Il n'est pas de grand écrivain qui soit confortable. Dès qu'un livre commence à ronronner, à aligner les lieux communs (à moins que ce soit pour les détourner), on sait qu'on peut le refermer. En revanche, quel plaisir de se faire bousculer, de se trouver face à l'inattendu, l'inespéré!
José Saramago est de ces véritables créateurs. Et, comme souvent avec ceux qui bousculent les convenances, il provoque parfois la polémique. Elle avait fleuri autour de L'Evangile selon Jésus-Christ. Elle renaît avec Caïn, où le romancier donne une version très personnelle de l'Ancien Testament, ou au moins d'un de ses épisodes. Sorti aujourd'hui au Portugal, le livre s'est déjà attiré les foudres des bien-pensants. Oserai-je dire que c'est bon signe? Oui.
Son dernier ouvrage traduit en français, Le voyage de l'éléphant, n'attaque aucun dogme - du moins pas frontalement. Car on y trouve quand même une utilisation pour le moins douteuse de l'animal en question, au service d'une cause religieuse. Quand il s'agit de le faire s'agenouiller à Padoue pour crier au miracle, Saramago déploie une ironie qu'il a parfois féroce. C'est un régal.
J'avais rencontré Saramago à Paris, en 1997, au moment où y paraissait L'aveuglement. Il n'était pas encore lauréat du prix Nobel (ce serait pour l'année suivante). Il était déjà très impressionnant. Je vous restitue l'article qui avait suivi la rencontre.
José Saramago est un homme long et mince dont les yeux pétillent derrière les grosses lunettes. L'éditeur de L'aveuglement précise que l'écrivain, né en 1922, est entré tard en littérature, à l'âge de 58 ans. Ce n'est pas tout à fait exact: A 25 ans, j'ai publié un roman, puis j'en ai écrit un autre, qui est resté inédit. Je m'étais rendu compte de ce que je n'avais rien à dire. Ensuite, longtemps, je suis resté sans publier et même sans presque écrire.
Il n'a donc jamais éprouvé le besoin d'occuper le terrain à tout prix. Je n'ai jamais poursuivi une carrière d'écrivain, dit-il aussi. Neuf auteurs sur dix expliqueraient, à ce moment, qu'ils ont pris le temps de nourrir des écrits futurs. Pas lui: Ce serait faire preuve d'une grande confiance dans la vie que de vous dire: je suis resté à regarder le monde, à réfléchir pour écrire. Ce que j'ai fait pendant ma vie, c'était la vivre, tout simplement. Puis, je ne sais pas pourquoi, les choses ont changé.
Le succès l'arrange bien mais ne lui monte pas à la tête. Il lui donne toute liberté pour écrire ce qu'il veut mais il est prêt à tout arrêter demain s'il n'a plus d'idées qui l'intéressent vraiment: Il y a beaucoup de livres dans le monde et je ne voudrais pas y ajouter des choses sans importance pour moi. Ecrire pour écrire, ou pour le compte en banque, non!
Du coup, quand il a écrit un roman, il ne s'inquiète absolument pas de ce qui va suivre. J'ai fini un livre, et je reste là à attendre que le suivant arrive. Jusqu'à présent, chaque fois, deux ou trois mois après, une idée arrive, parfois un peu floue. Normalement, c'est le titre. Alors, il faut trouver quelque chose à mettre derrière.
Exemple de naissance d'un roman: celui qui vient d'être traduit en français. J'étais dans un restaurant, seul, à attendre mon repas. Et tout à coup, sans avoir pensé au préalable aux aveugles, comme tombé du plafond - ou du ciel, comme vous préférez -, se présente le titre: «Essai sur la cécité». C'est un titre horrible, mais je l'ai gardé, et plusieurs traductions l'ont conservé aussi.
Voilà pour le point de départ. Nécessaire mais pas suffisant, bien sûr. Il faut encore que les choses se précisent. Dans le cas qui nous occupe, l'essentiel était là: une épidémie. Restait à transformer l'idée en roman. C'est comme si j'avais trouvé une omoplate de dinosaure. A partir de là, tout un squelette est à inventer. Pour ça, il faut s'assoir et écrire. Et aussi se promener dans le jardin où les idées se trouvent quelquefois.
Il possède point de départ et point d'arrivée - José Saramago pose deux doigts dans des coins opposés de la table, et dessine le parcours à tracer entre le début et la fin. Parfois, le trajet est loin d'être rectiligne: L'histoire a ses propres raisons, ce qui ne veut pas dire que je n'en suis pas le maître. Je guide et je me laisse guider. La richesse se trouve dans les associations d'idées qui proposent d'autres choses - je les accepte ou non.
De l'allégorie constituée par L'aveuglement, certains lecteurs sortent effrayés. Comment avez-vous pu écrire un livre si dur? lui demande-t-on parfois. Et comment pouvez-vous supporter la réalité? répond-il. Mon livre, à côté de la réalité, c'est de l'eau de rose.
Ainsi parle Saramago...
José Saramago est de ces véritables créateurs. Et, comme souvent avec ceux qui bousculent les convenances, il provoque parfois la polémique. Elle avait fleuri autour de L'Evangile selon Jésus-Christ. Elle renaît avec Caïn, où le romancier donne une version très personnelle de l'Ancien Testament, ou au moins d'un de ses épisodes. Sorti aujourd'hui au Portugal, le livre s'est déjà attiré les foudres des bien-pensants. Oserai-je dire que c'est bon signe? Oui.
Son dernier ouvrage traduit en français, Le voyage de l'éléphant, n'attaque aucun dogme - du moins pas frontalement. Car on y trouve quand même une utilisation pour le moins douteuse de l'animal en question, au service d'une cause religieuse. Quand il s'agit de le faire s'agenouiller à Padoue pour crier au miracle, Saramago déploie une ironie qu'il a parfois féroce. C'est un régal.
J'avais rencontré Saramago à Paris, en 1997, au moment où y paraissait L'aveuglement. Il n'était pas encore lauréat du prix Nobel (ce serait pour l'année suivante). Il était déjà très impressionnant. Je vous restitue l'article qui avait suivi la rencontre.
José Saramago est un homme long et mince dont les yeux pétillent derrière les grosses lunettes. L'éditeur de L'aveuglement précise que l'écrivain, né en 1922, est entré tard en littérature, à l'âge de 58 ans. Ce n'est pas tout à fait exact: A 25 ans, j'ai publié un roman, puis j'en ai écrit un autre, qui est resté inédit. Je m'étais rendu compte de ce que je n'avais rien à dire. Ensuite, longtemps, je suis resté sans publier et même sans presque écrire.
Il n'a donc jamais éprouvé le besoin d'occuper le terrain à tout prix. Je n'ai jamais poursuivi une carrière d'écrivain, dit-il aussi. Neuf auteurs sur dix expliqueraient, à ce moment, qu'ils ont pris le temps de nourrir des écrits futurs. Pas lui: Ce serait faire preuve d'une grande confiance dans la vie que de vous dire: je suis resté à regarder le monde, à réfléchir pour écrire. Ce que j'ai fait pendant ma vie, c'était la vivre, tout simplement. Puis, je ne sais pas pourquoi, les choses ont changé.
Le succès l'arrange bien mais ne lui monte pas à la tête. Il lui donne toute liberté pour écrire ce qu'il veut mais il est prêt à tout arrêter demain s'il n'a plus d'idées qui l'intéressent vraiment: Il y a beaucoup de livres dans le monde et je ne voudrais pas y ajouter des choses sans importance pour moi. Ecrire pour écrire, ou pour le compte en banque, non!
Du coup, quand il a écrit un roman, il ne s'inquiète absolument pas de ce qui va suivre. J'ai fini un livre, et je reste là à attendre que le suivant arrive. Jusqu'à présent, chaque fois, deux ou trois mois après, une idée arrive, parfois un peu floue. Normalement, c'est le titre. Alors, il faut trouver quelque chose à mettre derrière.
Exemple de naissance d'un roman: celui qui vient d'être traduit en français. J'étais dans un restaurant, seul, à attendre mon repas. Et tout à coup, sans avoir pensé au préalable aux aveugles, comme tombé du plafond - ou du ciel, comme vous préférez -, se présente le titre: «Essai sur la cécité». C'est un titre horrible, mais je l'ai gardé, et plusieurs traductions l'ont conservé aussi.
Voilà pour le point de départ. Nécessaire mais pas suffisant, bien sûr. Il faut encore que les choses se précisent. Dans le cas qui nous occupe, l'essentiel était là: une épidémie. Restait à transformer l'idée en roman. C'est comme si j'avais trouvé une omoplate de dinosaure. A partir de là, tout un squelette est à inventer. Pour ça, il faut s'assoir et écrire. Et aussi se promener dans le jardin où les idées se trouvent quelquefois.
Il possède point de départ et point d'arrivée - José Saramago pose deux doigts dans des coins opposés de la table, et dessine le parcours à tracer entre le début et la fin. Parfois, le trajet est loin d'être rectiligne: L'histoire a ses propres raisons, ce qui ne veut pas dire que je n'en suis pas le maître. Je guide et je me laisse guider. La richesse se trouve dans les associations d'idées qui proposent d'autres choses - je les accepte ou non.
De l'allégorie constituée par L'aveuglement, certains lecteurs sortent effrayés. Comment avez-vous pu écrire un livre si dur? lui demande-t-on parfois. Et comment pouvez-vous supporter la réalité? répond-il. Mon livre, à côté de la réalité, c'est de l'eau de rose.
Ainsi parle Saramago...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire