samedi 25 août 2018

La mort de Franck Venaille

Je n'ai pas assez lu Franck Venaille qui vient de mourir à 81 ans. Son oeuvre, essentiellement poétique, court sur plus d'un demi-siècle, et un nouveau livre sortira d'ailleurs en octobre: L'enfant rouge (Mercure de France). Il m'est malgré tout arrivé de croiser ses livres, ou d'écrire un article sur une émission de télévision qui lui était consacrée - ses liens avec la Belgique étaient puissants, comme on le rappelle dans les quelques traces écrites qui suivent.


1992, « En toutes lettres » (télévision, RTBF)
La littérature et la télévision ne font pas toujours bon ménage. Même si on le déplore, il faut aussi dire que c’est, somme toute, normal : le commentaire autour d’un livre, même s’il est fait par son auteur, est toujours beaucoup moins important que le livre lui-même. Et ce n’est que dans le temps de la lecture qu’on peut y découvrir son charme ou ses faiblesses. Pas dans le temps d’une émission de télévision.
Il ne faut pas renoncer pour autant à parler de livres dans des émissions, bien au contraire. Si cela peut faire passer d’un plaisir à un autre, pourquoi pas ? Les journalistes qui continuent, malgré le manque évident d’enthousiasme de leur hiérarchie, à donner aux écrivains, dans des magazines télévisés, une place suffisante pour qu’ils ne soient pas obligés de simplifier leur démarche à l’excès, doivent être salués. Même si les résultats ne sont pas toujours à la hauteur de leurs ambitions. Quand, en outre, l’émission est bonne, ce n’est plus encourager, mais applaudir qu’il faut faire.
Marianne Sluszny mérite donc bien qu’on prête attention à son nouveau « En toutes lettres », consacré à Franck Venaille. Celui-ci n’est pas une des grandes vedettes de la littérature comme celles qui occupent souvent les plateaux – et les salons, à moins que ce soit la même chose – parisiens. Il est cependant un écrivain qui mène depuis longtemps une œuvre exigeante, plus importante sans doute que bien d’autres dont on parle davantage.
Il a aussi, et cela nous touche, cette particularité de fixer sa mémoire dans une Belgique à la fois réelle et rêvée. Réels en effet, les cafés, l’Escaut, le club d’Anderlecht. Rêvées cependant, l’unité nationale autour de la littérature, la sainteté, quelques autres caractéristiques d’un songe. Peu importe : ce qui compte chez Franck Venaille, c’est comment il s’approprie les choses, comment il les fait siennes et les transforme en littérature.
C’est ainsi qu’il s’était lancé, il y a quelque temps, et pour écrire un livre, dans un long voyage à pied pour descendre l’Escaut de sa source à son estuaire, en rendant hommage à Verhaeren au passage et en pensant à Hugo Claus ou à Louis-Paul Boon. Ce voyage s’est transformé en échec puisque, pour des raisons physiques, Franck Venaille n’a pu le mener jusqu’à son terme. Mais, quand il le raconte, il le fait avec une sérénité qui prouve bien qu’il s’en est nourri quand même…
Voilà un homme à qui on donne l’occasion de parler, et ce qu’il nous dit, de sa voix tranquille, nous séduit. Son portrait nous le rend proche, parce qu’il est réalisé sous un angle familier : Venaille parle de nous, il nous renvoie une image de ce que nous sommes. Cette image est probablement déformée, mais du moins elle existe.
Cela dit, si Franck Venaille considère la Belgique comme un territoire privilégié, il ne s’en contente pas. Son livre le plus récent, Le Sultan d’Istamboul, nous envoie jusqu’au Bosphore, en compagnie de… Venaille le Magnifique, sultan au milieu du XVe siècle. Blessé, meurtri, loin de lui-même, puisque séparé de son aventure par le temps qui s’est écoulé depuis qu’on a attenté à sa vie, il raconte et médite. En lisant ce roman, on a une surprise : on y retrouve la voix de Franck Venaille, cette voix que la télévision nous avait donnée ! C’est donc qu’un peu de littérature passe dans l’émission de Marianne Sluszny. Nous ne pouvions lui faire meilleur compliment.

1994, La halte belge
Il y a toujours quelque chose de fascinant à voir un écrivain français prendre des chemins plus familiers aux écrivains belges, comme Franck Venaille le fait, une fois encore, dans La halte belge, un petit livre où il rassemble deux textes : « L’Oiseau d’Anderlecht » et « L’Homme de Brussel-Noord ». Les spécialistes dateront aisément le premier, puisqu’il y est question de Munaron, Grün, Vercauteren, Scifo et d’un match contre le Bayern de Munich, auquel assiste l’homme qui passe par là. Il a cinquante ans, et cherche à Bruxelles quelque chose qui pourrait s’appeler l’apaisement avec soi-même, jamais nommé comme tel mais quand même très présent, en filigrane. Où le trouver mieux que dans une ville dont un habitant peut dire : « Je vis dans une ville qui cherche perpétuellement dans quelle langue elle va exprimer sa vérité. »
L’homme regarde autour de lui, écoute ce que disent les gens, et on sent qu’il aime ces lieux, qu’il les fait siens et y retrouve sa mémoire, puisqu’il y est déjà passé auparavant et qu’il remet ses pas dans les traces de pas précédents.
Franck Venaille a un regard qui, peut-être, nous en apprendra long sur l’âme même de Bruxelles. Parce qu’il est un homme qui marche dans la ville et qu’il s’interdit toute idée préconçue…

2014, La bataille des éperons d’or

L’or a beau ne pas se ternir, il se tache. Celui de la bataille des Eperons d’or en 1362 est marqué par le sang comme le sont les images d’une guerre faite une mitraillette à la main. Et l’ombre s’en étend du stade où joue le KV Kortrijk jusqu’aux tourbes de la Haute-Fagne. Et l’espoir de retrouver des joies d’enfant est souvent déçu, emporté avec le reste par la fureur des temps et des vents, quand les mots disent la mort.

2017, Goncourt de la poésie
Franck Venaille, dont l’œuvre poétique abondante se développe depuis un demi-siècle, reçoit ce prix de consécration. Il avait publié, en 2014, un recueil très inspiré par les paysages et le passé de la Belgique, La bataille des éperons d’or (Mercure de France). Le même éditeur sort son nouveau livre cette semaine : Requiem de guerre, qu’illustre dans les premières pages une photo de cheval, trouve les mots qui disent la mort et, malgré tout, la vie : « J’ai décidé de mourir avant de naître. » Le couple cavalier/cheval de guerre est d’une beauté tragique qui ne se pousse pas en avant mais s’inscrit, modestement, dans la succession des jours et des nuits. Celles-ci peuplées de rêves obscurs où les ombres, parfois, s’illuminent dans un bref éblouissement.
Frank Venaille creuse, dans une langue pure et rude, des cavernes où les mots se cherchent des familles amicales. Il ne se paie pas d’images faciles mais revisite des lieux où la mort pue, sous le regard de Villon.

jeudi 23 août 2018

Les rédactions font leurs choix dans la rentrée

Chaque semaine, les pages livres des quotidiens et des hebdomadaires voire des mensuels (et l'ensemble d'un numéro parfois pour les plus spécialisés) sont des choix rédactionnels. Certains, plus ambitieux, proposent une véritable sélection dans la rentrée littéraire et Le Monde des livres, on vous l'a dit, ponctuera même celle-ci (je vous renvoie à la présentation que j'en faisais), le 5 septembre. En voici deux aujourd'hui, qui ont pour particularités de s'arrêter là (pas de prix un peu plus tard) et d'être réalisées par couples: France Inter avec le JDD, L'Obs avec France Culture. On verra ce que ces sélections, chacune de dix titres, ont en commun.

Celle de France Inter et du JDD sépare en parts égales les romans français des romans traduits.

Romans français
  • Christophe Boltanski. Le guetteur (Stock)
  • Nina Bouraoui. Tous les hommes désirent naturellement savoir (Lattès)
  • Jérôme Ferrari. A son image (Actes Sud)
  • Nathalie Léger. La robe blanche (P.O.L?)
  • Emmanuelle Richard. Désintégration (L’Olivier)
Romans étrangers
  • Javier Cercas. Le monarque des ombres (Actes Sud)
  • Dan Chaon. Une douce lueur de malveillance (Albin Michel)
  • Carolin Emcke. Notre désir (Seuil)
  • Zadie Smith. Swing Time (Gallimard)
  • Jón Kalman Stefánsson. Ásta (Grasset)
Celle de L'Obs et de France Culture les mêle allègrement (et tout aussi allègrement envoie bouler le traditionnel ordre alphabétique, d'ailleurs la désorganisation était totale dans l'émission de radio qui a présenté la sélection).
  • Lisa Halliday. Asymétrie (Gallimard)
  • Rachel Kushner. Le Mars Club (Stock)
  • Maylis de Kerangal. Un monde à portée de main (Gallimard, Verticales)
  • Vanessa Schneider. Tu t'appelais Maria Schneider (Grasset)
  • Anton Beraber. La grande idée (Gallimard)
  • Simonetta Greggio. Elsa mon amour (Flammarion)
  • François Vallejo. Hôtel Waldheim (Viviane Hamy)
  • Jérôme Ferrari. A son image (Actes Sud)
  • Yves Bichet. Trois enfants du tumulte (Mercure de France)
  • Nicole Krauss. Forêt obscure (L'Olivier)
Ces rédactions donnent l'impression de n'avoir pas lu la même rentrée littéraire - tant mieux. Seul Jérôme Ferrari se trouve dans les deux sélections. Il est d'ailleurs aussi dans celle du Monde des livres. Prélude à une belle saison pour l'ancien lauréat du Goncourt?

«Les jours rouges», de Ben Arès

Communiqué de presse
de la Bibliothèque malgache

À Toliara et alentours, Malgaches, Karana et Vazaha se croisent, se mêlent et s’emmêlent pour le meilleur et pour le pire. On nage. Dans le cours imprévisible, les remous, la mêlée, parfois hors des flots. On vit en ville comme au village. Dans les gargotes, sur les routes de goudron éclaté et les pistes de sable. Comme chez soi en dur, en tôles ou en vondro. Reclus ou en ribote. On improvise. Aux détours d’un zébu, d’un fou, d’un trépassé ou d’un éloquent soudard. Dans le charivari infernal, le vif des traditions locales, les êtres marchent au charbon ou flottent, dévient malgré eux de foutaises en désespoirs, de malentendus en traquenards ou états de grâce. On se chamaille. On palabre pour un bien commun, un canard qu’on déplume ou un sort venu de nulle part. On s’étripe pour le sel et la terre, on rouscaille, chante la guigne ou la poisse, on s’esclaffe, se dégage, rit de l’homme, la femme qui n’a pas fini d’en voir. Et si au final les genres, les classes, les origines se confondaient pour laisser planer tous les doutes ? Et si, pétris et navigués, dénudés, au lieu de fuir, nous acceptions que tous étions du même cru, de la même trempe, sans distinction ? Qu’il en déplaise à Dieu, aux illustres Aînés, aux arrogants et férus du langage sinistré, il nous est offert de boire la vie jusqu’à la lie, la lune nouvelle et l’art de résonner du tsapiky au soleil de l’amour noir.
B. A.

Mise en vente le 23 août 2018
Édition exclusivement numérique, 3,99 € (12.000 ariary à Madagascar)
ISBN : 978-2-37363-074-9


Les premières lignes

Nous l’attendions, elle si rare, si précieuse dans notre sud aride, déshérité par les eaux divines et les coins de verdure. Depuis des lunes et des lunes, pas une goutte n’était tombée des cieux ! Les prières des plus grands sorciers, de nos plus illustres ombiasy n’étaient, semble-t-il, point entendues.
Le soleil, chaque jour, nous assommait, conduisait nos corps de commerçants des rues – gargotiers, vendeurs de soupes, d’ailes ou de cuisses grillées, tireurs de posy posy, conducteurs de charrettes à bras ou à zébus, réparateurs de bicyclettes ou de chaussures, porteurs, légumières, bouchers de saucisse, de porc ou de bœuf et poissonnières étalant des crabes, poulpes, crevettes, calmars, mérous, cabots, thons, marguerites et capitaines parmi les colonies de mouches tournoyant autour des jus, du sang, de la saumure et des sueurs, charbonniers parmi les sacs, le charbon étendu pour être débité, trié à proximité du tas d’ordures, dépotoir fumant du quartier, vendeuses de mangues, citrons, sambos ou ces beignets triangulaires fourrés d’oignon, de pomme de terre et de viande hachée, soky ou pâtés d’oursin, démerdeurs, ivrognes, filles traînant ci et là à l’affût de quelque picaille – à l’état d’inertie.

L’auteur


Ben Arès est né le 28 mars 1970 à Liège en Belgique. Dans les années 2000, il attacha beaucoup d’importance à la place du poète dans sa ville et fut l’animateur de revues littéraires et de lectures publiques en divers viviers de la cité avec David Besschops et Antoine Wauters. Fin 2009, sous l’impulsion d’une motivation singulière et intime, il quitta la Belgique pour aller vivre à Toliara au sud-ouest de Madagascar où une vie au corps à corps l’attendait. Il partage désormais son temps entre l’enseignement de l’Histoire-Géographie et des Arts plastiques au Collège Français, sa vie de famille dense, pleine de surprises, et l’écriture. Il est soucieux de plus en plus de dépeindre les tableaux de la vie courante et les sentiments des êtres appelés à s’en sortir par-delà le Bien et le Mal.


Ses livres

Aux secrets des lèvres, poésie, Tétras-lyre, Liège, 2006
Eau là eau va, poésie, éditions (o), Bordeaux, 2007
Entre deux eaux avec C. Decuyper, poésie, Le Coudrier, Bruxelles, 2007
Rien à perdre, poésie, La Différence, Paris, 2007
Ne pas digérer, roman, La Différence, Paris, 2008
Là où abonde le sel, récit, Boumboumtralala, Liège, 2009
La déferlante, poésie, Maelström, Bruxelles, 2009
Cœur à rebours, poésie, La Différence, Paris, 2009
Sans fil, poèmes, L’Arbre à paroles/Bibliothèque malgache, Amay/Antananarivo, 2009
Ali si on veut, récit, avec Antoine Wauters, Cheyne éditeur, 2010
Naître, adieu, une fuite, compte d’auteur, Tana, 2010
Aux Dianes, long poème, Tétras-lyre, Bruxelles, 2012
Mon nom est Printemps, un triptyque, L’Arbre à paroles, Amay, 2013
Tromba, une transe, Maelström, Bruxelles, 2013
Je brûle encore, nouvelles, Dodo vole, Caen, 2017

mercredi 22 août 2018

«Frère d'âme», de David Diop


On ne peut en dire autant de tous les romans de la rentrée (ni de tous ceux qui sortent à d’autres moments, d’ailleurs) : celui de David Diop, Frère d’âme, possède un ton singulier, incantatoire, halluciné, un peu au-dessus de la langue que nous utilisons dans les rapports quotidiens avec nos semblables (ou nos différents), en tout cas ailleurs. Il y a de quoi : les circonstances sont celles de la Grande Guerre où la vie d’un homme dans les tranchées valait moins que l’éclat d’obus qui le tuerait, et quasi rien s’il avait la peau noire d’un tirailleur sénégalais. (Malgré les envolées lyriques, là, on sort un instant du roman, avec lesquelles la presse coloniale célébrait le courage et l’héroïsme de nos bons indigènes.)
Alfa Ndiaye a passé ses jeunes années avec son ami, son frère jusqu’à être amoureux de la même femme, Mademba Diop. Celui-ci, blessé à mort sur le champ de bataille où ils sont tous les deux, lui demande de l’achever mais Alfa n’en trouve pas la force. Il lui remet comme il peut les tripes dans le ventre, mais les chairs, bien que sans espoir d’amélioration, sont plus faciles à rassembler que les esprits. Et celui d’Alfa sombre dans un délire où un passé vécu comme une légende se mêle à la sauvagerie des combats d’aujourd’hui, il est devenu un monstre après avoir été un héros : il coupe les mains des ennemis qu’il tue au corps à corps, les ramène comme des trophées et passe pour un individu dangereux, ce qui n’est pas faux.
La suite le montrera d’ailleurs : Alfa s’est déconnecté de ses origines, du monde où il se trouve et de lui-même, incapable de faire la part des choses entre le réel et les démons qui grouillent sous son crâne. Qu’il entende des voix est un moindre mal, qu’il se cherche dans le labyrinthe d’un cerveau atteint par les événements est somme toute assez naturel. Mais il plane désormais, comme la princesse capricieuse d’un conte dans le dernier chapitre, dans « un endroit où tout se confond, un endroit où la terre elle-même ne porte pas de cicatrices distinctives, un endroit où la terre n’a pas d’histoire. »
Frère d’âme tient de la fable cruelle, dans laquelle un homme se déshumanise par la faute de ses semblables. Cent ans après, une guerre qui a fait bien des dégâts (c’est le propre de toutes les guerres) donne encore naissance à des romans qui l’envisagent sous des angles inédits. Tant mieux.

Citation
Nous avons grandi tout doucement, Mademba et moi. Et tout doucement nous avons renoncé à prendre la route du nord de Gandiol pour attendre le retour de Penndo. À l’âge de quinze ans, nous avons été circoncis le même jour. Nous avons été initiés aux secrets de l’âge adulte par le même ancien du village. Il nous a appris comment se conduire. Le plus grand secret qu’il nous a enseigné est que ce n’est pas l’homme qui dirige les événements mais les événements qui dirigent l’homme.

DAVID DIOP
Seuil, 176 p., 17 €, ebook, 11,99 €

mardi 21 août 2018

«L'ère des suspects», de Gilles Martin-Chauffier


Il ne manque pas de réjouissantes formules à l’emporte-pièce dans L’ère des suspects, le nouveau roman de Gilles Martin-Chauffier – son onzième, avec quelques jolis prix littéraires au palmarès (Jean-Freustié, Interallié, Renaudot des Lycéens) qui ne suffisent pas à faire passer son statut d’écrivain devant celui de journaliste, au moins pour ceux qui prennent Paris Match pour un grand magazine. Il y a pourtant de l’allant dans son écriture et un goût de la sentence parfois paradoxale assez rafraîchissant.
Celle-ci, par exemple, d’un flic lecteur du Figaro (mais il trouve, en matière de police, Le Parisien mieux informé) qui goûte l’information à l’ancienne tout en regrettant les généralités quotidiennes sur les « musulmans de France » et les dangers que court l’« identité de la France » : « À mon avis, les réseaux sociaux menacent beaucoup plus notre personnalité que le Coran. » Le flic s’appelle Gildas Méheut, il est commissaire de police à Vessières et, ce jour-là, il constatait les méfaits de la chaleur. « Le changement climatique n’est pas une lubie d’écologiste. » D’autres soucis s’annoncent, forcément, on est dans un roman à l’allure policière et il faut y mettre un peu de mouvement.
Le paysage est une cité dite « zone sensible », expression sur laquelle s’interroge une jeune stagiaire, Danièle Bouyx, étudiante en droit, un peu mademoiselle-je-sais-tout, qui vient de se sentir agressée par un môme agité. Emmanuel Duval, brigadier de police qui accompagne Danièle dans sa première visite-découverte des lieux, réagit vivement à la recherche vaine qu’elle fait de la sensibilité chez les habitants : « Ils sont sensibles à l’injustice. Ici, tout le monde est au chômage. Ils demandent juste qu’on les respecte. Qu’on ne contrôle pas leur identité quatre fois par jour. Qu’on leur laisse une chance. »
Lors de cette patrouille qui n’en est pas tout à fait une, les choses ne se sont pas très bien passées et Driss Aslass, 17 ans, qui habitait en plein « Gaza », comme on surnomme le quartier, a été retrouvé un peu plus tard à l’état de cadavre au-dessus de la voie du RER. Emmanuel l’avait coursé à la demande de Danièle, sachant qu’il réagissait comme un imbécile et qu’il n’avait besoin d’en faire autant.
Bref, tout finissant par se savoir malgré les mensonges par omission, l’équipe à peine formée est mise en cause dans la mort de Driss. L’embrouille se complique des prises de position tranchées qui ne manquent jamais dans ce genre de situation, pour les nuances, passez votre chemin – allez voir plutôt du côté du roman qui, précisément, possède toutes les qualités nécessaires à une saine remise en question de quelques idées reçues (de tous bords) et se lit avec d’autant plus de plaisir que la réflexion prolonge celui-ci.

Citation
On était à trente kilomètres de la tour Eiffel mais on aurait pu être à Marseille ou à Düsseldorf, notre coin n’avait aucun caractère. Ses habitants étaient plus pittoresques. On en voyait de toutes les couleurs et de tous les styles. Une majorité d’étrangers dont on se demandait pourquoi ils avaient échoué ici. Arriver en France par la Seine-Saint-Denis, c’est se faufiler au Ritz par la cave.

GILLES MARTIN-CHAUFFIER
Grasset, 285 p., 19,50 €, ebook, 13,99 €

lundi 20 août 2018

«Les nougats», de Paul Béhergé


Méfiez-vous de vos amis. Mais de qui se méfier quand on n’en a pas, ou au moins qu’on a bien du mal à s’en faire et que le seul à paraître mériter ce statut est une crapule arriviste ? C’est en gros la situation dans laquelle se trouve Paul, « un génie maladroit », face à Olivier, « une brute » ? Ils sont présentés ainsi par l’éditeur du premier roman de Paul Béhergé, Les nougats. Ce n’est pas faux. Mais les personnages sont trop complexes pour les réduire à quelques mots. Et, surtout, l’évolution de leur relation fait tout l’intérêt d’un roman qui place le lecteur en situation d’attente : les choses ne resteront pas en l’état, quelque chose va se passer qui va tout changer. Quoi et avec quel effet ? On verra…
Paul Montès est doté d’une vive intelligence qu’il éprouve quelques difficultés à organiser dans le sens de l’efficacité. Chez lui, les idées jaillissent en flux continu bien que moins continu soit leur cheminement. Il est l’homme des fragments rassemblés, des éclairs qui ne touchent pas le sol, de l’énergie intellectuelle dépensée en vain – si cela veut dire quelque chose, car le résultat est là, malgré tout : une accumulation de textes confiés à monsieur Théodore, un homme discret et proche de la mort capable de mettre les images en relation les unes avec les autres, de développer des métaphores censées éclairer la vie et le travail, appelons cela ainsi, de Paul, bien que cela reste obscure. Enfin, voilà : Paul est l’auteur d’une grande œuvre destinée à rester méconnue.
Sauf si son « ami » Olivier, avec qui il est fâché, s’en empare pour construire sa propre gloire, à laquelle il tient beaucoup. Entre eux, pour les unir autant que pour les séparer, il y a Elise, la fiancée d’Olivier, dont Paul est amoureux aussi. « Entre deux vrais amis, on se partage tout. » Dans l’idéal absolu, au moins. La réalité est plus nuancée.
De toute manière, au point où nous en sommes au début du roman, il s’agit déjà de trouver une conclusion à l’amitié malheureuse, insatisfaisante, à sens unique. Voilà vers quoi on va, Paul narrateur ne cesse d’avertir. Il y aura un prix à payer pour sortir de l’impasse. Et la monnaie ne sera pas les nougats que Paul mâche à longueur de journées.

Citation
La narration romanesque n’est, à la manière dont je juxtapose les nougats dans mes poches, les galets dans mes boîtes en fer-blanc et les exemples historiques dans le manuscrit des Petites Collections, rien d’autre qu’une juxtaposition de formes narratives sympathiques, exubérantes et bien agencées.

PAUL BÉHERGÉ
Buchet-Chastel, 240 p., 16 €, ebook, 10,99 €

dimanche 19 août 2018

«Je voudrais que la nuit me prenne», d'Isabelle Desesquelles


Ce pourrait être un hymne aux fesses de la mère de Clémence. Elles « se tortillaient du matin au soir pour faire rire sa fille ». Dansantes, elles font des pirouettes. Remuantes, claquées par le père, souvent à l’air – la mère se promène nue dans la maison, nage nue, cuisine et mange nue. Pas étonnant qu’Alexandre, le père instituteur, qui n’a pourtant jamais fait étudier le mot « charnel » en classe, déclare à Rosalie : « Tes fesses méritent que l’on vive pour elles. »
Du désir affiché, Clémence, à huit ans, a au moins le désir. En découvrant la sensualité des peaux qui se touchent, des pressions dont elle ne sait pas encore très bien vers quoi elles peuvent la conduire, elle partage avec sa cousine Lise des gestes agréables. « Nous étions deux gamines touillant le fond d’une eau calme, jusqu’à en faire remonter le soufre, attendant d’une bulle qu’elle éclate. »
Je voudrais que la nuit me prenne, le nouveau roman d’Isabelle Desesquelles, possède une face lumineuse mais dont la fragilité apparaît de plus en plus entre les mots qui se heurtent, dans une manière de raconter ces moments à distance : si Clémence a bien huit ans dans le récit, elle en a seize de plus au moment où elle revient sur cette époque heureuse. Et le drame auquel on touche avec un peu de crainte, tant on voudrait que la lumière ne s’éteigne jamais, surviendra forcément. Pour être d’abord annoncé avec discrétion, il n’en est pas moins au programme.
Les deux aspects sont indissociables. Le plus plaisant deviendrait mièvre s’il n’était mis en valeur par le moins agréable. La force du livre réside dans l’intime complémentarité que donne la romancière aux huit premières années et aux seize qui suivent, d’une tout autre nature – et qu’on vous laisse découvrir.

Citation
Mes parents convoitaient les orages, ils s’enthousiasmaient devant leur déchaînement, redoutable et grandiose, la pluie qui griffe le ciel, les brusques bourrasques, furieuses, ils auraient ouvert leurs bras aux éclairs s’ils n’avaient craint d’être un mauvais exemple.

ISABELLE DESESQUELLES
Belfond, 208 p., 18 €, ebook, 12,99 €

La rentrée littéraire est aussi dans Le Soir:
J.M. Coetzee, L'abattoir de verre, traduit de l'anglais par Georges Lory (Seuil)
Maylis de Kerangal, Un monde à portée de main (Gallimard, Verticales)
Ainsi que:
Emilie de Turckheim, Le Prince à la petite tasse (Calmann-Lévy), par Jean-Claude Vantroyen
Yasmina Khadra, Khalil (Julliard), par Jean-Claude Vantroyen
Carole Fives, Tenir jusqu'à l'aube (Gallimard, L'Arbalète), par Nicolas Crousse
Benjamin Whitmer, Evasion, traduit de l'américain par Jacques Mailhos (Gallmeister), par Jean-Marie Wynants
Rachel Kushner, Le Mars club, traduit de l'anglais par Sylvie Schneiter (Stock), par Cédric Petit



vendredi 17 août 2018

«La tristesse des femmes en mousseline», de Jean-Daniel Baltassat

Le 20 février 1945, Paul Valéry n’a plus que cinq mois, jour pour jour, à vivre. Mais, cet après-midi-là, alors qu’il est plongé dans « la contemplation de l’aquarelle de Berthe Morisot et des feuillets noircis d’une fine écriture », le téléphone sonne et Mathilde est là, à haleter des mots qui se déversent sous le coup d’une indignation étouffante : les camps d’extermination nazis, des « cercles de l’enfer existent bel et bien », les Soviétiques ont pris des photos, « c’est pire que tout. On ne peut pas l’imaginer. Un être humain ne peut pas imaginer ça ! » Valéry interrompt Mathilde : « L’horreur, dit-il de son ton le plus sec, l’horreur n’est pas une variété d’actes issus de l’imagination. Le mal non plus. » Il répond avec ses facultés de raisonnement à une émotion qui serre le cœur. C’est pour le moins maladroit…
Ainsi s’ouvre La tristesse des femmes en mousseline, de Jean-Daniel Baltassat, sans préciser qui est cette Mathilde dont Valéry connaît tous les charmes : « Les tendons brûlants de la nuque, il les a eus sous ses doigts, la chair tendre à déchirer de ses cuisses, il l’a eue sous ses lèvres, le dur de ses fesses et de son ventre, l’impatience de ses reins, il les a endurés, ravi dans le doré de son sexe ». Les amateurs de biographies le regretteront, mais ils n’ont qu’à aller voir ailleurs. Car, ici, peu importe l’identité de cette femme (pas si difficile à trouver, d’ailleurs). Le sentiment de perte, compensé par la permanence de l’art, domine l’envie de connaître les détails. Un monde présent s’en va, et Valéry avec lui. Un monde passé reste, et la fameuse aquarelle de Berthe Morisot avec lui.
Sur la faille temporelle et psychique, l’impression de déchirement s’en prend à la raison et toute la question est de savoir si celle-ci réussira à se maintenir au premier plan sans négliger les sens et les émotions. « Au moins me reste-t-il le ciel et la terre, les poussettes et la tristesse des femmes en robe de mousseline. »

Citation
Les Japonais font danser leurs pinceaux sur les puits, ils n’y descendent jamais, pourtant nous en voyons bien le fond.

JEAN-DANIEL BALTASSAT
Calmann-Lévy, 250 p., 19,50 €, ebook, 13,99 €


P.-S. Mauvaise nouvelle: l'entretien de rentrée que j'évoquais l'autre jour, et qui devait paraître aujourd'hui dans Le Soir a été reporté pour cause de mauvaise nouvelle (la mort d'Aretha Franklin).


jeudi 16 août 2018

«L'égout», d'Andrija Matić


Nous n’avions pas compté, Alain Cappon l’a fait pour nous dans sa postface : « L’informatique permettant ce genre de calcul instantané, le mot le plus utilisé par Andrija Matić dans L’égout est l’adjectif noir dont on ne compte pas moins de soixante-deux occurrences. » On aurait bien dit que la tonalité générale d’un roman situé en Serbie dans les années 20 – 2020 – est sombre. Sombre en tout cas est la vie du malheureux héros, Bojan Radić, professeur d’anglais au moment où la langue de l’ennemi est supprimée. Et où Bojan, et ses collègues avec lui, sont considérés comme des pestiférés, de dangereux agitateurs en puissance.
Dans une dictature où la devise est « Unité – Foi – Liberté », les individus sont des jouets aux mains d’un pouvoir capable de tous les abus ne serait-ce que pour prouver qu’il a tous les pouvoirs. Renforcée par l’absurdité même de ses méthodes, symbolisées entre autres choses par les exécutions hebdomadaires auxquelles il faut bien convier des condamnés, coupables ou non de faits graves (la gravité étant en outre très relative et proportionnelle à la morale imposée parfois en dépit des faits), la dictature a créé, cela va de soi si ses discours ont quelque chance d’être pris pour la vérité, un véritable paradis sur terre. Pas de chômage, le bonheur pour tous, même l’éradication totale et durable de cette maladie « archaïque et fatale », le sida.
Bien entendu, cette éradication est aussi théorique que tout le reste, Bojan le découvrira à ses dépens quand Vesna, une jeune femme pour laquelle il éprouve une grande attirance, lui avouera être séropositive – alors qu’elle n’est encore vivante que grâce à son silence, toute information sur l’existence du sida étant contraire à la vérité officielle.
La police secrète surveillant tout, dans la grande et belle tradition du totalitarisme, les relations entre Bojan et Vesna ne sont pas passées inaperçues. Cela tombe mal pour lui, qui avait bénéficié de la bienveillance du chef du service de la Sécurité, souhaitant quand même faire apprendre l’anglais à ses enfants – la vérité officielle est une chose, les attitudes de la classe dirigeante en sont une autre, bien différente (pour les meilleures raisons, bien entendu).
L’accalmie, au fond, n’aura guère duré. Bojan est bientôt un homme traqué, son territoire devient de plus en plus étroit et l’égout est un tunnel sans sortie.

Citation
Être seul n’est pas un problème à condition de savoir que l’on pourrait être avec quelqu’un, mais si plus personne ne souhaite votre présence, si vous êtes frappé d’exclusion de la communauté, chaque seconde de solitude paraît une journée entière, et cette sensation fait naître l’image sinistre d’une existence à vivre ainsi jusqu’à son achèvement.

ANDRIJA MATIĆ
Traduit du serbo-croate (Serbie) et postfacé par Alain Cappon
Serge Safran, 256 p., 21 €

mercredi 15 août 2018

Le feuilleton de la rentrée littéraire 14 (et fin). Au pied de la montagne

Comment? C'est déjà fini alors que la rentrée commence demain? Oui, les préliminaires seront, ce soir à minuit ou demain à 0 heure, comme vous préférez, derrière nous. On entrera franchement dans les lectures des ouvrages disponibles à partir du 16 août - nous y sommes, au pied de cette montagne infranchissable et excitante. Encore la première semaine des offices en librairie est-elle relativement calme: une soixantaine de livres "seulement", si j'en crois mon agenda (pas tout à fait complet peut-être, mais presque, vous le trouvez ici, en bas de page).
Pour cause de 15 août, la plupart des rubriques littéraires se croient encore en vacances. Pas toutes, heureusement: Twitter a fourni quelques raisons d'espérer (demain, je suppose) des articles de L'Obs (pour Zadie Smith, qui était déjà cette semaine dans Le Journal du dimanche) et de Télérama (avec au moins Jérémy Fel et Adrien Bosc). L'Express est revenu sur l'affaire Emilie Frèche, je vous ai dit ce que j'en pensais, je n'y reviendrai pas, à moins de lire le roman.
Par ailleurs, l'immense, bien que belge, quotidien auquel j'ai l'honneur de collaborer (depuis 35 ans et quelques mois), j'ai nommé Le Soir, plonge cette semaine aussi dans la rentrée littéraire. Samedi, bien sûr, avec les pages livres, mais aussi dès vendredi pour un bel entretien (je trouve) avec un des écrivains les plus attendus cette semaine, j'ai nommé... non, je vous en laisse la surprise.
En ce qui concerne votre blog préféré, les premières notes sont écrites, vous en goûterez la pertinence (ou pas) dès demain.
Dans l'attente de papiers consistants, j'ai parcouru les pages de deux magazines qui n'appartiennent pas à mes achats habituels en kiosque (numérique, oui), Paris Match et Elle.
Olivia de Lamberterie est, pour ce dernier magazine, la vedette de la rentrée. Celle qui a droit à une longue rencontre, en tout cas, pour Avec toutes mes sympathies (Stock), dont Jérôme Garcin disait déjà, dimanche soir au Masque et la plume, tout le bien qu'il pensait - en présence de l'auteure, c'était un peu gênant mais, bon, les criques du Masque forment une bande, non? Dans un choix exclusivement féminin, logique), Elle élit aussi Camille Bordas (Isidore et les autres, Inculte), coup de foudre d'Héléna Villovitch, Amélie Nothomb, Gwenaëlle Aubry, Nancy Huston, Rachel Kushner, Nicole Krauss, Lisa Halliday, Julia Glass et Clara Dupond-Monod.
Paris Match a élu (par la voix de Valérie Trierweiler) Adeline Dieudonné, Adrien Bosc et Abnousse Shalmani. Ainsi que, choisis par d'autres journalistes, Jérémy Fel, Nicolas Mathieu, Alain Mabanckou, Meryem Alaoui et... Amélie Nothomb.
Plus qu'une fois dormir... si la lecture en laisse le temps!

dimanche 12 août 2018

La mort de V.S. Naipaul

Avec Vidiadhar Surajprasad Naipaul disparaît, à 85 ans, une des grandes voix de la littérature mondiale. Prix Nobel de littérature en 2001, personnage controversé mais écrivain incontestable par la puissance évocatrice de son oeuvre ainsi que par les questions qu'elle pose, il a publié depuis 1957 une bonne trentaine d'ouvrages, entre fictions et essais souvent nourris de ses nombreux voyages, entre monde post-colonial et quête des origines. Voici quelques souvenirs de lectures.

Les hommes de paille (1967, trad. par Suzanne V. Mayoux, 1981)
« Pour moi, la politique n’a jamais été guère plus qu’un jeu, une intensification de la vie, un prolongement de l’esprit de célébration qui était le mien lors de mon retour dans mon île. » Les hommes de paille raconte donc une aventure personnelle et collective, à travers l’histoire d’un homme qui, venu des Caraïbes, passe du temps à Londres, revient chez lui, va de succès en succès, se lance dans la politique, puis revient à Londres… Il y a beaucoup d’ironie dans ce portrait qui est aussi celui d’une société qui se cherche. Naipaul a l’art de placer, au sein de ses livres, des réflexions qui naissent dans la bouche de ses personnages et dont on se demande souvent si elles leur appartiennent totalement ou si elles sont celles de l’auteur.
En tout cas, nous les recevons comme autant de questions sur le sens d’une vie inscrite dans l’histoire.
Et finit par se révéler, dans le tableau ainsi dessiné, un peu de lumière.

A la courbe du fleuve (1979, trad. par Gérard Clarence, 1982)
L’Afrique est multiple et le destin de ses habitants, soumis aux accidents de l’Histoire. Les personnages de ce roman de Naipaul, et en particulier Salim, le narrateur, traversent des situations dans lesquelles la finesse de la mise en scène évite tout manichéisme. Dans la succession des événements, ou dans les voyages de Salim, des vérités apparaissent petit à petit, complexes jusqu’à sembler parfois contradictoires.
Salim est d’origine indienne, mais il a vécu sur la côte orientale de l’Afrique. Puis, un jour, il s’est tourné vers l’intérieur pour pénétrer au cœur du continent. Après les Arabes, après les Européens, une autre forme de pouvoir s’est en effet mise en place là où ses parents s’étaient installés, et le sang coule. Il coulera ailleurs aussi, dans un tourbillon auquel il est difficile d’échapper. Naipaul invente certains lieux, cite parfois des endroits réels. Mais la conclusion de tout ceci n’incite guère à l’optimisme.

Le regard de l’Inde (2007, trad. par François Rosso,  2010)
L’Inde et Vidiadhar Surajprasad Naipaul, c’est une longue histoire qui commence bien avant sa naissance. Ses origines familiales trouvent leurs racines en Inde, d’où ses ancêtres avaient émigré vers Trinidad, dans les Caraïbes. Mais, son père ayant perdu son père quand il était bébé, la mémoire du passé ne s’est pas transmise. « Je souffre de ce manque », dit-il dès les premières lignes du Regard de l’Inde, où il revient vers sa « métropole », comme il l’appelle, après en avoir déjà parlé dans d’autres livres comme L’Inde brisée ou L’Inde : un million de révoltes.
Le manque n’a pas été comblé. « La première migration, depuis l’Inde, avait eu lieu entre 1880 et 1917. Je suis né en 1932. La plupart des adultes que j’ai connus dans mon enfance devaient se souvenir de l’Inde. Mais on n’en parlait jamais. » Il y eut bien, une fois lancé le mouvement de libération, des discours politiques. Mais, sur l’Inde « plus domestique et plus intime d’où nous étions venus », rien. Malgré la persistance, dans la vie quotidienne, de la religion, des rites, des fêtes…
Interroger ceux qui connaissaient l’Inde posait des problèmes insolubles. Soit ils en venaient mais n’avaient rien à en dire parce qu’ils avaient oublié. Soit ils y étaient allés et, dans ce cas, avaient relevé des tonnes de détails, comme lui-même à partir de 1962 et de son premier voyage, mais avec leur regard venu d’ailleurs : « les gens qui rapportaient ces histoires étaient le produit de leur naissance à l’étranger, de leur éducation et de leurs voyages ». Ni les uns ni les autres n’étaient Le regard de l’Inde.
C’est finalement dans un livre que Naipaul imagine trouver les réponses à toutes ses questions. L’autobiographie d’un homme qui était parti en 1898 pour le Surinam et qui, dans les années 1940, avait raconté sa vie en hindi. Le sentiment religieux domine dans La lumière de la vie, de Rahman Khan. Il « n’a pas grand-chose à raconter sur l’Inde en dehors de sa scolarité et de sa vie familiale. […] Il lui manque le sentiment du monde physique autour de lui. »
Les seuls éléments concrets à ne pas être contaminés par une croyance envahissante, à la lumière de laquelle la plupart des faits sont interprétés, consistent dans des remarques sur la qualité de la nourriture servie ici ou là.
Naipaul ne cache pas que ce livre, dans la lecture duquel il avait placé beaucoup d’espoirs, l’a déçu. Il n’y a en tout cas pas trouvé ce qu’il y cherchait.
Et, dans un sens, tant mieux. Car le voici contraint de se tourner vers une figure que nous connaissons mieux et dont il va relater l’existence d’une manière inédite. Mohandas Gandhi, né en 1869, cinq ans avant Rahman Khan, va-t-il enfin fournir Le regard de l’Inde ?
Gandhi a écrit lui aussi son autobiographie. Le livre est bon. Même : « il y a assez de magie dans la première partie pour que cette autobiographie soit considérée comme un chef-d’œuvre. » Naipaul, fasciné, semble oublier l’obsession qui l’a fait relire Gandhi. Il se passionne pour le personnage, complète l’autoportrait par la description donnée par Nehru : « Elle nous montre de quelle trempe était ce sage ou ce saint au dos nu. Ses yeux sont doux et profonds, brillants d’énergie et de détermination. » Il est humble mais peut tenir des discours presque dictatoriaux…
Pour autant, la transposition de l’Inde mythique en Inde quotidienne n’est toujours pas accomplie. Peut-être parce qu’elle est impossible. L’écart entre les deux est immense. C’est la mère de Naipaul qui en prendra la mesure, dans les dernières pages d’un livre dont la densité égale la brièveté. Avons-nous appris quelque chose sur l’Inde ? Pas sûr. Mais Naipaul semble tout à coup plus proche, avec ses incertitudes.

vendredi 10 août 2018

Le feuilleton de la rentrée littéraire 13. Le syndrome Gala

On aurait pu arriver en toute tranquillité, la semaine prochaine, dans les librairies où commenceront à être exposés les livres de la rentrée. Et puis, non, pas du tout. Le genre d'affaire empoisonnante qui détourne l'attention de l'essentiel a éclaté cette semaine: une forte envie d'interdire un livre pour atteinte à la vie privée, genre: retenez-moi ou je fais un malheur, conclue (provisoirement? une action en justice semble toujours envisageable) par l'insertion d'un encart dans chaque exemplaire de l'ouvrage incriminé - un texte assez colère, juste assez pour mettre un coup de projecteur sur un sujet dont auraient peut-être ricané, et encore, seulement entre eux, une demi-douzaine d'initiés.
Mais voilà, plus personne n'est censé ignorer maintenant, comme on le dit de la loi, qu'Emilie Frèche vit en couple avec Jérôme Guedj, conseiller départemental de l'Essonne et figure du PS (comme il y en a de moins en moins, on les repère davantage). Lequel Jérôme Guedj a eu un fils avec Séverine (actuellement) Servat de Rugy, avant que celle-ci devienne l'épouse, d'où le nom de famille actuel, de François de Rugy, président de l'Assemblée nationale. Vous vous en moquez? Moi aussi, en fait.
Mais les compagnes et épouses d'hommes politique ne sont pas des faire-valoir, elles ont un métier autre qu'assistante parlementaire. Emilie Frèche, romancière confirmée, sort avec Vivre ensemble son dixième roman (le 22 août, chez Stock). Séverine Servat de Rugy est, de son côté, journaliste à Gala. Je l'ignorais, je me réjouis de le savoir, et je m'étonne du coup un peu moins d'une réaction qui semble (vu de l'extérieur, certes) dictée par la pénible habitude de mettre l'accent sur des événements qui n'en sont pas, sur des faits qui ne devraient intéresser personne et pourtant passionnent, allez comprendre pourquoi, sur les enveloppes souvent vides d'êtres émus jusqu'au malaise de ne pas trouver cette semaine, ou celle d'avant, leur photo dans la presse people. Je veux bien admettre que la journaliste se sente, dans la circonstance, une mère blessée - le conflit porte sur le supposé portrait peu flatteur de son fils car, oui, il y a un fils pas facile dans Vivre ensemble, mais enfin, qui dit que c'est le sien, à part elle? Sinon que, maintenant, chaque lecteur va y penser au moins de manière subliminale et chercher des clés là où n'y a peut-être même pas de serrure.
Le sommet dans cette affaire a priori haute comme une fourmilière de pays tempéré a été atteint par un article paru sur le site du Point: "François de Rugy demande l'interdiction d'un livre... Hallucinant!" Où la romancière et la journaliste s'effacent tout à coup du paysage, comme si elles étaient de banales assistantes parlementaires. Hallucinant, en effet, le mot n'est pas trop fort.
On en oublierait presque qu'il y a un livre dans tout cela, ce Vivre ensemble d'Emilie Frèche qui est donc parti sur des mauvaises bases mais dont vous pouvez lire un extrait.

mercredi 8 août 2018

Le feuilleton de la rentrée littéraire 12. L'année des Editions Robert Laffont?

On se souvient d'un temps où Robert Laffont lui-même, avec quelques autres éditeurs qui l'avaient suivi dans son coup de gueule, pestait contre un système des prix littéraires français dont les livres qu'il sortait pourtant régulièrement à la rentrée étaient presque systématiquement écartés. S'il était encore parmi nous, il pourrait remettre ça. Car il y a cinquante ans cette année que Bernard Clavel recevait l'unique Goncourt de la maison pour Les fruits de l'hiver.
Est-ce l'effet de cet anniversaire? Une marque d'intérêt pour les romans de la rentrée publiés à l'enseigne de Robert Laffont vient de surgir sous la plume d'un juré du plus célèbre (encore et malgré tout, oui) prix littéraire de l'automne. Dans sa présentation de ce qui nous attend (dès la semaine prochaine, déjà!), La rentrée de Pierre Assouline, il cite quatre ouvrages à paraître en août chez Laffont - un peu plus de la moitié de sa production française. Ceux de Gwenaële Robert, Christine Barthe, Jérôme Attal et Yasmine Ghata. Il est vrai que la rentrée des Editions Finitude est citée à 100% (pour l'unique parution du mois d'août, le roman de Laurent Seyer). Que d'autres maisons sont citées: Fayard (Aurélie Filippetti, Grace Ly, Jean-Marc Parisis, Bruce Bégout), Grasset (Michela Marzano, Pierre Guyotat, Jean-Yves Jouannais), Actes Sud (Thierry Froger, Jérôme Ferrari, Nancy Huston), Plon (Alexandre Najjar), Gallimard (Christian Bobin), Julliard (Yasmina Khadra), Rivages (Jérémy Fel).
Je n'ai pas calculé la proportion de livres cités pour chaque maison. Mais la surreprésentation de Laffont m'a frappé par son caractère très inhabituel.
Faut-il y voir le signe de quelque chose qui se traduirait bientôt dans les sélections et les proclamations de lauréat(e)s? Il faudrait être bien imprudent pour en jurer. Mais disons que cela frémit, et il serait tout aussi imprudent de ne pas en prendre note. C'est fait.
Avant de vous laisser pour aujourd'hui (sauf actualité brûlante et peu probable), il faut signaler aussi, ce n'est pas tout à fait insignifiant, que l'article de Pierre Assouline nous arrive par la bande, d'un pays francophone qui n'est pas la France, d'une capitale qui n'est pas Paris. Il est paru dans L'Orient littéraire, le supplément mensuel de L'Orient-Le Jour, publié à Beyrouth. L'occasion rêvée, pour Pierre Assouline, de rompre une lance contre les frontières de l'esprit qui séparent encore trop souvent les littératures française et francophones:
Et puis quoi ! Il serait temps de cesser de parler de « rentrée littéraire française », si étroitement parisienne dans son esprit, pour parler une fois pour toutes de « rentrée littéraire de langue française ». Ce qui a la vertu d’élargir le champ aux auteurs suisses, belges, québécois, maghrébins, africains, libanais… Les Anglais ont depuis longtemps agi ainsi en encourageant la publication en anglais d’une littérature du Commonwealth, égale à la leur dans la course aux prix. Il ne suffit pas de répéter que la langue dans laquelle il est écrit est la vraie patrie d’un écrivain quel que soit son passeport. Encore faut-il traduire cette noble pensée en actes. Ce sera le cas lorsque les organisateurs de salons du livre cesseront de faire débattre entre eux des écrivains dits francophones. Voudrait-on les ghettoïser que l’on ne s’y prendrait pas autrement. Lorsqu’il en sera autrement, et qu’on aura abattu les murs et les frontières, la moindre des choses puisque le roman est par excellence le lieu de la liberté de l’esprit, alors seulement on pourra célébrer comme il se doit l’incontestable apport de lexiques et d’imaginaires venus d’ailleurs, de très loin parfois, pour irriguer souterrainement et enrichir irrésistiblement la littérature dite française. On en perçoit les effets depuis des années déjà. Pas une rentrée qui n’y échappe.

lundi 6 août 2018

Anna Gavalda, retour à la nouvelle

Le premier livre d’Anna Gavalda, en 1999, était un recueil de nouvelles : Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part. Aujourd’hui encore, certaines des situations qu’elle y décrivait restent gravées dans les mémoires. Fendre l’armure, qui vient de reparaître au format de poche et où elle renoue avec le genre, durera probablement aussi longtemps. Les voix entendues distinctement dans les sept nouvelles, et dont aucune ne peut être confondue avec une autre, sont en effet du genre à s’incruster.
D’emblée, l’incipit du premier texte, « L’amour courtois », sous son aspect d’une parfaite banalité, donne un ton, un rythme, suscite la curiosité : « — Arrête, j’te dis. C’est même pas la peine d’insister. » Qui parle, à qui, à quel sujet ? Et pour démarrer quelle histoire, en une quarantaine de pages ? C’est bien entendu ce que nous ne vous dirons pas, parce qu’on n’est pas de ceux qui vous gâcheront le plaisir.
Au contraire : on voudrait se contenter de vous guider vers ces pages avec un minimum d’arguments. Il n’en faudra pas beaucoup aux lecteurs (et surtout lectrices, on y revient) d’Anna Gavalda. Ils savent comment l’empathie de l’écrivaine pour ses personnages est contagieuse et combien on apprécie de passer du temps en leur compagnie. Les autres, qui ignorent encore tout cela, ont peut-être besoin d’un point d’appui avant de plonger.
Chaque nouvelle propose des moments inattendus. Le récit n’est jamais conduit exactement là où il semble devoir aller, il oblique dans une direction imprévue, comme s’il fonctionnait à la manière d’un rêve. Forcément, si une phrase écrite pour le garçon de la dernière nouvelle est la clé du livre : « Nous vivons une vie, nous en rêvons une autre, mais celle que nous rêvons est la vraie. »
Tant mieux, car celle que vivent les personnages assez loin de l’idéal qu’ils avaient peut-être envisagé. Ils connaissent de grands moments de solitude, et c’est par la parole, le plus souvent, qu’ils y remédient, dans un partage qui, ensuite, rend les commentaires inutiles.
La vérité des femmes et des hommes ne s’analyse pas dans les nouvelles d’Anna Gavalda. Elle se dévoile dans le mouvement du quotidien, ou de cette journée, cette nuit où le contact fournit la réponse, valable au moins pour un instant, à la question fondamentale : qui suis-je ?
L’émotion naît, pour le lecteur, de se trouver au plus près du souffle traversé par la révélation. Et, du même coup, de la partager.

dimanche 5 août 2018

Le feuilleton de la rentrée littéraire 11. La Bibliothèque malgache aussi

Je vous avais prévenus: la Bibliothèque malgache s'invite, sans que personne ne l'y ait conviée, dans la cohue de la rentrée littéraire. Pas avec un roman, certes, mais avec un recueil de nouvelles, Les jours rouges, de Ben Arès - auteur déjà d'une quinzaine d'ouvrages chez différents éditeurs, de la défunte Différence à Boumboumtralala, de Tétras-lyre en 2006 à Dovo vole en 2017, en passant par Maelström et L'Arbre à paroles - ainsi que par, déjà, et en coédition avec le dernier nommé, la Bibliothèque malgache pour Sans fil, en 2009.
Ils nous arrive de boire des coups ensemble en refaisant le monde - littéraire seulement, c'est déjà beaucoup, pour le monde malgache, nous y avons renoncé il y a un certain temps déjà. Quant aux autres mondes, nous en sommes trop éloignés pour seulement y penser.
Les nouvelles qu'il m'a fait lire, et qui succèdent à d'autres (Je brûle encore), m'ont immédiatement séduit parce que, ce n'est pas la première fois, il y aborde le milieu où il vit depuis une petite dizaine d'années avec un sens de l'autre grâce auquel des portes s'ouvrent vers des réalités souvent incompréhensibles à l'Européen. Celui-ci, généralement, reste au pas de la porte, jette un coup d’œil et se détourne très vite, choisissant de rester dans ses confortables certitudes. Ici, le terrain est mouvant, on vit dangereusement, il y a des surprises et, aux yeux de certains, il y aura du scandale. Car une société propriétaire de ses propres normes paraît souvent scandaleuse. Alors qu'elle est seulement différente. Et encore...
Bref (je ne voulais pas vous dire tout ça en commençant mais je m'emporte), Les jours rouges est, par ses thèmes autant que par son écriture très personnelle, une œuvre littéraire forte. La langue y chante une mélodie envoûtante. Cela m'a convaincu: il fallait réaliser une édition numérique (la seule que je pratique), dans un premier temps au moins - peut-être une autre maison prendra-t-elle le relais ensuite pour en faire un livre papier.
Nous avons donc travaillé d'arrache-pied pendant une quinzaine de jours, le texte a subi plusieurs allers-retours entre nous, autant de relectures et de corrections, une modification de l'ordre dans lequel se présentaient les nouvelles, une hésitation sur le titre. Le contrat a été signé, le chèque d'avance sur les droits d'auteur encaissé, le distributeur livré, l'ouvrage est en précommande chez de nombreux libraires et sortira officiellement le 23 août. C'est-à-dire en même temps, ce n'est pas tout à fait un hasard, que les deux livres d'Antoine Wauters dont je vous disais l'autre jour tout le bien que je pense - Antoine Wauters dont le premier livre, Ali si on veut (Cheyne, 2010), a été écrit en collaboration avec... Ben Arès!
Là-dessus, l'écrivain et son éditeur avons bu une Chimay bleue, denrée rare à Toliara - mais nous l'avions bien méritée.

vendredi 3 août 2018

Le feuilleton de la rentrée littéraire 10. Le patrimoine anticipé

On joue un peu sur les mots. Mais la perche est tendue par la la Banque BPE (aïe! une rentrée littéraire, une banque, est-ce qu'on n'est pas en train de tout embrouiller, là?) qui a créé le Prix Patrimoines, drôle de nom, non? pour mettre en avant un roman de la rentrée selon une logique euh... pré-patrimoniale (?) que le site Actualitté présentait ainsi il y a quelques jours déjà (mais des tâches d'une urgence absolue, et dont vous saurez tout très bientôt, m'ont empêché de le signaler plus vite): «Le Prix Patrimoines/BPE distingue chaque année un roman de rentrée qui dit le monde tel qu’il va et porte un regard solidaire sur la société. Un roman dont le style célèbre aussi la langue française. Autant de «patrimoines» à transmettre.»
D'accord, admettons. Il n'empêche que sélectionner six romans pas encore parus sous une appellation plutôt réservée à des œuvres du passé, c'est un peu mettre la charrue avant les bœufs, ou les ruines avant l'architecte. La rentrée n'a pas eu lieu, elle est déjà embaumée. Ce pourrait être un slogan. Mais conviendrait-il seulement à un des six titres retenus dans une sélection qui affiche cinq romancières pour un seul romancier (tiens! c'est nouveau, ça!)? Verdict le 24 septembre. La Banque Postale a déjà préparé le chèque de 5.000 euros, il ne reste qu'à compléter par un nom de bénéficiaire.
Un de ces noms-ci, donc.


Inès Bayard est maintenant sélectionnée sept fois pour des prix à venir et David Diop rejoint Estelle-Sarah Bulle avec quatre citations. La course ne fait que commencer. Le Tour de France vous a paru ennuyeux? La rentrée littéraire s'annonce encore mieux!