Tom Sharpe m'a beaucoup, beaucoup fait rire. Je viens d'apprendre sa mort, à l'âge de 85 ans, en Espagne. Plutôt que de me lamenter, je vais essayer de vous faire rire avec moi en remontant, depuis le début, la saga de Wilt. Ce qui n'est pas rien. Cinq volumes irrésistibles...
Wilt, 1 à 3
En 1976 vint Wilt : Chaque fois qu’Henry promenait
son chien ou, pour être plus précis, chaque fois que son chien l’emmenait
promener ou, pour être exact, chaque fois que Mrs Wilt leur enjoignait de
débarrasser le plancher car c’était l’heure de ses exercices de yoga, il
suivait invariablement le même chemin.
Première phrase programmatique. Wilt est affublé d’une
épouse qu’il déteste et qu’il envisage très sérieusement de tuer. En répétant
son futur crime sur une poupée gonflable qui lui a valu des ennuis, il
déclenche une imprévisible série de catastrophes.
Dans le deuxième volet, cet homme fidèle par peu de goût
pour la gymnastique sexuelle tombe raide dingue d’une jeune fille au pair. Mal
lui en prend : elle se révèle une bombe au sens premier du mot, avec tout
ce que cela implique de terrorisme actif.
Et, dans le troisième tome, une étudiante de son lycée est
retrouvée morte par overdose dans la chaufferie de l’établissement. Il suffit
de quelques contradictions bénignes dans les déclarations de Wilt pour que
celui-ci aggrave son cas. Et se transforme en dangereux espion sur une base
américaine…
Tom Sharpe n’a pas toujours fait rire tout le monde :
aux début des années soixante, alors qu’il était installé en Afrique du Sud
depuis une dizaine d’années, il en a été expulsé pour avoir écrit et représenté
une pièce dénonçant l’apartheid. Revenu en Angleterre, il a créé en 1976 un
formidable personnage de professeur bougon qui attire les catastrophes. Trois
fois déjà, il l’avait plongé dans des situations dont il n’aurait
pas dû se tirer.
Au fil du temps, et puisqu’il a si bien survécu qu’il renaît
aujourd’hui dans une quatrième aventure, Wilt a vu son métier de professeur de
culture générale se transformer en travail administratif. Il gère
l’impossibilité d’organiser un département du « Tech » (un Institut
professionnel qui dispense aussi des cours pour adultes) où il n’enseigne plus
guère. Eva, son épouse, n’est pas devenue plus agréable en prenant des années
et des kilos. Elle s’est même reproduite dans d’intenables quadruplées qui
poussent de plus en plus souvent Wilt au bistrot, la bière lui étant d’un grand
réconfort. Bref, la vie professionnelle et la vie domestique se rejoignent sur
le terrain de toutes les déceptions.
Curieusement, au début de Wilt 4, notre héros,
de retour au foyer conjugal la vessie pleine et pressé de se soulager, trouve
une Eva euphorique : toute la famille est invitée aux Etats-Unis chez
l’oncle Wally et la tante Joan. Un couple riche qui envisage de rédiger un
testament en faveur des quadruplées. A condition que celles-ci cessent de jurer
comme des charretiers et respectent les vraies valeurs de l’Eglise du Christ
vivant de Wilma, ce qui paraît peu vraisemblable. Quant à Wilt, sa décision est
vite prise : Plutôt crever qu’aller aux Etats-Unis pour se faire
traiter comme un minus par l’oncle Wally et la tante Joan ! Il
prétexte donc le remplacement d’un collègue pour rester en Angleterre et
s’organiser une randonnée pédestre en père peinard, à l’aventure mais pas trop.
Les vacances tranquilles de Wilt et le merveilleux séjour
américain de ses cinq femmes sont évidemment un programme trop paisible pour
l’imagination perverse de Tom Sharpe qui ne tarde pas à lancer ses premières
peaux de banane sous les pieds du marcheur solitaire en même temps qu’il glisse
un stock de drogue dans les innocents bagages des voyageuses.
A partir de là, des deux côtés de l’Atlantique, c’est reparti
pour de l’agitation en chaîne, comme on aime. A l’ouest, la brigade des
stupéfiants est sur les dents. A l’est, l’inénarrable inspecteur Flint, qui
s’est déjà cassé trois fois les dents sur le cas Wilt et a failli devenir fou
lors d’un interrogatoire délirant, n’arrive à croire ni à la Wilt Connection ni
à la possibilité qui lui serait enfin offerte de coincer le dangereux individu
qui se cache derrière la personnalité d’un tranquille professeur. On en a vu
d’autres. On en verra encore…
Tom Sharpe ne se casse pas la tête à construire des
scénarios complexes. Il tire sur un fil et advienne que pourra, un malentendu
entraîne un incident qui tourne à la catastrophe avec un naturel désastreux.
Les dialogues sont à fleurets non mouchetés, cela éclabousse dans tous les sens
et on se laisse prendre, une fois encore, à une fantaisie comique qui balaie
toute raison sur son passage.
C’est parfois à hurler de rire, à condition de ne pas avoir
le bon goût comme critère absolu. Mais que viendrait faire le bon goût dans cette
suite de péripéties plus folles les unes que les autres ? Tom Sharpe doit
être de ces auteurs prêts à exterminer leur entourage pour un bon mot. Et,
quand il abandonne finalement ses personnages en déposant chez Wilt, en guise
de touche finale, un doigt de sagesse bien inutile, nous nous retournons sur un
champ de ruines : on a connu bien des malheurs et qu’est-ce qu’on s’est
amusé !
On reconnaît un roman de
Tom Sharpe, dans la traduction française, au ton et à la longueur de son titre.
Respirons un grand coup et allons-y, d’un souffle : Comment enseigner l’histoire à un ado dégénéré en repoussant les assauts
d’une nymphomane alcoolique. Il s’agit bien d’une
aventure de Wilt. My name is Wilt, Henry Wilt, dirait-il s’il était homme à se présenter
fièrement devant tous ceux qui mettent en danger son intégrité physique et
mentale ainsi que sa liberté. Le monde est pour lui le lieu d’un vaste complot
dans lequel un flic ne cesse de vouloir l’arrêter (il y arrive parfois), son
épouse de lui faire des ennuis, ses quadruplées de multiplier ces ennuis par
bien plus de quatre, tandis que tous les autres y ajoutent leurs vices
personnels.
Cette fois, Wilt est
chargé, pendant les vacances, de préparer Edward Gadsley à des examens. Madame
Wilt n’y voit que des avantages : leurs propres vacances seront gratuites
dans la propriété de la famille du jeune homme et un très bon salaire permettra
aux « quadruplettes », ces sauvageonnes rejetées de touts les
établissements scolaires, d’intégrer une institution plus huppée. La mère
d’Edward, qui a monté l’affaire, en bave déjà : ses appétits sexuels
seront peut-être comblés par le professeur. Qui ne demande qu’à s’enfuir. Il
n’a aucune envie de coucher avec sa patronne, Edward est un monstre prêt à
faire feu sur tout ce qui bouge et où est, dans tout cela, le repos qu’il a mérité ?
Tom Sharpe n’aime rien tant que jeter son souffre-douleur préféré dans la fosse aux lions. Et jamais à l’heure paisible où ils vont boire… Le cinquième Wilt, comme les précédents, est un roman de la démesure, pas seulement pour le titre. Certes, il faut aimer les grosses farces et le théâtre de boulevard pour l’apprécier comme il se doit. C’est-à-dire sans se prendre la tête, en se laissant aller aux péripéties même invraisemblables. Toutes barrières logiques levées, le terrain est largement ouvert au rire.
Tom Sharpe n’aime rien tant que jeter son souffre-douleur préféré dans la fosse aux lions. Et jamais à l’heure paisible où ils vont boire… Le cinquième Wilt, comme les précédents, est un roman de la démesure, pas seulement pour le titre. Certes, il faut aimer les grosses farces et le théâtre de boulevard pour l’apprécier comme il se doit. C’est-à-dire sans se prendre la tête, en se laissant aller aux péripéties même invraisemblables. Toutes barrières logiques levées, le terrain est largement ouvert au rire.
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