jeudi 22 août 2013

Claro et sa bombe à retardement

Un bon siècle après la publication d’un best-seller absolu de la littérature de jeunesse, soit le temps qu’il fallait le laisser reposer pour lui donner une dimension nouvelle, Claro s’empare du Magicien d’Oz. Le roman de L. Frank Baum sorti en 1900 puis, en 1939, le film de Victor Fleming ont fait des aventures de Dorothy un classique, aux Etats-Unis comme dans le monde. Dorothy vit dans la grisaille du Kansas. Est emportée par une tornade. Suit un chemin de briques jaunes pour arriver au pays d’Oz, dans la cité d’Emeraude dirigée par le fameux magicien sur les pouvoirs duquel elle compte pour trouver un moyen de rentrer chez elle…
Il vaut mieux avoir à l’esprit ces éléments, et quelques autres, avant d’entrer dans CosmoZ. Claro les utilise en effet comme une trame sur laquelle il tisse un tout autre genre de tapis. Où la féerie renvoie à un monde contemporain des années écoulées entre le livre et le film, et au-delà. Où la fantaisie laisse sa marque jusque dans la typographie, quand Baum, le nom, devient Baum-Baum, le bruit, aussi explosif que les Dupont-Dupond dont le cœur et la voiture font boum dans Tintin au pays de l’or noir
On ne résumera pas CosmoZ, quand bien même on le voudrait. C’est tout bonnement impossible. Les personnages courent à travers le temps et basculent d’Oz en ChaoZ – les titres des deux parties – en même temps que le monde s’affranchit du fantastique pour entrer de plain-pied dans l’ère du réalisme. Ou peut-être est-ce le cinéma qui s’affranchit du noir et blanc pour en arriver à Blanche-Neige et les sept nains, de Walt Disney, concurrencé deux ans plus tard par ce Magicien d’Oz qui se veut plus spectaculaire et où des nains apparus dans CosmoZ jouent leurs propres rôles. A moins que la radioactivité, la meilleure amie de l’homme, change de fonction quand les ouvrières qui peignent au radium les aiguilles des montres se décorent aussi les ongles avec le même produit, et se demandent de quel mal elles souffrent. Avant de manifester sa force à Los Alamoz – oui, avec « z », tout est contaminé.
C’est tout cela à la fois, et beaucoup d’autres choses. Le tourbillon qui a emporté Dorothy correspondait à un appel d’air beaucoup plus puissant, dans lequel Claro s’engouffre comme un seul homme – alors qu’il est multiple, comme chacun sait ou devrait le savoir.
A propos de ce livre, il nous disait avoir eu « le projet d’écrire une histoire chahutée de la première moitié du vingtième siècle, suite logique à un précédent ouvrage publié en 1997, Livre XIX, qui tentait d’embrasser le dix-neuvième siècle dans ses motifs et ses styles. » Vaste programme. Mené à bien avec une énergie dévastatrice, dont quelques personnages font les frais.
Il en va ainsi du Bonhomme en fer blanc et de l’Epouvantail, tous deux présents dans Le magicien d’Oz. Nick Chopper et Oscar Crow, présents dans les tranchées de 14-18, en sont les doubles parfaits, sinon qu’ils ont à subir les effets de bombes dévastatrices. Le premier, devenu la Charpie après qu’il a été ramassé en morceaux, est réparé par un chirurgien aussi génial que fou qui fait de lui un homme-machine. Le second a désormais de la paille dans la tête et dispose d’une mémoire limitée à quelques instants. Il ne se souviendra jamais, par exemple, qu’il a ramassé la montre de Nick sur le champ de bataille.
Tous les deux sont soignés par une infirmière de qualité. Dorothy en personne, en quête d’un hypothétique retour au Kansas, par cet étonnant séjour en Europe. Où l’on rencontre aussi les nains jumeaux Avram et Eizik, auxquels la plume de l’écrivain prête des monologues, ou plutôt des duologues assez embrouillés pour que ni l’un ni l’autre ne sache plus qui parle, et nous pas davantage.
CosmoZ est un cirque digne de Barnum – ôtez le « r » et le « n », il reste Baum. Une succession de numéros vertigineux inscrits dans une vision globale pour le moins déstabilisante. Drôle et tragique. Bref, un chef-d’œuvre.

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