D’abord, il y a eu le bruit, ce 12 janvier 2010 à 16h53 dans
Port-au-Prince. Dany Laferrière se trouvait au restaurant de l’hôtel Karibe,
avec deux amis, l’éditeur Rodney Saint-Eloi et le critique Thomas Spear. Il a
entendu une explosion, a cru à une mitrailleuse quand d’autres ont imaginé le
fracas d’un train, puis il a pensé à une chaudière, avant de réaliser que le
sol tremblait. Pas le temps de réfléchir. « On
s’est tous les trois retrouvés à plat ventre, au centre de la cour. Sous les
arbres. La terre s’est mise à onduler comme une feuille de papier que le vent
emporte. Bruits sourds des immeubles en train de s’agenouiller. Ils n’explosent
pas. Ils implosent, emprisonnant les gens dans leur ventre. »
Plus tard, l’imagination populaire démesurée des Haïtiens et
leur besoin de désigner un dieu responsable de tout a nommé le responsable du
séisme : Goudougoudou. Une onomatopée pour restituer, tant bien que mal,
le bruit qui a traversé, renversé la ville et ses habitants. Un dieu méchant…
Comme beaucoup d’autres écrivains venus pour le festival Étonnants voyageurs qui devait se tenir les jours suivants, Dany Laferrière
était donc sur place, auréolé de la gloire récente que lui avait valu, à la fin
de l’année précédente, le prix Médicis pour L’énigme
du retour. Lui qui, en voyage, garde toujours sous la main, outre son
passeport, un calepin noir où il note « tout
ce qui traverse mon champ de vision ou qui me passe par l’esprit »,
semblait tout désigné pour raconter ce qui est arrivé à cet instant et plus
tard. Il l’a fait très vite, dans un ouvrage qui s’appelait déjà Tout bouge autour de moi, paru dès mars
2010 au Canada, et arrivé un peu plus tard en France, complété d’impressions prolongées dans le
temps.
Son neveu, qui veut écrire aussi, lui a demandé de ne pas en
faire un roman. L’événement, explique-t-il, appartient à son époque tandis que
l’époque de Dany Laferrière est celle de la dictature. De toute manière, dit
l’aîné, « un pareil roman n’est pas
dans mes cordes. Cela exige une puissance que je ne possède pas. […] Il faudra
un Tolstoï pour tenter un tel pari. […] Pour Homère si les dieux nous envoient
des malheurs c’est pour qu’on en tire des chants. Tolstoï, Homère : on est
un peu ça avant de commencer à écrire. »
Ni l’un ni l’autre, Dany Laferrière utilise donc, pour un
sujet qui lui est littéralement tombé dessus – ou, si l’on préfère, qui a surgi
sous ses pieds –, sa manière propre. La juxtaposition de fragments qui
décrivent des scènes sur le vif, des moments précis. Des choses vues, en somme,
utilisées parfois pour faire naître la réflexion.
Dès le lendemain matin, par exemple, il voit une marchande
de mangues assise contre un mur, une dizaine de fruits à vendre devant elle.
Saint-Eloi lance : « Quel
peuple ! » Laferrière commente brièvement : « Ces gens sont tellement habitués à
chercher la vie dans des conditions difficiles qu’ils porteront l’espérance
jusqu’en enfer. »
Car il s’agit bien d’un enfer sur terre, et de la date d’une
révolution – pendant une nuit au moins. Une sorte d’année zéro, prédit un
analyste, à partir de laquelle les deux siècles précédents seront effacés des
mémoires. L’écrivain s’insurge contre ce point de vue : il n’est ni
possible ni souhaitable de faire table rase du passé, quand bien même le séisme
en aurait effacé toutes les traces. En revanche, il admet volontiers que, ce
jour-là, à 16h53, un moment fatal « a
coupé le temps haïtien en deux. » Et aussi qu’il s’agit d’un « instant pivotal » : « C’est un événement dont les
répercutions seront aussi importantes que celles de l’indépendance d’Haïti, le
1er janvier 1804. »
Après avoir pris le premier avion qui pouvait l’emmener au Canada, Dany
Laferrière découvrira les images qui ont fait déjà le tour du monde
entier : une vision globale d’une catastrophe dont il n’avait vu que les
détails. De ceux-ci, nous avons, grâce à son livre, une perception
plus fine.
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