Fidèle à lui-même, Didier
Daeninckx reste, comme il nous le disait il y a quelques années, dans l’écriture
noire : « La manière noire de
dire le monde a gangrené le monde de l’édition et l’a ressourcé avec ses
sujets, avec sa manière de prendre l’Histoire à bras le corps. » Têtes de Maures se situe en terrain favorable : la Corse, à
distance de la France continentale par les méthodes qui y sont utilisées pour
régler les conflits. Seule, dans l’Hexagone, la ville de Marseille compte un
nombre équivalent d’assassinats. Le romancier force un peu le trait :
pendant les trois semaines qu’il évoque, en juin 2012, chaque livraison du
quotidien Corse-Matin livre un
nouveau cadavre…
Melvin Dahmani a reçu, à
Paris, un faire-part de décès dont il se demande pourquoi il lui a été adressé.
Il ne connaît pas cette Lysia Dalersa qu’on enterre à Corto-Bello dans quelques
jours. Comme il a passé un peu de temps en Corse onze ans plus tôt, il cherche
qui était cette femme. Et arrive à lui redonner le nom qu’il lui a connue quand
ils étaient amoureux, Elise : « C’est
elle que j’avais perdue, au bord de la Méditerranée, et que je retrouvais sous
le nom de Lysia Dalersa alors que tout était déjà joué. »
Le temps de voter,
puisque c’est dimanche d’élection, Melvin prend l’avion. Il est intrigué par
l’arrivée du faire-part, il est en outre dans le collimateur de la police
parisienne pour des trajets fréquents à Londres où il se livre à des activités
peu légales. Ce concours de circonstances suffit à le décider. Il ne sait pas
ce qu’il cherche, ni même s’il y a quelque chose à chercher. Il part en
pèlerinage sur les traces d’un passé heureux, il a envie de rendre hommage à
une femme dont il fut le premier amant et qu’il n’a jamais oubliée, pour le
reste, on verra.
On ne tarde pas à voir,
en effet, en particulier quand un coup de feu claque pendant l’enterrement,
blessant légèrement Melvin et tuant un homme à côté de lui. Melvin ne sait pas
qui était visé mais il lui deviendra de plus en plus difficile de faire croire
qu’il se trouvait là par hasard. Sa curiosité pour le passé d’Elise-Lysia, qui
le fait remonter dans le temps après qu’il a trouvé un cahier que la jeune
femme avait caché dans un endroit où lui seul pouvait le trouver, éveille les
soupçons. Il est entré, sans bien s’en rendre compte, dans un jeu de vengeances
où plusieurs grandes familles de l’île sont impliquées et, d’avertissements en
menaces, il doit prendre au sérieux un danger qui se rapproche.
Un prologue avait attiré l’attention sur
l’importance d’événements survenus en 1931, quand un corps expéditionnaire
avait débarqué en Corse pour remettre un peu d’ordre, par la force, sur un
territoire où la loi commune semblait s’appliquer de moins en moins. Et Melvin
passera des heures à lire de vieux journaux dans lesquels il espère trouver un
sens à la succession des faits. Didier Daeninckx superpose les époques, et
c’est ainsi qu’il explique les échos qui courent à travers tout le roman, d’une
génération à une autre, quand le sang appelle le sang. La démonstration est
implacable, on la suit d’un regard horrifié sans arriver à s’en détacher un
seul instant.
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