jeudi 13 mars 2014

Philip Roth face à la polio

Une intervention publique de Philip Roth avait fait beaucoup de bruit parce qu’il s’en prenait à Wikipedia. En désaccord avec l’interprétation donnée par l’encyclopédie en ligne des sources d’inspiration utilisées pour La tache, il n’avait pas été considéré comme un informateur suffisamment fiable pour être autorisé à modifier l’article. La version américaine de celui-ci résumait le débat. On peut considérer qu’il est clos. Tout en se disant que, pour un écrivain qui range ses petites affaires avant de quitter ce monde, il y a décidément maintenant une nouvelle manière de le faire…
Philip Roth aura donc vécu avec son époque depuis l’enfance jusqu’à l’heure du web 2.0. En 1944, il avait 11 ans et les grandes peurs étaient engendrées par la guerre où bien des hommes destinés à un bel avenir tombaient sur les fronts européen et asiatique. Mais aussi par une maladie aujourd’hui presque oubliée, la poliomyélite. Bucky Cantor, grand jeune homme baraqué mais à la vue trop mauvaise pour entrer dans l’armée, est directeur d’un terrain de jeu à Newark, dans le quartier juif de Weequahic. La polio est entrée dans la ville par le quartier italien et s’est disséminée ensuite pour frapper surtout Weequahic. En particulier des enfants qui fréquentent le terrain.
Bucky, dans une scène presque inaugurale de Némésis, fait face à un groupe de jeunes Italiens qui disent, en crachant aux abords du terrain de jeu, vouloir disséminer la polio qui ne frappe encore, à ce moment, que chez eux. Un peu plus tard, il calme le « dingo » du quartier, qui promène toute la journée sa crasse et ses odeurs, en lui serrant la main alors que certains le soupçonnent de propager la maladie. Une grande maîtrise de soi et un sens aigu de son devoir caractérisent le jeune homme qui se sent coupable de n’être pas au combat avec ses amis. Pour rien au monde, il ne quitterait sa fonction malgré l’épidémie. Pour rien au monde, sauf peut-être pour Marcia avec qui il envisage de se fiancer et qui, elle, se trouve à l’abri très loin des miasmes de la ville, dans un camp de vacances à Indian Hill. Il cède à son invitation de la rejoindre et part au camp avec le sentiment d’avoir déserté.
Puisqu’il retrouve son amoureuse dans un cadre privilégié, tout devrait pourtant bien se passer. Sinon que Bucky est assez remonté contre le Dieu auquel Marcia est attaché. Il le tient responsable de la maladie et des morts qu’elle provoque. Sinon aussi que la polio s’invite au camp. Apportée probablement par Bucky lui-même…
Les deux premières parties montraient le personnage principal à Newark puis à Indian Hill. La dernière, plus courte, lui fait retrouver, en 1971, un des garçons du terrain de jeu, frappé lui aussi à l’époque par la polio et handicapé comme Bucky. Celui-ci, dans des conversations qui s’apparentent à des confessions, s’explique sur la manière dont il a vécu la tragédie et ses conséquences. C’est simple et profond. Imparable.

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