Jean-Marie Blas de Roblès, qui longtemps était resté silencieux, a été (re)découvert en 2008, avec Là où les tigres sont chez eux, qui avait reçu le prix Médicis. Son retour s'est moins fait attendre, avec un roman il est vrai beaucoup plus mince - 600 pages de moins. Mais non moins fascinant...
Vous publiez, dans cette rentrée littéraire, La Montagne de minuit. En même temps que 700 autres romans. Cette abondance ne vous effraie-t-elle pas?
Elle le devrait, puisque ce nombre signifie qu’il est strictement impossible pour qui que ce soit de lire l’intégralité de ce qui paraît en septembre. Libraires, critiques, amoureux de la littérature sont donc obligés de faire un choix drastique, si bien qu’un cinquième seulement de ces ouvrages auront la chance d’être lus et de faire leur chemin. Lorsque j’écris, toutefois, la seule chose qui compte c’est d’aboutir au livre, à l’objet imprimé, au meuble fini, ciré, lustré dans ses moindres recoins. Je ne pense ni à un lecteur particulier, ni à l’ensemble de ceux qui pourraient s’intéresser à ce que je fais, mais au livre que j’aurais moi-même envie de lire; en me disant, certes un peu naïvement, que s’il me plaît à moi, il pourra captiver d’autres lecteurs. Cela s’arrête là. Dans un monde où des milliers de manuscrits sont refusés chaque année, le simple fait d’être publié est un privilège suffisant.
Quel a été le point de départ de votre roman? Une idée, une phrase, une image, que sais-je...?
Je suis parti de deux anecdotes qu’on m’avait racontées en me les donnant pour des histoires vécues; j’en avais noté autrefois le synopsis dans mes carnets. Vérifications faites, l’une, celle de Rose et de sa mère, était authentique; l’autre, celle de Bastien et des brigades tibétaines, s’est révélée fausse. Fausse et pernicieuse... D’où ma réflexion sur les limites de la fiction par rapport à la réalité. Ou une certaine réalité, en tout cas.
Avez-vous été, dans votre travail, influencé par d'autres écrivains? Ou par d'autres artistes?
Très honnêtement, je n’en sais rien. Parmi mes auteurs préférés, on trouve aussi bien Flaubert, Borges, que Huysmans où Malcom Lowry, par exemple, des univers très différents qui me fascinent et m’instruisent sans constituer pour autant des modèles à suivre. Durant mes années d’études, on m’a répété mille et une fois que pour espérer être soi-même, il fallait assimiler plutôt qu’imiter ou emprunter; je crois avoir retenu la leçon et m’efforce de l’appliquer.
« S’il y a quelque chose de pire que la religion, c’est le mythe», écrit Rose à Paul. Est-ce aussi votre opinion ?
Dit rapidement, les mythes sont des fables qui donnent du sens à l’absurdité apparente du monde et proposent les règles de conduite, les valeurs correctes à observer par tel ou tel groupe social pour continuer à exister. Dans le meilleur des cas, ces fables fonctionnent comme des contes philosophiques dont on doit tirer la morale appropriée, dans le pire – c’est le plus courant – comme autant d’illustrations d’une vérité transcendante que les hommes doivent observer sous peine de disparaître.
Rose fait allusion au conspirationisme ambiant, c’est-à-dire aux théories déraisonnables qui prétendent expliquer le malaise du monde contemporain en l’attribuant à un vaste complot ourdi par quelques-uns. Ces fables modernes fonctionnent comme autant de mythes, elles donnent un sens au malaise de notre civilisation en désignant des boucs émissaires, rassurent à bon compte, soudent de larges communautés qui se perçoivent comme victimes d’une minorité arrogante et intouchable. Elles réactivent la croyance en une vérité cachée par des instances pernicieuses, entretiennent le soupçon généralisé, la certitude d’une machination diabolique. En désignant nommément des responsables, elles préparent un nouveau sacrifice expiatoire. «On ne croit plus aux machinations des divinités homériques, auxquelles on imputait les péripéties de la Guerre de Troie, souligne Karl R. Popper. Mais ce sont les Sages de Sion, les monopoles, les capitalistes ou les impérialistes qui ont pris la place des dieux de l’Olympe homérique.»
Nous n’avons nul besoin des dieux pour essayer de construire un monde viable. On a pu espérer que leur disparition, malgré quelques adhérences ici ou là, permettrait de passer à un véritable projet humaniste, mais ce n’est pas le cas. Gagnée de haute lutte sur des siècles de peurs instinctives, la lucidité qui procède de la raison et de l’esprit scientifique reste si difficile à affronter qu’elle laisse le champ libre à toutes les croyances. Là où les religions traditionnelles ont su évoluer, canaliser le besoin de transcendance, libérer la foi du mythe au point que celle-ci fait aujourd’hui bon ménage avec la connaissance scientifique, les mythes modernes se réancrent dans l’irrationnel le plus archaïque: s’ils me semblent «pires que les religions», c’est parce qu’ils sont obtus et guerriers, parce qu’ils ont la puissance aveugle de l’obscurantisme.
Vous publiez, dans cette rentrée littéraire, La Montagne de minuit. En même temps que 700 autres romans. Cette abondance ne vous effraie-t-elle pas?
Elle le devrait, puisque ce nombre signifie qu’il est strictement impossible pour qui que ce soit de lire l’intégralité de ce qui paraît en septembre. Libraires, critiques, amoureux de la littérature sont donc obligés de faire un choix drastique, si bien qu’un cinquième seulement de ces ouvrages auront la chance d’être lus et de faire leur chemin. Lorsque j’écris, toutefois, la seule chose qui compte c’est d’aboutir au livre, à l’objet imprimé, au meuble fini, ciré, lustré dans ses moindres recoins. Je ne pense ni à un lecteur particulier, ni à l’ensemble de ceux qui pourraient s’intéresser à ce que je fais, mais au livre que j’aurais moi-même envie de lire; en me disant, certes un peu naïvement, que s’il me plaît à moi, il pourra captiver d’autres lecteurs. Cela s’arrête là. Dans un monde où des milliers de manuscrits sont refusés chaque année, le simple fait d’être publié est un privilège suffisant.
Quel a été le point de départ de votre roman? Une idée, une phrase, une image, que sais-je...?
Je suis parti de deux anecdotes qu’on m’avait racontées en me les donnant pour des histoires vécues; j’en avais noté autrefois le synopsis dans mes carnets. Vérifications faites, l’une, celle de Rose et de sa mère, était authentique; l’autre, celle de Bastien et des brigades tibétaines, s’est révélée fausse. Fausse et pernicieuse... D’où ma réflexion sur les limites de la fiction par rapport à la réalité. Ou une certaine réalité, en tout cas.
Avez-vous été, dans votre travail, influencé par d'autres écrivains? Ou par d'autres artistes?
Très honnêtement, je n’en sais rien. Parmi mes auteurs préférés, on trouve aussi bien Flaubert, Borges, que Huysmans où Malcom Lowry, par exemple, des univers très différents qui me fascinent et m’instruisent sans constituer pour autant des modèles à suivre. Durant mes années d’études, on m’a répété mille et une fois que pour espérer être soi-même, il fallait assimiler plutôt qu’imiter ou emprunter; je crois avoir retenu la leçon et m’efforce de l’appliquer.
« S’il y a quelque chose de pire que la religion, c’est le mythe», écrit Rose à Paul. Est-ce aussi votre opinion ?
Dit rapidement, les mythes sont des fables qui donnent du sens à l’absurdité apparente du monde et proposent les règles de conduite, les valeurs correctes à observer par tel ou tel groupe social pour continuer à exister. Dans le meilleur des cas, ces fables fonctionnent comme des contes philosophiques dont on doit tirer la morale appropriée, dans le pire – c’est le plus courant – comme autant d’illustrations d’une vérité transcendante que les hommes doivent observer sous peine de disparaître.
Rose fait allusion au conspirationisme ambiant, c’est-à-dire aux théories déraisonnables qui prétendent expliquer le malaise du monde contemporain en l’attribuant à un vaste complot ourdi par quelques-uns. Ces fables modernes fonctionnent comme autant de mythes, elles donnent un sens au malaise de notre civilisation en désignant des boucs émissaires, rassurent à bon compte, soudent de larges communautés qui se perçoivent comme victimes d’une minorité arrogante et intouchable. Elles réactivent la croyance en une vérité cachée par des instances pernicieuses, entretiennent le soupçon généralisé, la certitude d’une machination diabolique. En désignant nommément des responsables, elles préparent un nouveau sacrifice expiatoire. «On ne croit plus aux machinations des divinités homériques, auxquelles on imputait les péripéties de la Guerre de Troie, souligne Karl R. Popper. Mais ce sont les Sages de Sion, les monopoles, les capitalistes ou les impérialistes qui ont pris la place des dieux de l’Olympe homérique.»
Nous n’avons nul besoin des dieux pour essayer de construire un monde viable. On a pu espérer que leur disparition, malgré quelques adhérences ici ou là, permettrait de passer à un véritable projet humaniste, mais ce n’est pas le cas. Gagnée de haute lutte sur des siècles de peurs instinctives, la lucidité qui procède de la raison et de l’esprit scientifique reste si difficile à affronter qu’elle laisse le champ libre à toutes les croyances. Là où les religions traditionnelles ont su évoluer, canaliser le besoin de transcendance, libérer la foi du mythe au point que celle-ci fait aujourd’hui bon ménage avec la connaissance scientifique, les mythes modernes se réancrent dans l’irrationnel le plus archaïque: s’ils me semblent «pires que les religions», c’est parce qu’ils sont obtus et guerriers, parce qu’ils ont la puissance aveugle de l’obscurantisme.
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