samedi 4 mai 2019

Le mariage arrangé d’Anne Tyler

Disons-le tout de suite pour pouvoir l’oublier : Vinegar Girl, l'avant-dernier roman d’Anne Tyler traduit en français (un autre, La danse du temps, vient de paraître chez Phébus), est « une turbulente réécriture de La mégère apprivoisée de Shakespeare à l’époque contemporaine ». L’éditeur prévient mais rend-il service au texte en le faisant ? Le livre n’a pas besoin de références, il tient parfaitement debout sans cela, surtout dans les moments où il se redresse après avoir vacillé. Car les occasions de tomber ne manquent pas.
Il est question, en gros, mais aussi dans le détail, des relations entre les hommes et les femmes.
Côté masculin, ils sont principalement deux. Le docteur Baptista, éminent chercheur qui travaille sur les maladies auto-immunes, est totalement absorbé par sa tâche et ne prête qu’une attention distraite à sa famille (deux filles, on y vient), surtout depuis la mort de son épouse. Aux yeux des responsables de subventions, il semble tourner en rond et peut-être n’obtiendra-t-il jamais aucun résultat, bien qu’il soit persuadé du contraire et croie toucher au but. Mais, pour cela, il a besoin de la présence de son assistant, Pyotr, que son patron et beaucoup d’autres appellent souvent Pyoder, faute d’arriver à prononcer correctement son prénom. Faute aussi d’accomplir l’effort nécessaire. Or le visa de Pyotr expirera bientôt et Baptista cherche à le faire renouveler.
Il a imaginé d’utiliser Kate, sa fille aînée, vingt-neuf ans, assistante dans une école pour petits et, surtout, un esprit indépendant qui reçoit la proposition de son père comme une gifle : il s’agit en effet d’épouser Pyotr qui, grâce au mariage, aurait le droit de rester aux Etats-Unis et de prolonger, du même coup, son aide aux travaux de Baptista. Kate n’est pas assez émancipée, contrairement à ce qu’elle pense, pour ne pas être encore, au plus profond d’elle-même, une fille obéissante. D’ailleurs, à force de subir les assauts de son père, Kate laisse l’hypothèse cheminer en elle et résiste de moins en moins… jusqu’à finir par accepter, en posant de nombreuses conditions. Sa jeune sœur Bunny est horrifiée : elle n’a l’âge d’aucune autorisation paternelle et Kate veille à ce qu’elle se conforme aux règles, mais elle n’aime rien tant que les transgresser. Ce mariage arrangé, purement formel en principe, lui semble aberrant.
Le sujet est grave, il est traité avec une irrésistible drôlerie. La fausse naïveté du père qui ne voit pas où serait le mal, les manœuvres maladroites de Pyotr pour se rapprocher de Kate, les efforts peu convaincants de celle-ci pour préserver sa liberté, les commentaires de Bunny qui fusent de manière imprévisible, tout cela fait un spectacle de choix. D’autant qu’il s’y ajoute les réactions de l’entourage, non prévenu de l’artifice, et pour lequel Kate a fait le bon choix – il serait encore meilleur si elle acceptait aussi les fastes traditionnels de la cérémonie.
Shakespeare est grand mais la comédie d’Anne Tyler plaît tout autant.

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