mardi 11 mars 2014

Tom Wolfe dans le tourbillon de «Bloody Miami»

On grimpe beaucoup dans le dernier roman de Tom Wolfe. Nestor, flic baraqué d’origine cubaine, sur un mât. Magdalena, sa petite amie au début du récit, infirmière, dans les strates des classes sociales. John, journaliste au Miami Herald, dans l’estime de son patron – mais après avoir été considéré comme un moins que rien, ce qui sera aussi, à l’un ou l’autre moment, le cas de tous les personnages grâce auxquels l’écrivain dessine sur la ville de Miami un réseau serré d’informations. Cela ne fait pas de Bloody Miami un documentaire, même si son auteur aime à dire qu’il a passé beaucoup de temps à enquêter sur les relations entre les populations d’origines diverses qui s’y côtoient dans une harmonie très relative. Mais les aspects romanesques sont au cœur du moteur qui anime l’ouvrage. Beaucoup plus que la documentation.
Ascensions et chutes, donc, les secondes d’autant plus retentissantes que les premières ont été spectaculaires, dans un enchevêtrement d’histoires personnelles aux intersections amenées comme par hasard. Suivons Nestor, un bon flic, un excellent flic même, toujours prêt à donner de sa personne et à se montrer digne de la confiance de son chef. Quand il monte sur un mât de vingt mètres dans le premier chapitre (un prologue l’a précédé), c’est pour sauver un homme réfugié sur un minuscule siège de gabier et qui risque à chaque instant de s’écraser sur le pont. Au prix d’une belle performance physique, Nestor sauve donc cet homme, un Cubain qui cherchait l’asile aux Etats-Unis et ne pourra en bénéficier, faute d’avoir mis un pied à terre. Dans sa communauté et jusque dans sa famille, le bon flic est désormais un traître. Les choses ne s’arrangeront pas quand il procédera à l’arrestation musclée d’un revendeur de drogue au cours de laquelle lui et son équiper, filmés à leur insu, profèrent des injures racistes – le voyou est noir – après lesquelles ils seront suspendus. Cerise sur le gâteau, la complicité qui naît entre Nestor et John, le journaliste qui a publié un article élogieux sur son exercice de sauvetage, croît et embellit en dehors de tous les règlements de la police. Mais pour un autre genre d’exploit : révéler qu’un oligarque russe a offert à la municipalité des faux tableaux qui lui ont permis d’asseoir une réputation par ailleurs bien compromise.
Entre les affaires de police, les enquêtes journalistiques, la prostitution, la drogue, le pouvoir local, Tom Wolfe met en marche la mécanique complexe d’un thriller dont chaque protagoniste important a le temps de nous devenir familier. Et de livrer ses malsains petits (ou grands) secrets, empoisonnés par l’appartenance à telle ou telle communauté : cubaine, russe, américaine blanche, noire…
L’ensemble est porté par une écriture électrique, inattendue si l’on n’a de Tom Wolfe que l’image du dandy véhiculée par ses photos. L’écrivain fait un usage abondant des onomatopées qui hachent les phrases, des répétitions qui leur donnent un rythme stroboscopique. Bien en phase, d’ailleurs, avec un chapitre situé dans une grande boîte à strip-tease.
On a beau se dire parfois que le romancier en fait trop dans la déstructuration du langage, on reste scotché sur la page, inquiet autant que désireux de savoir où il nous conduit. Donc, on y va, ballotté comme sur un bateau rapide qui frappe l’eau – SCHLACK – dans deux scènes frappantes. Elles le sont toutes, Tom Wolfe ayant conçu les 21 chapitres comme autant de morceaux de bravoure, sans laisser le temps de souffler entre deux rebondissements.
Les raisons qui nous font aimer Bloody Miami feront dire à d’autres lecteurs que c’est un échec. Mais une telle ambition littéraire, dans la langue comme dans le contenu, quand même ! Et cette manière de placer, comme dernier mot, celui qu’on n’attend pas ! C’est fort. Très fort.

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