Peut-on lire un livre
dont tout le monde parle, autour duquel le bruit est si grand – de
la presse au prétoire – qu’il faudrait vivre dans une île
déserte (et je vis dans une île, mais pas déserte) pour n’en
rien savoir, pour ignorer que Le Nouvel Observateur
l’a lancé en couverture la semaine dernière, que Libération
a pris la foulée de
l’hebdomadaire, que journalistes et commentateurs se sont
engouffrés dans la brèche même sans avoir ouvert l’ouvrage en
question, peut-on lire ce livre comme si rien ne s’était passé ?
J’ai essayé, pour voir. Mais la réponse est définitivement non :
chaque page est polluée des appendices qui l’ont précédée sur
papier ou sur écran. Et, comme le livre est court, il est possible,
voire probable, qu’on a ingurgité davantage de « littérature »
à son propos avant de l’ouvrir…
Cela
étant, il reste envisageable de traiter Belle et Bête,
où Marcela Iacub se fait l’avocate du cochon (au risque de faire
la bête quand elle espérait faire la belle) comme un texte « en
soi », pour en dire qu’il est un objet peu définissable mais
qu’on va tenter de définir malgré tout : une longue plutôt
qu’un récit, une mise en scène tirant du côté de l’onirisme
plutôt que le déballage crapoteux annoncé à grand renfort de
publicité rédactionnelle. Au fond, un livre assez ennuyeux,
répétitif, écrit à la va-comme-je-te-pousse, comme s’il y avait
manqué au moins une relecture.
Le
sentiment du bonheur perce quand la narratrice, qui écrit « je »
(mais qu’est-ce que cela prouve ?), devient truie, pleine
d’elle-même et du sentiment d’aboutissement correspondant à
cette chose étrange : « être une truie dans le
rêve d’un porc. »
Pourquoi
pas, après tout ? La littérature nous a déjà fait tant de
propositions inattendues qu’on est prêt à tout accepter. Encore
faudrait-il un intérêt autre que cette seule proposition, et une
force interne au texte que, même en cherchant bien, je n’ai
trouvée nulle part. D’ailleurs, les premiers articles parus à
propos de l’ouvrage, tous dithyrambiques (il fallait bien justifier
l’effet d’avant-première), ne semblaient parler de littérature
que dans une sorte d’égarement collectif, comme si plus personne
ne savait très bien ce que c’est, cette chose pourtant rencontrée
dans certains livres, et que le lâcher de noms envisagé comme un
nouveau sport suffisait à créer le brouillard à travers lequel
tout se mêle et tout se vaut.
Contre
Marcela Iacub, Christine Angot est venue en renfort de l’équipe
adverse. Autant dire que les uns et les autres méritent le même
sort : l’oubli. Où tombera Belle et Bête
aussi, une fois qu’il aura été lu par un assez grand nombre de
personnes moins polluées que moi par une presse contre laquelle je
n’ai rien par principe mais qui, cette fois, a utilisé un livre
qui ne méritait pas tant d’attentions pour faire sa propre
promotion en créant la polémique. Un peu comme Libération,
à la dernière rentrée littéraire, avait utilisé dans le même
esprit, et en ouverture du journal, le dernier et indigent roman de
Christine Angot. Où il était question d’une tranche de jambon. Du
porc, du cochon… et la même pauvreté d’expression dans les deux
ouvrages.
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