vendredi 26 août 2016

Diane Meur et des générations de Mendelssohn

Un double décimètre et cinq minutes : l’outil et le temps passé avec lui par Diane Meur, narratrice de son roman, La carte des Mendelssohn, pour établir une comparaison entre une distance parcourue, à Berlin, par Moses Mendelssohn en 1772 et l’équivalent pour un Parisien de la même époque. « Je suis enchantée des cinq minutes perdues à faire ce calcul », écrit-elle. Tout n’a cependant pas été enchantement dans la rédaction d’un livre aussi épais qu’ambitieux. « Vous ne trouvez pas que ça sent un peu le moisi ? », demande-t-elle. Ou, ailleurs, presque à la fin : « Je commence à être fatiguée, vous savez. »
On le serait à moins. Elle avait commencé avec deux personnages, les plus célèbres de la famille Mendelssohn. Moses, donc, né en 1728 ou 1729 – une incertitude dès le début –, mort en 1786 en philosophe célèbre. Et Felix, son petit-fils (1809-1847), le compositeur dont la musique reste notre contemporaine. Entre eux, Abraham (1776-1835), banquier né et mort à Berlin, une vie pas vraiment faite de néant mais beaucoup moins spectaculaire que celles de son père et de son fils. Le troisième personnage, parce qu’il a laissé peu de traces visibles, semblait le plus intéressant.
Mais, à partir de là, en tirant tous les fils d’une famille qui finit par tisser sa toile sur le monde entier, à travers sept, puis huit générations, la romancière se trouve avec une monstrueuse « carte des Mendelssohn » qu’elle met six semaines à assembler et qui dessine, potentiellement, 765 histoires. Une « cartographie de la dispersion » qui l’entraîne dans la vérification de détails dont certains semblent anodins. Combien de fois cinq minutes et davantage « perdues » à vérifier l’un d’eux ?
Voilà tout le charme d’un livre qui profite d’un basculement radical. La généalogie des Mendelssohn est complexe, les vies de ses membres sont infinies ? Tant pis, ou tant mieux, puisque la perspective s’inverse en mars 2013 : « je n’écrirais pas le roman des Mendelssohn mais le roman vécu de ma recherche sur les Mendelssohn, dont je serais le seul personnage répondant à mes critères du personnage de fiction, puisque je ne connais pas d’avance ma propre vie (façon de vous dire que j’ignore absolument où, quand et comment finira ce livre). »
Alors que le lecteur se serait égaré dans les filiations et les alliances en croissance exponentielle de la famille Mendelssohn, il suit avec plaisir et même allégresse les égarements de Diane Meur, son enquête sur tous les terrains, d’Internet aux bibliothèques, des lieux visités aux rencontres. La narratrice-écrivaine arrache des bribes de vérité au passé, se construit un chemin au fur et à mesure qu’elle avance en compagnie des personnages, tentant parfois en vain de garder du recul : « L’histoire est une jungle humide où l’on perd vite pied et, pour garder les idées claires, mieux vaut s’en tenir à distance, ou tout au plus élaborer des philosophies de l’histoire sans trop regarder ce qu’il y a dedans. »
Deux ans et presque deux kilos de documents papier plus tard, à quoi il faut ajouter, entre autres choses, la confection de la fameuse « carte », devant laquelle un cartographe de métier reste sceptique, avec ses huit bristols massacrés, les rouleaux de colle et un feutre qui appartenait à son fils, voici donc le roman. Magnifique, à la hauteur des doutes qui en ont accompagné la rédaction, et qui nous est présenté comme un tapis à l’envers, du côté où l’on voit les nœuds et les effilochures.

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