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dimanche 18 décembre 2016

Le livre, ça va, ça vient (7)

Vous le savez aussi bien que moi, les conversations nocturnes bénéficient d'une liberté totale, voire même de l'impunité. C'est pourquoi je ne suis qu'à moitié surpris de cet échange, avec un ami provisoirement lointain, tenu quelque part entre deux continents, avec un décalage de deux heures, il était une heure du matin chez moi.

Tout à coup, sans prévenir, il me lance:

Et, dans ses jambes où la victime se couche,
Levant une peau noire ouverte sous le crin,
Avance le palais de cette étrange bouche
Pâle et rose comme un coquillage marin.

Ce qui, reconnaissez-le avec moi, a une certaine allure.
Je ne tenais pas absolument à avoir le dernier mot, mais j'avais quelque chose à ajouter.
Je l'ajoutai donc, pour embellir la joute:

Discussion entre Raynaud et moi sur Mallarmé. Je dis: «C’est stupide». Il dit: «C’est merveilleux». Et cela ressemble à toutes les discussions littéraires.

Coolus me raconte cette artiste idée de Mallarmé. Une petite fille, toute petite, a un parapluie, tout petit. Arrive un omnibus à quatre chevaux, gros comme un monstre. La petite fille lève son petit parapluie, et le monstre s’arrête.

Mallarmé. Ses vers sont un peu de la musique, oui, comme les vers libres sont un peu du dessin.

Mallarmé écrit avec intelligence comme un fou.

Et, de cela, j'avais fait la collecte, depuis quelque temps, dans le Journal de Jules Renard.

jeudi 1 décembre 2016

Le livre, ça va, ça vient (3)

La bière belge, ou les bières belges, je n’ai pas vraiment étudié la question, entrent donc au patrimoine cuturel immatériel de l’humanité. Il faudra essayer de faire comprendre aux piliers de bar, j’en connais, j’en ai fréquenté de près, que leur ivresse est immatérielle.
Une bière belge s’appelle la Rodenbach, comme Georges, l’écrivain de Bruges-la-morte.
Jules Renard avait, en 1894, un mot sur Rodenbach, l’écrivain, qui aurait pu s’appliquer à la bière : « une littérature de cave fraîche. »

J’ai croisé Dany Laferrière il y a une semaine à Madagascar, et je me serais épuisé à vouloir le suivre dans toutes les activités que son programme lui imposait. Il était dans une librairie d’Antananarivo, jeudi matin, interrogé très (trop ?) sérieusement par les autres participants à la table ronde, jusqu’au moment où il s’est lâché. Le public a, à ce moment, commencé à accrocher vraiment, et le temps ne comptait plus. On avait failli oublier que Dany Laferrière était un écrivain drôle. S’il ne s’était pas chargé de le rappeler lui-même, je lui aurais reparlé de sa grand-mère, dont il avait loué la lenteur et la sagesse, sans dire ce qu’il racontait dans un de ses livres (je ne sais plus lequel), quand cette même grand-mère lui expliquait que son attitude devait moins à un état d’esprit remarquable qu’à l’état de ses articulations. J’aurais pu aussi lui citer cet extrait de Journal d’un écrivain en pyjama, où il raconte les meilleurs côtés de sa vie :
« Mon premier livre est paru en novembre 1985, et mon sort a changé. Je ne suis pas devenu riche, loin de là, mais depuis, je mène la vie dont j’ai toujours rêvé. J’ai bien fait de miser toute ma fortune et mon énergie sur cette carte. J’ai cru dans ces fables qui ont nourri mon enfance, surtout celles où un pauvre hère, d’un coup de baguette magique, devient un prince. Il suffit d’avoir une bonne fée, ce que fut l’écriture dans mon cas. Je suis encore étonné, moi qui voyage tant de n’avoir jamais payé un seul billet d’avion, ni une chambre d’hôtel, ni même un repas au restaurant. J’ai fait disparaître l’argent de mon champ visuel. Je traverse le monde, en sifflotant, laissant derrière moi une île à la dérive. »
En quittant Madagascar, il a fait escale à Paris avant de reprendre l’avion pour Port-au-Prince où s’ouvre aujourd’hui, jusqu’au 4 décembre, le Festival Étonnants Voyageurs. Il y retrouvera de nombreux écrivains haïtiens, ceux qu’on connaît et ceux qu’on devrait encore découvrir, ainsi que, par exemple, In-Koli Jean Bofane, Bernard Chambaz, Paule Constant, Hakan Günday, Bob Shacochis, sans oublier Michel Le Bris.

Le Calendrier de l’Avent du domaine public est ouvert. Chaque jour de décembre, en commençant donc aujourd’hui, il fournit le nom d’un auteur dont les œuvres entreront dans le domaine public le 1er janvier prochain. Et cela démarre fort, avec Herbert George Wells, né en 1866, mort en 1946, qui a signé en trois ans quatre classiques majeurs de la science-fiction : La Machine à explorer le temps (The Time Machine, 1895), L’Île du docteur Moreau (The Island of Doctor Moreau, 1896), L’Homme invisible (The Invisible Man, 1897) et La Guerre des mondes (The War of the Worlds, 1898). On relirait volontiers Un homme de tempérament, de David Lodge, en attendant, d’ici au 31 décembre, les noms des autres auteurs qui, comme le dit le site, s’élèveront dans le domaine public en 2017.
Petite précision pour les distraits : les traductions françaises de Wells ne seront dans le domaine public dans un mois que si le ou les traducteur(s) sont aussi morts avant 1947. Et pas pour la France pendant la Seconde Guerre mondiale…

mercredi 5 octobre 2016

Jules Renard, "Lettres à l'amie"

Une nouveauté de la Bibliothèque malgache

C’est un peu à cause de Pierre Assouline et de son Dictionnaire amoureux des écrivains et de la littérature, publié chez Plon. Il y parle de Jules Renard en donnant l’envie d’y retourner. Au Journal, bien sûr, mais pourquoi pas aussi au reste, et le reste est venu par hasard. Presque par hasard. Le même dictionnaire contient une entrée « Revues », écrite avec autant d’appétit. Évoque André Suarès, Albert Thibaudet, qui furent des premières années, pas tout à fait au début mais presque, de La Nouvelle Revue française.
Tout en lisant le Dictionnaire amoureux d’Assouline, je m’interrompais sans cesse, courant les archives numérisées, lisant un bout de cet auteur, une page de tel autre, avant de penser à la collection de La Nouvelle Revue française, précisément, que j’avais sous la main. J’y retrouverais Suarès, Thibaudet, et tous ceux auxquels je ne pensais pas. Même Jules Renard, à qui j’avais pensé peu avant, tiens !
Les bibliothèques, la mienne, la vôtre, les établissements spécialisés, les lieux ouverts au grand public, sont de parfaits endroits où se perdre, pour y dénicher des textes dont on ignorait qu’on voulait les lire.
Voilà comment me sont apparues, en guise d’évidences, les Lettres à l’amie de Jules Renard, publiées en deux livraisons de La Nouvelle Revue française, en juillet et août 1913. Je ne les connaissais pas. Vous non plus, peut-être. Elles gagnent à être connues. Il y a là une joyeuse mauvaise foi appliquée à une relation amoureuse qui finit en histoires de la campagne – comme on en trouve aussi dans le Journal.
Les Éditions de la revue les ont publiées, cette même année 1913, dans L’œil clair, avec d’autres textes. L’ensemble faisait un honnête volume, que l’on peut trouver disparate. En hommage au hasard, hasard en partie forcé sur la piste suivie, ressortons donc ces dix-neuf envois, une trentaine de pages dans l’ouvrage. Pour le goût retrouvé des qualités que Pierre Assouline trouve à son Journal : « Jules Renard est de ces rares auteurs dont l’humeur lucide vous réconcilie avec la vie par ses paradoxes ironiques, et la poésie qui nimbe en permanence sa morale littéraire, fût-elle des plus rosses. »

vendredi 14 mars 2014

A qui appartient la Pléiade ?

Chère cousine,

As-tu, comme moi et beaucoup d'autres, rêvé un jour de te constituer un mur de Pléiades? Avec leurs couleurs signalant les époques, leur papier bible que j'ai vu un jour dans les machines d'une imprimerie de Bruges, leurs dorures à l'or fin, leur appareil critique de plus en plus volumineux (c'est en partie une légende, car j'ai vu des volumes récents, les Jules Verne parus il y a environ deux ans, où les notes étaient réduites à leur plus simple expression), leur aspect cossu - et l'absence d'envie de les ouvrir puisqu'il suffirait de posséder la collection complète pour s'offrir la possibilité, la possibilité seulement, d'avoir sous la main le meilleur de la littérature de tous les temps? C'est beau, reposant, leur présence dans un intérieur en dit plus long sur leur propriétaire qu'une Rolex au poignet - mais n'apprend rien sur la manière dont il fréquente, ou non, les textes protégés par leur reliure.
Ce désir m'a quitté depuis longtemps (celui des Pléiades, puisque celui d'une Rolex ne m'a jamais contaminé). Pas l'admiration pour une collection dont je ne possède qu'un volume - le Journal de Jules Renard, dans une édition de 1960 achetée il y a quelques années, 30 euros, chez un bouquiniste parisien des quais de Seine. Je m'en suis servi, il y a quelques jours, pour y puiser quelques citations sur l'âge et la vieillesse (tu n'as pas à connaître les raisons de cette recherche). Mais l'honnêteté m'oblige à ajouter que, si j'ai en effet feuilleté l'exemplaire de la Pléiade, j'ai utilisé davantage une version numérique du même Journal. Le texte, après tout, compte davantage que son habit, même en cuir d'excellente qualité.
Reste donc cette admiration détachée de son objet, et je vois avec plaisir se compléter le mur virtuel des livres que je ne possède pas. Le mois dernier, les Œuvres de Philippe Jaccottet, hier le troisième tome des Œuvres romanesques complètes de Stendhal, le mois prochain les Œuvres complètes de Madame de Lafayette, puis en mai les tomes trois et quatre des Œuvres complètes de Marguerite Duras...
Tout cela a de l'allure, c'est le moins qu'on puisse en dire. Aussi l'information circulant depuis quelque temps déjà de la prochaine entrée de Jean d'Ormesson dans la prestigieuse Bibliothèque a-t-elle surpris. Que diable cet homme charmant, mais qui doit savoir, car il n'est pas idiot, combien la valeur de son oeuvre est relative, viendra-t-il faire dans un catalogue qui semble taillé à d'autres mesures que son habit d'académicien?
J'ai lu sur le sujet des commentaires réjouis et des réflexions acides. Les premiers et les secondes tout aussi justifiés. Mais tous se trompaient de sujet. La Bibliothèque de la Pléiade n'est pas, contrairement à ce qu'elle représente dans l'imaginaire collectif, un patrimoine immatériel de l'humanité. C'est une collection qu'il faut faire vivre et dont les responsables, Antoine Gallimard au premier chef, font ce qu'ils veulent, comme ils l'entendent et selon les orientations qui leur semblent les meilleures au moment particulier des prises de décision.
Donc, Jean d'Ormesson en Pléiade, pourquoi pas, après tout? Ceci dit, je serais peut-être moins serein si Katherine Pancol ou David Foenkinos étaient les suivants à y entrer.
Car, tu le sais comme moi, nos avis sur la vie littéraire sont aussi soumis au sens du vent que les choix des responsables de la Pléiade.
Je t'embrasse, chère cousine,
ton cousin.


jeudi 27 mai 2010

Jules Renard, un anniversaire

J'ai un problème avec les anniversaires: je les oublie. Le mien le premier, mais ceux des autres aussi, ce qui peut être vexant pour celles et ceux qui attendaient au moins un petit signe. (Avis aux amis de Facebook: même si le réseau social fait tout pour m'aider en les rappelant, les anniversaires correspondent très précisément à une catégorie d'événements qui suscitent ma distraction. C'est involontaire, pardonnez-moi.)
On me pardonnera aussi, je l'espère, d'évoquer le centenaire de la mort Jules Renard cent ans... et cinq jours après celle-ci.
Et, comme j'ai décidément beaucoup de choses à me faire pardonner, j'implore l'indulgence de François Morel, qui préface le Théâtre de Jules Renard. Il est si brillant, si convaincant que le lecteur peu familier de cette partie de l'œuvre de Jules Renard éprouve un peu de honte à ne pas s'y être mis plus tôt. La honte étant, sur ce sujet, largement compensée par la promesse d'un plaisir à venir pendant les 960 pages d'un fort volume.
Si je n'ai donc jamais lu une seule pièce de Jules Renard, certains textes du livre qui vient de paraître ne me sont pas étrangers. Ils ont été extraits, par exemple par Jean-Louis Trintignant, du Journal de Jules Renard.
Sur le Journal, je ne vais pas dire que je suis incollable, mais pas loin. C'est le seul volume de la Pléiade que je possède. Vous savez, cette superbe collection reliée cuir, imprimée sur papier bible, avec des notes en abondance et un texte sur lequel sont passés vingt correcteurs. Cette collection que j'ai vue si souvent sur les murs de gens friqués qui n'en ont jamais lu plus de dix pages. Je l'ai acheté d'occasion, il y a quelques années, parce que je ne le possédais plus et que, malgré un sens très limité de la propriété, il me manquait. Il m'accompagne depuis si longtemps, il m'est arrivé si souvent de l'ouvrir au hasard pour me repaître de quelques traits de l'ami Jules (dans ces moments-là, oui, je deviens familier, puisque je me reconnais la plupart du temps dans ce qu'il écrit) que je ne pouvais plus m'en passer. J'ai toujours eu des projets autour de ce Journal et, même si je n'en mènerai peut-être jamais aucun à bien, il me plaît de continuer à les caresser - ces projets, au moins, ne déposent pas leur merde dans la cour, comme le font les chats des voisins auxquels je destine bien autre chose que des caresses.
Je m'égare. Mais il est tard. Et je vais me coucher. J'hésite: Théâtre ou Journal?