vendredi 7 mars 2014

Une femme, deux hommes, l'amour et Jeffrey Eugenides

L’ouverture du troisième roman de Jeffrey Eugenides (en vingt ans !), Le roman du mariage, est la description d’une bibliothèque. Les livres de Madeleine : Edith Wharton, Henry James, Dickens, Trollope, etc. Roland Barthes ne s’y trouve pas encore à ce moment mais, quand Madeleine lira Fragments d’un discours amoureux, l’amour lui semblera pouvoir être expliqué dans le filtre de cet ouvrage. L’amour en général, celui qu’elle explore pour le travail à rédiger pour l’université : « La forme interrogative : demandes en mariage et le cadre (très restreint) du féminin ». Et l’amour tel qu’elle le vit – plutôt mal.
Car, si Madeleine est clairement l’héroïne du roman, la partie masculine est tenue par deux personnages : d’une part, Leonard Bankhead, étudiant presque trop brillant et dépressif chronique, d’autre part, Mitchell Grammaticus, plus effacé et en quête de la voie spirituelle qui pourrait lui convenir. Entre eux, le choix de Madeleine est limpide : elle est amoureuse de Leonard, bien que Mitchell, à qui elle donne son amitié, soit peut-être le plus amoureux des deux jeunes gens.
Sur cette structure au fond très simple, Jeffrey Eugenides greffe ses thèmes principaux sur les trois protagonistes et réussit dans un genre familier aux écrivains américains, le « roman de campus » où la vie universitaire est scrutée autant dans sa principale raison d’être – l’acquisition d’un savoir, la formation d’un adulte – que dans ses aspects secondaires capables, par moments, de déborder le reste : les vagues du désir, la compétition entre les étudiants, la place des professeurs… On a l’impression d’avoir lu cela cent fois et, pourtant, Eugenides parvient à nous y intéresser de nouveau. Son sens de la description, sa manière de capter les conversations (en les inventant), son art de placer les personnages dans les situations les plus banales ou les plus inattendues, tout cela fait merveille. Et on ne s’ennuie pas un instant.

Le plus passionnant reste cependant le triple itinéraire personnel qui rend la structure moins simple qu’il y paraissait. Chacun est en quête de lui-même et d’un bonheur illusoire vers lequel l’amour n’est peut-être pas le chemin le plus sûr. La littérature pour Madeleine, la recherche pour Leonard, le sentiment religieux pour Mitchell pourraient leur être autant de béquilles si les différentes démarches n’amenaient pas davantage de questions que de réponses. Jeffrey Eugenides creuse en profondeur les interrogations fondamentales qui provoquent décisions ou hésitations, donnent aux personnages l’occasion de faire un bout de route ensemble ou, au contraire, de s’affronter. Entre Leonard et Mitchell, et malgré les aspects romantiques de sa personnalité, Madeleine paraît la mieux armée pour traverser les événements. Et c’est à elle qu’on ressemble, le temps de la lecture.

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