jeudi 28 juillet 2016

En rayon, Jean-Paul Dubois avant la rentrée

Grégoire Leménager, dans L'Obs paru aujourd'hui, explique qu'il a trouvé le temps long: cinq ans sans un nouveau livre de Jean-Paul Dubois. La dernière fois, c'était Le cas Sneijder. Du moins cela a-t-il laissé à Thomas Vincent le loisir de terminer tranquillement son adaptation cinématographique, sans se demander si le roman suivant n'aurait pas donné un meilleur film. Le suivant, il arrive presque: La succession sort le 18 août, et Grégoire Leménager a l'air d'aimer ça. Je suis bien obligé de lui faire confiance pour l'instant, ce qui est en général une attitude raisonnable, nos goûts ne divergeant pas trop. De toute manière, si je n'avais pas confiance en Grégoire Leménager critique, j'aurais confiance en Jean-Paul Dubois écrivain. Il m'a donné assez d'occasions de vérifier que je me vautrais avec plaisir dans ses livres. Hop! encore un au programme de lecture, donc.
Pour l'instant, contentons-nous de faire un grand pas vers le passé, à propos de deux livres parus simultanément en 1992. J'avais même rencontré leur auteur - au Café de la Mairie, place Saint-Sulpice, si mes souvenirs sont exacts. L'Obs s'appelait encore Le Nouvel Observateur, Jean-Paul Dubois y travaillait et nous avons dû parler de bien autre chose que de ses dernières publications, semble-t-il, du moins si j'en juge par ce qui reste, dans mon article paru à l'époque, de notre conversation. Et vous n'aurez pas d'extrait cette fois-ci, je n'ai pas retrouvé les ouvrages. Bah! je suis à peu près certain que vous saurez vous montrer plus efficaces que moi.

Jean-Paul Dubois n’est pas un écrivain français. Ou peut-être faudrait-il dire, tout simplement, qu’il n’est pas un écrivain parisien – bien que journaliste au Nouvel Observateur, il vit à Toulouse et évite autant que possible la capitale. Ou encore qu’il est, dans sa tête, un gaucher – il faisait, dans son premier livre, un Éloge du gaucher, ce ne devait pas être un hasard.
Atypique et cependant boulimique, le voici avec deux livres cet automne : un roman, Une année sous silence, et un recueil de chroniques, Parfois je ris tout seul. De celui-ci, on voudrait citer un ou deux de ces instantanés drôles ou tragiques, jamais aussi sérieux qu’ils pourraient l’être, jamais aussi légers qu’ils pourraient paraître, mais, si on commence, on n’arrête pas. Car ces 123 petites histoires qui n’en sont pas, pour ne se suivre en rien, ont quand même toutes en commun d’être un regard sur la vie quotidienne, prise de biais, mais il arrive souvent, c’est tant mieux ou tant pis, selon les cas, qu’on s’y reconnaisse. Par un petit détail, par un sujet essentiel, peu importe. Et c’est pour cela que, quand on rit, on rit un peu jaune.
Toujours est-il que Jean-Paul Dubois n’est pas du genre à arborer fièrement, comme un étendard, ses deux livres comme un exploit. Il se dit formé à l’écriture par quinze ans de journalisme, précise que cela ne lui permet pas nécessairement d’écrire bien mais au moins de le faire vite, et rigole à l’idée de l’angoisse devant la page blanche : « Quand vous écrivez un livre, il n’y a aucune contrainte, vous avez le temps que vous voulez, on vous paie pour ça et, moi, la seule chose qui peut m’empêcher d’écrire, c’est la paresse. L’angoisse de la page blanche, je ne connais pas. Je ne dis pas que ça n’existe pas, mais il y a tout un mythe autour de ça… Oui, on peut écrire dans la douleur, mais on écrit. Ce sont des livres, quoi ! Comprenez : ce ne sont que des livres, après tout ! »
Mais quand des livres traduisent, comme Une année sous silence, un tel sentiment de désespoir, un tel détachement de la vie, c’est qu’ils représentent, quoi qu’en dise leur auteur, quelque chose d’essentiel.
Paul Miller a le sentiment que sa femme est en train de devenir folle. Les autres pensent que c’est lui qui va mal. Égaré entre ce qu’il pense être la réalité et l’image qu’on lui en renvoie, il se sent de plus en plus exilé de lui-même. Il ne faut pas vingt pages à Jean-Paul Dubois pour raconter tout ce qui s’est passé avant : la distance de plus en plus grande entre Paul Miller et sa femme, puis entre le monde et lui, la mort de sa femme, son installation dans un petit appartement, son déclin dans la hiérarchie sociale…
L’histoire de Paul Miller est terrible, elle est fondamentalement désespérée. Encore faut-il, pour penser cela, qu’on s’accorde avec le sens commun qui détermine comment on peut réussir sa vie et comment on peut la rater. De ce point de vue, il est clair que Paul Miller est un raté. D’ailleurs, il passe entre les mains des psychiatres, ce qui est bien la preuve qu’il est incapable de s’assumer, non ?
Mais là où Jean-Paul Dubois trouve un axe assez solide pour, sinon retourner le point de vue, au moins en faire douter, c’est quand il fait tout raconter par Paul Miller lui-même. La logique s’effondre. Si Miller ne veut plus parler, ce qui représente aux yeux du monde un échec flagrant, une incapacité fondamentale à accepter l’existence des autres, c’est pour lui une victoire, puisqu’il décidera, quand il le voudra, de reprendre la parole. Et ses emplois minables qui paraissent mériter le mépris – ses fils ne se privent d’ailleurs pas de le lui manifester – ne sont-ils pas un moyen de trouver une liberté nouvelle ?
Quand on parle avec Jean-Paul Dubois, il ne commente pas vraiment ses livres. Sans doute parce qu’aucun commentaire n’est nécessaire. Il suffit de passer cette Année sous silence avec Paul Miller, on aura l’impression de lire un romancier américain, au style précis, chirurgical au meilleur sens du mot – parce qu’il entaille la peau et pénètre les chairs afin de donner à voir ce qu’un homme peut avoir de plus intime –, avec cette manière si particulière de mettre sur le même pied, comme pour brouiller les pistes, l’accessoire et l’essentiel, et, au bout du compte, on réalise que même l’accessoire donne accès à l’essentiel…

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