© Jean Leclercq |
Pierre Dumayet vient de mourir. Pour moi, il était surtout l'homme de Cinq colonnes à la une, émission parfois regardée chez mes grands-parents - mes parents n'avaient pas la télévision, de peur probablement de faire entrer chez nous un véritable démon. J'ai appris trop tard l'existence de Lectures pour tous, c'était déjà le temps de Bernard Pivot (et de Michel Polac, dans un registre plus agité).
La télévision et les livres, vaste problème, en voie d'être à jamais irrésolu. Comme le dit souvent Bernard Pivot, il a eu la chance d'animer Apostrophes à un moment où le nombre de chaînes n'autorisait pas la dispersion qui est la règle aujourd'hui. Pierre Dumayet aurait pu le dire encore bien davantage...
Toujours est-il qu'il faudrait (après tout, cela existe peut-être) rassembler sur DVD les émissions de Lectures pour tous. Écrivant ceci, je suis occupé à regarder, du coin de l’œil (j'ai un grand écran), un entretien avec Louis-Ferdinand Céline, qui n'éructe pas du tout, se tient très bien et parle davantage de chiens que de littérature - la littérature, c'était pour lui surtout un moyen de gagner un peu d'argent. Et Dumayet de revenir sans cesse au livre pour lequel il le reçoit, D'un château l'autre...
Si j'ai manqué Pierre Dumayet à la télévision, je ne l'ai pas complètement ignoré. Je l'ai même rencontré, quand il a publié, en 1989, Brossard et moi. Rien que pour vous, en récompense de votre fidélité, voici l'article que j'avais publié à ce moment.
Pierre Dumayet passe son temps à prendre des notes qu'il n'utilise pas. D'ailleurs, quand il en a besoin, il ne sait plus où il les a mises. Mais si elles étaient importantes, il n'a pas besoin de les revoir pour s'en souvenir. Pour Brossard et moi, son nouveau livre, il s'est en tout cas contenté de la mémoire des notes qu'il avait dû prendre autrefois...
- J'ai surtout envie de me raconter que je vais faire un livre. L'important, c'est de commencer. Le signal, c'est l'envie d'écrire, une phrase génératrice d'une autre phrase... Mais on ne peut pas dire que j'ai inondé les librairies!
Il a tant fait parler les écrivains à la télévision qu'il n'a, en effet, pas jugé utile d'ajouter une pile d'ouvrages à celles qu'il connaissait déjà. Quatre livres en un peu plus de vingt ans, ce n'est pas excessif. Celui qui vient de paraître - chez un petit éditeur, comme le précédent, Narcisse, paru en Belgique (chez Talus d'Approche) - met en scène un narrateur qui se dédouble dans la première personne qu'il rencontre - c'est le Brossard du titre, bien sûr -, comme si la vie se faisait dès lors par procurations successives. Ce récit donne l'impression de pouvoir se lire de deux manières au moins: comme si le personnage principal se dispersait à travers plusieurs autres ou comme si les rencontres lui donnaient à chaque fois une nouvelle occasion de se découvrir lui-même. Pierre Dumayet n'a voulu, cependant, introduire qu'une seule de ces deux possibilités.
- L'ordre d'entrée en scène des personnages est clairement indiqué. Le premier qu'on attrape, c'est Brossard. Avec lui vient sa femme, et Gabrielle. Puis ils décident à tour de rôle de vivre normalement...
En parlant, Pierre Dumayet s'occupe de sa pipe. Ou l'enferme dans sa main pour la glisser - allumée! - dans sa poche... Cette pipe, qui fait partie de son image, est aussi présente dans son livre, où elle finit par occuper les personnages qui entreprennent d'en fabriquer.
- La pipe, c'est une sacrée réalité! La racine de bruyère avale des pierres qui peuvent faire rater le travail. C'est un métier risqué! Il y a une leçon de morale: une pipe, ça peut se rater plus facilement qu'on le croit! L'idée d'une pipe parfaite, que le narrateur aime bien, c'est l'idée de perfection en général...
L'humour et la distance que Pierre Dumayet place entre lui et son livre empêchent cependant de le confondre avec le narrateur. Et empêchent aussi de le prendre au sérieux. Comment d'ailleurs prendre au sérieux un homme qui dit, de son style d'écriture:
- Ça m'embêterait d'écrire une phrase qui n'aille pas ailleurs!
Ailleurs, c'est la fantaisie à laquelle donne droit ce livre - "un type de bouquin qui ne peut pas trouver une quantité de lecteurs abusive", dit-il lui-même - et qui réjouira l'esprit de ceux qui auront la curiosité de le découvrir.
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