Sur Adeline Dieudonné et son premier roman La vraie vie, ce blog s'est déjà plusieurs fois étendu. Même si on n'a pas eu le temps ici de fournir le détail des nombreux prix littéraires obtenus par le livre, ni de suivre les traductions à venir, ni de se tenir informé de l'avancée d'un film en préparation. Ce qu'on n'avait pas encore pu vous dire, et pour cause, la nouvelle date d'hier soir, c'est que La vraie vie vient d'obtenir le Grand Prix des lectrices «Elle», une parfaite récompense pour guider les lectures d'été et replacer le titre en piles chez les libraires. Huit mois après la publication, ce coup de pouce n'est pas si tardif qu'il y paraît et devrait avoir son petit effet. D'autant que ce prix est très bien installé dans le paysage, et depuis longtemps: cette année, il s'agit du cinquantième.
Pour fêter l'événement, une grande romancière américaine a été élevée au même niveau, et partage donc le prix avec Adeline Dieudonné: Jesmyn Ward, pour son très beau Chant des revenants, traduit par Charles Recousé.
Quatre livres seulement à ce jour pour la romancière
américaine Jesmyn Ward, et déjà deux National Book Awards, soit l’un des prix
littéraires les plus prestigieux des Etats-Unis : en 2011 pour Bois sauvage, son deuxième roman,
l’année dernière pour Le chant des
revenants, qui vient d’être traduit en français. Des débuts littéraires
assez fracassants pour que l’autrice ne passe pas inaperçue, et la lecture de
son roman le plus récent justifie qu’elle se trouve placée en pleine lumière –
autant qu’elle justifie l’attente de ce qui, très probablement, reste à venir.
Le chant du titre est à trois voix, dont deux dominent. Les
prénoms sont les titres des chapitres entre lesquels les différents narrateurs
alternent : Jojo et Leonie d’abord, le premier nommé ouvrant et fermant le
récit, Richie s’invitant dans le chœur pour trois des quinze chapitres. Qui
sont-ils ?
Jojo est un garçon de treize ans. Fils de Leonie et de
Michael, attaché à son Papy, il impose dès les premières phrases une vision du
monde peu commune à cet âge que l’on dit parfois, et peut-être à tort, encore
innocent ou presque : « J’aime
bien penser que je sais ce que c’est, la mort. J’aime bien penser que c’est un
truc que je peux regarder en face. » Il a une petite sœur, Kayla, et
en effet il joue le rôle de l’homme adulte dans la maison, ce qui explique au
moins en partie sa première réflexion. Il veille sur le sommeil de Kayla et de
Mamie, celle-ci « asséchée et
creusée pareil que le soleil et l’air font aux chênes d’eau » par la
chimio. Jojo a aussi un grand-père blanc, Big Joseph, qu’il a vu deux fois
seulement. Par conséquent, Papy est son grand-père noir et toute la famille est
noire, à l’exception des enfants métissés.
A l’exception, également, de leur père, Michael, et de là
découlent une série de problèmes liés au refus des parents de celui-ci d’une
union avec une femme noire – Leonie. Pour ne rien arranger, Michael est en
prison, à Parchman, que Papy connaît pour y avoir séjourné. Il y avait noué des
liens avec Richie, qui était à l’époque un gamin et subissait le sort habituel
d’un gamin dans une prison pourrie pour adultes. La troisième voix du livre est
chargée de souffrances.
Mais, au fond, elles le sont toutes. Jojo par ce qu’il
pressent d’une existence mal partie et dont la suite n’offre pas des
perspectives très riantes. Leonie par son addiction à la drogue, la mort de son
frère et l’absence de Michael. Qui va néanmoins, il faut bien une bonne
nouvelle, sortir de prison.
C’est l’occasion d’un voyage en voiture pour aller chercher
l’homme bientôt libéré et mettre sur pied l’espoir d’un recommencement.
Le voyage de ces êtres fracassés par le destin, habités par
des fantômes, est au cœur du roman. Il révèle forces et faiblesses dans une
langue au rythme souvent brisé par la douleur et cependant baignée d’une poésie
rude qui saisit par son mélange de violence et de douceur. Le monde est
implacable et pour y faire face ces deux aspects sont indissociables.
Jesmyn Ward est aujourd’hui
une voix majeure de la littérature américaine, capable de jouer sur plusieurs
registres dans un ensemble qui fascine par l’absolue justesse du ton.
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