Mais le fleuve tuera l'homme blanc est un roman qui a du corps. Patrick Besson lorgne du côté du roman d’espionnage et place, au cœur d' une intrigue complexe, le Rwanda et son histoire récente. La gravité de celle-ci n’empêche pas l’écrivain de céder parfois à son goût pour les bons mots. «Trois morts et deux enlèvements: on aurait dit le titre d’une comédie policière anglaise.» Heureusement: certains chapitres ressemblent davantage, et sans humour cette fois, à des leçons de géopolitique assénées avec conviction par ceux qui les prononcent. Comme il y en a plusieurs dans le livre, et de différentes sources, elles pourront se révéler contradictoires. Mais, sans contradictions, y aurait-il encore des conflits puisque tout le monde serait d’accord?
En classe affaires d’un vol Paris-Brazzaville, assis à côté d’un conseiller de présidents africains, un homme du pétrole observe une femme qu’il a reconnue avant même d’embarquer: Blandine de Kergalec, dont le nom a fait la une des journaux en 1985 pour des raisons que nous découvrirons plus tard. A son arrivée dans la capitale africaine, l’ancienne espionne est prise en filature par le narrateur des premières pages. Par désœuvrement ou dans un but précis? Patrick Besson ne joue pas cartes sur table. Dans la nuit de Brazzaville, il se contente de pousser paresseusement quelques pièces, enjeu encore dérisoire d’une partie qui prendra de l’ampleur.
Il en profite au passage pour égrener avec légèreté quelques réflexions générales. «La nuit, en Afrique équatoriale, manque de délicatesse. Elle s’affale sur les habitants comme un cheval, avec le pet de la coupure d’électricité.» Ou, sur les Européens qui arrivent en Afrique: «De blancs, ils deviennent blafards. Ils ont les yeux perdus. Leurs cheveux pointent comme des cornes de diable. Leur dos se courbe sous le poids de la misère environnante que les politiques internationales successives de développement n’ont fait que développer.»
Ne nous attardons pas plus longtemps que le romancier. Quelques pages plus loin, le pétrolier pénètre aux Rapides, un restaurant-dancing au bord du fleuve, sur les pas de Blandine de Kergalec, non sans avoir pris soin d’embarquer une jeune femme qui attendait près de l’entrée. Quelle meilleure couverture, pour un «moundélé» (un Blanc), qu’une probable prostituée?
Aux Rapides, deux nouveaux personnages entrent en scène: Tessy, l’Africaine à qui le narrateur a demandé de l’accompagner, et Joshua, un Tutsi selon toute apparence, avec lequel l’ancienne espionne semblait avoir rendez-vous. Quelques éléments sont en place. Pas tous. La partie continue.
Patrick Besson marche sur les traces de John Le Carré – plutôt que sur celles de Gérard de Villiers. Son pétrolier a lu les deux, il y repense en retrouvant Bernard Lemaire, le conseiller de l’avion, quand celui-ci lui présente Elena Petrova, une Russe qui est restée au Congo pendant toutes les guerres. Il n’est pas certain que John Le Carré aurait gardé, s’il avait écrit ce livre, la litanie de dates qui ponctuent d’épisodes violents les années récentes du pays.
Mais le fleuve tuera l’homme blanc souffre parfois – et même souvent – d’un excès de documentation. Certes, il s’inscrit dans le cadre d’événements précis, dont beaucoup sont authentiques. Était-il pour autant indispensable de les exposer dans tous leurs détails? En avions-nous besoin? Patrick Besson s’est laissé déborder par ce qu’il avait envie de dire et n’a pas vraiment dominé le matériau, très riche il est vrai, dont il disposait.
Ce n’est pourtant là qu’un reproche mineur. Car il a aussi accompli d’énormes efforts pour ne jamais lâcher le fil de son récit. On ne le lâche pas non plus. Ou plutôt: on s’accroche à tous les bouts de fil qui dépassent. Ils sont nombreux, dans une pelote qui semble longtemps inextricable. L’intrigue se démultiplie au fur et à mesure que nous apprenons à mieux connaître les personnages qui se croisent et dont le passé expliquera toujours, mais pas tout de suite, le présent.
Mais le fleuve tuera l’homme blanc aurait pu être un très grand livre. Il s’agit quand même d’un excellent roman, et ce n’est pas rien.
En classe affaires d’un vol Paris-Brazzaville, assis à côté d’un conseiller de présidents africains, un homme du pétrole observe une femme qu’il a reconnue avant même d’embarquer: Blandine de Kergalec, dont le nom a fait la une des journaux en 1985 pour des raisons que nous découvrirons plus tard. A son arrivée dans la capitale africaine, l’ancienne espionne est prise en filature par le narrateur des premières pages. Par désœuvrement ou dans un but précis? Patrick Besson ne joue pas cartes sur table. Dans la nuit de Brazzaville, il se contente de pousser paresseusement quelques pièces, enjeu encore dérisoire d’une partie qui prendra de l’ampleur.
Il en profite au passage pour égrener avec légèreté quelques réflexions générales. «La nuit, en Afrique équatoriale, manque de délicatesse. Elle s’affale sur les habitants comme un cheval, avec le pet de la coupure d’électricité.» Ou, sur les Européens qui arrivent en Afrique: «De blancs, ils deviennent blafards. Ils ont les yeux perdus. Leurs cheveux pointent comme des cornes de diable. Leur dos se courbe sous le poids de la misère environnante que les politiques internationales successives de développement n’ont fait que développer.»
Ne nous attardons pas plus longtemps que le romancier. Quelques pages plus loin, le pétrolier pénètre aux Rapides, un restaurant-dancing au bord du fleuve, sur les pas de Blandine de Kergalec, non sans avoir pris soin d’embarquer une jeune femme qui attendait près de l’entrée. Quelle meilleure couverture, pour un «moundélé» (un Blanc), qu’une probable prostituée?
Aux Rapides, deux nouveaux personnages entrent en scène: Tessy, l’Africaine à qui le narrateur a demandé de l’accompagner, et Joshua, un Tutsi selon toute apparence, avec lequel l’ancienne espionne semblait avoir rendez-vous. Quelques éléments sont en place. Pas tous. La partie continue.
Patrick Besson marche sur les traces de John Le Carré – plutôt que sur celles de Gérard de Villiers. Son pétrolier a lu les deux, il y repense en retrouvant Bernard Lemaire, le conseiller de l’avion, quand celui-ci lui présente Elena Petrova, une Russe qui est restée au Congo pendant toutes les guerres. Il n’est pas certain que John Le Carré aurait gardé, s’il avait écrit ce livre, la litanie de dates qui ponctuent d’épisodes violents les années récentes du pays.
Mais le fleuve tuera l’homme blanc souffre parfois – et même souvent – d’un excès de documentation. Certes, il s’inscrit dans le cadre d’événements précis, dont beaucoup sont authentiques. Était-il pour autant indispensable de les exposer dans tous leurs détails? En avions-nous besoin? Patrick Besson s’est laissé déborder par ce qu’il avait envie de dire et n’a pas vraiment dominé le matériau, très riche il est vrai, dont il disposait.
Ce n’est pourtant là qu’un reproche mineur. Car il a aussi accompli d’énormes efforts pour ne jamais lâcher le fil de son récit. On ne le lâche pas non plus. Ou plutôt: on s’accroche à tous les bouts de fil qui dépassent. Ils sont nombreux, dans une pelote qui semble longtemps inextricable. L’intrigue se démultiplie au fur et à mesure que nous apprenons à mieux connaître les personnages qui se croisent et dont le passé expliquera toujours, mais pas tout de suite, le présent.
Mais le fleuve tuera l’homme blanc aurait pu être un très grand livre. Il s’agit quand même d’un excellent roman, et ce n’est pas rien.
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