mercredi 19 janvier 2011

L'année littéraire (11) - Jean Dutourd, donc

Je ne pensais franchement pas vous entretenir de Jean Dutourd, mort avant-hier à 91 ans, et dont je garde le souvenir d'une rencontre où son intransigeance sur la langue française m'avait atterré.
Mais, en levant les yeux d'un gros roman dont il me reste à lire 300 pages, je tombe sur un article ancien, paru en 1991, qui prouve que je m'étais rendu une fois chez lui. Je l'avais oublié.
Souvenir d'un homme que je n'ai jamais appris à aimer...

Jean Dutourd est un homme exquis. Il reçoit chez lui, dans son bureau-bibliothèque qu'il n'a pas eu besoin d'équiper de rayonnages - quand il a acheté la maison, la pièce en était déjà toute garnie! -, et s'inquiète du confort de son interlocuteur. Puis il se met à raconter l'histoire de son nouveau livre, Portraits de femmes. Quoiqu'en fait d'histoire...
«L'histoire, ce n'est jamais très important. C'est une petite histoire qui s'est faite toute seule. Je ne savais pas très bien comment cela allait continuer. Je m'amusais à faire l'histoire d'un écrivain sans talent. Et puis, grâce à l'imagination, je ne m'en suis pas contenté...»
Alors, du point de départ qui était un portrait de Remi Chapotot, écrivain à succès mais tâcheron des lettres, Jean Dutourd a basculé vers des portraits de femmes. D'une femme, en particulier, la secrétaire de l'écrivain.
«C'est mon fantasme, Mme Petitdidier. L'idée d'avoir une secrétaire comme ça, vous pensez... Idéale! Idiote, tout ce qu'il faut, parfaite, consciencieuse, connaissant bien son métier, aux petits soins...»
Viendront ensuite deux autres femmes, une Bordelaise qui a décidé d'enlever de haute lutte le cœur de l'écrivain et une animatrice de salon littéraire qui est une sorte de monstre sacré à la Françoise Verny. Mais, avouons-le, ces portraits successifs ne nous ont pas apporté de très grand plaisir. Ils ont quelque chose de pesant qui n'enthousiasme guère. Tant pis. La conversation continue, sur le thème de la postérité.
«Le gros lot, c'est d'être lu après qu'on est mort, par des gens qui sont véritablement sans passion. Aujourd'hui, les gens vous lisent avec les passions du moment. Ils vous connaissent grâce aux moyens de l'information. Par leur canal, on devient sympathique aux uns, antipathique aux autres. Les uns vous lisent avec bienveillance, les autres avec malveillance, parce que vous les caressez dans le sens du poil ou, au contraire, parce que vous leur donnez de l'urticaire.»
Et puis, tout professionnel de l'écriture qu'il soit avec sa cinquantaine de livres derrière lui, Jean Dutourd n'est pas à l'abri de la panne, qu'il appelle fausse couche quand elle survient en cours d'écriture.
«J'ai eu trois fausses couches dans ma vie. Il y a très longtemps, j'avais 32 ans, j'avais envie d'écrire un livre sur la Commune avec des ambitions idiotes. Je me disais: non seulement je vais faire Guerre et Paix, mais je vais y ajouter la Révolution, je vais enfoncer Tolstoï! Quand on part avec des idées comme ça, c'est raté d'avance. Bien entendu, au bout de 150 pages, je me suis arrêté parce que mon héros me sortait par les yeux. La deuxième fois, c'était l'histoire d'un jeune homme et j'en avais 250 pages quand je me suis arrêté, stoppé net. Je l'ai laissé dormir sept ou huit ans, et puis je l'ai repris. Ça a donné un roman qui s'appelait Henri ou l'Éducation nationale. La troisième fausse couche, elle vient de se produire, mais ce ne sera pas une vraie fausse couche parce que je vais la reprendre, il y a là-dedans des trucs qui m'intéressent.»
Épatant, non? (Oui, Jean Dutourd a bien utilisé son mot fétiche dans la conversation.)

2 commentaires:

  1. bonjour Pierre le Malgache, une grosse tête en moins, çà ne va pas changer grand chose ...
    Elles sont amusantes tes chroniques.

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