vendredi 28 avril 2017

L’histoire du monde cul par-dessus tête

Du passé faisons table rase, et imaginons que le monde d’aujourd’hui se soit construit autrement, propose Abdourahman A. Waberi. Envisageons un monde différent, dont l’histoire aurait été écrite, dès le point de départ, à l’opposé de ce que nous connaissons. Les conséquences auraient été les mêmes, mais à l’envers puisque tout est vu dans un miroir. Jusqu’à engendrer des débats houleux entre les uns qui veulent reconduire les illégaux à la frontière et les autres rappelant que les excédents alimentaires peuvent nourrir la planète. Rien de nouveau, donc, sous le soleil.
Sinon que ce soleil-là est braqué par Abdourahman A. Waberi sur une répartition des richesses dont la plus grande partie appartient à l’Afrique. Et depuis longtemps : « L’homme d’Afrique s’est senti, très vite, sûr de lui. Il s’est vu sur cette terre comme un être supérieur, inégalable parce que séparé des autres peuples et des autres races par une vastitude sans bornes. Il a mis sur pied une échelle de valeurs où son trône est au sommet. Les autres, les indigènes, les barbares, les primitifs, les païens, presque tous blancs, sont ravalés au rang de parias. »
L’écrivain djiboutien nous force à un salutaire exercice intellectuel : les références de la civilisation du progrès, de la fortune, etc., sont toutes africaines, pour donner naissance AuxEtats-Unis d’Afrique, puissance mondiale dont la suprématie ne fait aucun doute puisque tous les déshérités espèrent s’y installer pour une vie meilleure.
Dans un premier temps, l’effet comique est irrésistible. Mais notre rire est perverti par l’impossibilité où nous sommes de croire à ce qui nous est raconté. Puis il s’étrangle dans la gorge au fur et à mesure que la logique de cette situation devient une mécanique capable de broyer une partie du monde – la nôtre, c’est-à-dire, quand nous en prenons enfin conscience, que la puissance occidentale a effectivement contribué, dans la réalité, à conduire une partie du monde vers la misère.
Le constat est amer, au moins pour ceux qui ne voulaient pas y penser. Mais, dans ce conte philosophique traité avec drôlerie, il se fait sans amertume. L’irrésistible entrain du romancier nous emporte dans sa vision inédite.
D’autant qu’il a pris soin de nous présenter, avec Maya, un personnage d’entre-deux, une fascinante jeune fille qui a eu la chance d’échapper à la misérable existence qu’elle aurait dû mener en Normandie, si son père adoptif, Docteur Papa, en mission humanitaire dans ce coin déshérité d’Europe, n’était pas passé par là. A Asmara, en Ethiopie, elle a découvert la profondeur d’une culture qui l’a façonnée à l’africaine. Et son génie associé à sa beauté en font le symbole d’un avenir possible dans le miracle d’une réconciliation amoureuse entre les peuples.
Waberi se garde bien de faire la leçon, pas plus qu’il ne délivre aussi clairement de message d’espoir. Et sans doute son livre est-il assez touffu pour que différents lecteurs en dégagent des lignes de force variées. Voici en tout cas un ouvrage d’une rare intelligence qui, sans faire mine de se prendre au sérieux, fournit matière à réflexion. Et de la plus profonde, celle qu’on amène par le sourire.

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