Ce devait être une croisière luxueuse et tranquille,
quelques jours de navigation paresseuse sur un fleuve africain, ponctués
d’escales pour visiter des villes, d’anciens comptoirs ou une réserve naturelle.
La population du Katarina est variée.
Un gros écrivain généralement ivre, une journaliste des guides Lonely Planet, deux Américaines bigotes,
un intellectuel originaire du pays, un couple en pèlerinage, deux amies
Italiennes avec un enfant, le médecin du bord avec sa mère, etc. Sans oublier
le narrateur, documentariste venu filmer les oiseaux.
Le deuxième soir, cette population s’est complétée de trois
jeunes filles noires et voyantes, peu à leur place dans ce contexte. Ou trop
bien à leur place, annonciatrices légères d’une tempête à venir. L’une d’elle,
qui restera dans le bateau après une mésaventure dont les détails resteront
longtemps mystérieux, sera le témoin silencieux de la suite.
Des Jours de tremblement, donc, à l’opposé du calme qui aurait dû présider à ce voyage
dont la destination se révèle être l’enfer plutôt que le paradis. Pour cause de
révolution dans le pays, le fleuve se transforme en piège. Les armes crépitent,
des combattants prennent possession du Katarina
dont les passagers apprennent à connaître la peur. Elle n’était pas inscrite au
programme, l’arrivée du danger les a pris au dépourvu.
Jour après jour, François Emmanuel scrute les réactions de
ses personnages. Pour la plupart, ils ne comprennent rien. Ils pensaient être à
l’abri des agressions extérieures, protégés dans une bulle hors des problèmes
réels, ils s’imaginaient que la question la plus angoissante consisterait à
savoir quel apéritif ils allaient choisir avant le repas.
L’incompréhension se teinte, chez certains, de révolte.
Traduite – nous simplifions – par une exigence simple :
« Remboursez ! » Car enfin, si on ne peut même plus effectuer
une croisière sans être menacé par une guerre qui ne nous concerne en rien, où
allons-nous ?
Le fossé ne peut être comblé entre des touristes
privilégiés, pour qui les privilèges vont de soi, et des hommes armés portés
par la foi en un nouveau chef qui a promis d’éradiquer la corruption de son
pays quand il aura pris le pouvoir. Les événements qui se succèdent ne sont pas
propres à combler ce fossé.
Roman d’aventures, Jours
de tremblement conduit avec habileté vers une fin imprévisible. François
Emmanuel lorgne du côté de Joseph Conrad, dont Heart of Darkness (Au cœur
des ténèbres) accompagne d’ailleurs l’écrivain du bord, Naginpaul – un nom
qui évoque celui de Naipaul.
A travers les codes du roman d’aventures, ce livre conduit
aussi vers des interrogations fondamentales. Autour du face à face entre deux
groupes qui n’ont quasiment rien à se dire et ne peuvent que s’observer avec
méfiance, il pose avec acuité le problème de l’autre. Nous avons dit combien
l’intrusion d’une guerre déplaisait, le mot est faible, aux touristes. Il faut
ajouter que ceux-ci, pour la population du pays qu’ils visitent, constituent le
douloureux rappel du temps où les comptoirs du fleuve étaient les lieux de
rassemblement, d’achat et de vente des esclaves.
Les vieilles blessures ne sont pas cicatrisées. Le
narrateur, dont le projet de filmer les oiseaux paraît tout à coup bien
dérisoire à ses propres yeux, en prend douloureusement conscience. Il pose sur
cette aventure un regard honnête. Et gardera en lui des questions sans
réponses.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire