Franz Schubert agonisant se trompait: «On ne prononcera plus jamais le nom de Schubert, plus jamais.» Du moins le Franz auquel Pierre Charras donne la parole dans Le requiem de Franz.
Petit et gras, orphelin de mère, jeune homme de 31 ans n’ayant vécu que pour la musique et les amis avec lesquels il s’enivrait. Malade d’avoir trouvé, face à l’absence d’amour, une maigre consolation dans la fréquentation des prostituées, qu’il appelait toutes Thérèse, femme inaccessible dont la voix avait porté son chant. Sédentaire qui n’a presque jamais quitté Vienne où, pourtant, il n’a pas trouvé à s’installer vraiment – ces derniers temps, un de ses frères l’hébergeait. Timide au point de n’avoir jamais osé aborder Beethoven malgré les stratégies qu’il avait mises en œuvre pour y parvenir.
Il a beaucoup rêvé de celui qu’il aurait pu être s’il n’avait été si laid et maladroit. L’autoportrait fictif montre un personnage touchant, fragile, manquant d’assurance jusque sur le terrain de ses propres compositions.
Un des passages les plus étonnants du livre de Pierre Charras montre Franz jouant du piano dans la propriété d’un ami. Il accompagne laborieusement Johann Michael Vogl. «Donc Vogl chantait (bien) et je l’accompagnais au piano (mal). C’était l’été, et la journée ne voulait pas finir ni laisser la place à la fraîcheur du soir.» Une guêpe pique la main de Franz, qui fait une fausse note, s’interrompt, s’évanouit quand quelqu’un extrait le dard de sa chair.
Il revient à lui, il est adossé au tronc d’un arbre et entend un autre pianiste interpréter, beaucoup mieux qu’il n’aurait pu le faire, une musique merveilleuse. «C’était parfait. Je devais bien le reconnaître, c’était parfait. La moindre note avait sa raison d’être et la place choisie pour chacune me surprenait et me ravissait à la fois. Un ineffable baume.» Son plaisir est teinté d’agacement: il se sent incapable d’en faire autant. A la fin du morceau, il s’approche du pianiste pour lui demander qui a composé cette «splendeur». Embarras du pianiste… «Mais c’est vous! C’est de vous.» Confusion de Franz, qui non seulement avait oublié cette mélodie mais surtout ne l’avait jamais entendue.
Au moins ne pourra-t-on pas l’accuser de se pousser du col. Quand ses amis lui disent leur admiration pour sa musique, il rappelle que ce sont ses amis. Et comment donc l’amitié pourrait-elle engendrer la moindre réticence? Il est extrêmement sympathique, le Franz Schubert que réinvente Pierre Charras. Sympathique jusque dans ses faiblesses, et d’ailleurs aussi grâce à elles.
Cela ne suffirait pas, bien sûr, à emporter l’adhésion. Il y fallait en outre le talent d’un écrivain qui célèbre les noces de la vie et de la mort, des mots et des notes. Il découpe son roman comme un Requiem, de l’Introït à Lux aeterna. Il nous place au cœur des funérailles de Schubert alors que Franz nous parle encore. Entre le ré d’un Quatuor et le mi d’un Requiem, tout est là.
Petit et gras, orphelin de mère, jeune homme de 31 ans n’ayant vécu que pour la musique et les amis avec lesquels il s’enivrait. Malade d’avoir trouvé, face à l’absence d’amour, une maigre consolation dans la fréquentation des prostituées, qu’il appelait toutes Thérèse, femme inaccessible dont la voix avait porté son chant. Sédentaire qui n’a presque jamais quitté Vienne où, pourtant, il n’a pas trouvé à s’installer vraiment – ces derniers temps, un de ses frères l’hébergeait. Timide au point de n’avoir jamais osé aborder Beethoven malgré les stratégies qu’il avait mises en œuvre pour y parvenir.
Il a beaucoup rêvé de celui qu’il aurait pu être s’il n’avait été si laid et maladroit. L’autoportrait fictif montre un personnage touchant, fragile, manquant d’assurance jusque sur le terrain de ses propres compositions.
Un des passages les plus étonnants du livre de Pierre Charras montre Franz jouant du piano dans la propriété d’un ami. Il accompagne laborieusement Johann Michael Vogl. «Donc Vogl chantait (bien) et je l’accompagnais au piano (mal). C’était l’été, et la journée ne voulait pas finir ni laisser la place à la fraîcheur du soir.» Une guêpe pique la main de Franz, qui fait une fausse note, s’interrompt, s’évanouit quand quelqu’un extrait le dard de sa chair.
Il revient à lui, il est adossé au tronc d’un arbre et entend un autre pianiste interpréter, beaucoup mieux qu’il n’aurait pu le faire, une musique merveilleuse. «C’était parfait. Je devais bien le reconnaître, c’était parfait. La moindre note avait sa raison d’être et la place choisie pour chacune me surprenait et me ravissait à la fois. Un ineffable baume.» Son plaisir est teinté d’agacement: il se sent incapable d’en faire autant. A la fin du morceau, il s’approche du pianiste pour lui demander qui a composé cette «splendeur». Embarras du pianiste… «Mais c’est vous! C’est de vous.» Confusion de Franz, qui non seulement avait oublié cette mélodie mais surtout ne l’avait jamais entendue.
Au moins ne pourra-t-on pas l’accuser de se pousser du col. Quand ses amis lui disent leur admiration pour sa musique, il rappelle que ce sont ses amis. Et comment donc l’amitié pourrait-elle engendrer la moindre réticence? Il est extrêmement sympathique, le Franz Schubert que réinvente Pierre Charras. Sympathique jusque dans ses faiblesses, et d’ailleurs aussi grâce à elles.
Cela ne suffirait pas, bien sûr, à emporter l’adhésion. Il y fallait en outre le talent d’un écrivain qui célèbre les noces de la vie et de la mort, des mots et des notes. Il découpe son roman comme un Requiem, de l’Introït à Lux aeterna. Il nous place au cœur des funérailles de Schubert alors que Franz nous parle encore. Entre le ré d’un Quatuor et le mi d’un Requiem, tout est là.
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