvées il y a vingt ans quand le premier volet de cette vaste entreprise littéraire de Jacques Roubaud était paru sous le titre qu'il donne maintenant à l'ensemble, Le grand incendie de Londres.
Et je redis ce que j'avais écrit en 1989.
Pour Jacques Roubaud, il y avait à l'origine un grand projet - il l'écrit même avec une majuscule, et le Projet, quand il l'évoque, suscite en nous, bien que nous n'en sachions pas grand-chose, le frisson qu'on éprouve devant la volonté de perfection, hélas! toujours plus éloignée que l'endroit atteint, comme l'horizon. Et le «récit, avec incises et bifurcations» qui porte pour titre: Le Grand Incendie de Londres annule le Projet. Parce qu'il était question d'écrire Le Grand Incendie de Londres, mais que ce soit un véritable roman à l'intérieur duquel le Projet se développe, alors que le livre tel qu'il a été obtenu n'est qu'une déclinaison de la volonté originale, bien loin de son aboutissement.
Au fond, il n'y a ici que le récit d'un échec: «Poser le rêve sur le papier, c'était l'effacer (c'est fait). Mais il n'a été posé que parce que l'échec était reconnu, parce que le renouvellement avait eu lieu.» Et on nous dira: bon, encore un écrivain qui, incapable d'écrire son livre, nous raconte comment il n'arrive pas à l'écrire. Oui, il y a un peu de cela. Et alors? Puisque Jacques Roubaud, avec le récit de cet échec, non seulement bâtit un mécanisme qui lui permet de reproduire la réalité à sa manière, mais aussi tient le lecteur en haleine, il est permis de voir dans Le Grand Incendie de Londres une réussite, certes paradoxale, mais cependant bien réelle.
Une première lecture pousse à la tentation du découpage: puisque le livre se présente sous forme de fragments numérotés (ils sont 196 au total, et ce nombre n'est pas indifférent), pourquoi ne pas détacher ceux qui, immédiatement, font sens? Les quatre luxes de Jacques Roubaud qui fait le «Portrait de l'artiste absent»: marcher, nager, compter et lire. Aucune de ces activités ne se faisant n'importe où ou n'importe comment, mais chacune d'entre elles participant du goût de la solitude. Ou bien la métaphore de la gelée d'azerole, ce fruit rare dont il fait des confitures, frissonnant à l'instant de la réussite comme la prose pourrait le faire lorsqu'elle traduit des instants, précisément. Ou encore les réflexions sur l'inexorable expansion des bibliothèques - de quoi faire peur à ceux qui sont déjà envahis par les livres.
Cette première lecture terminée, la récolte est déjà abondante. Mais ce n'est pas fini, car il manque l'essentiel: la manière dont tout cela s'organise selon des structures mathématiques et obligatoires. Mathématiques à cause du goût qu'éprouve Jacques Roubaud envers elles, obligatoires parce qu'il est de ces écrivains pour qui l'Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle, qui étudie surtout les contraintes dans la création littéraire) est un lieu de recherches particulièrement actif. Autant dire qu'on se trouve, la dernière page tournée pour la première fois, au milieu d'un vaste territoire dont la plus grande partie reste à explorer.
Vous donnez envie de charger la malle à lire 2010 un peu plus encore... Bonne année à vous!
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