En 1962, les collections de poche de
littérature générale n’encombraient pas les librairies. Le Livre de poche
dominait le secteur de la tête et des épaules, J’ai lu lui faisait à peine un
peu d’ombre. Cette année-là, pourtant, naissaient 10/18 et Presses Pocket – qui
deviendra Pocket. Les deux collections sont toujours là.
Si on jette un coup d’œil
sur les 25 meilleures ventes de la semaine au format de poche selon Livres hebdo, on trouve Le vieux qui ne voulait pas fêter son
anniversaire, de Jonas Jonasson (3e), Remède mortel, de Harlan Coben (4e), L’équation africaine, de Yasmina Khadra
(10e), L’appel de l’ange,
de Guillaume Musso (14e), Petit
traité de vie intérieure, de Frédéric Lenoir (17e), Les sirènes de Saint-Malo, de Françoise
Bourdin (18e), Vertige, de
Franck Thilliez (19e), L’étrange
voyage de monsieur Daldry, de Marc Levy (20e), Les dieux voyagent toujours incognito,
de Laurent Gounelle, tous publiés par Pocket. Et, chez 10/18, 1Q84, livre 1, ainsi que le Livre 2 du même roman, de Haruki Murakami (13e
et 22e). Soit dix titres sur cette liste pour deux maisons devenues,
sinon sœurs, au moins cousines comme le prouve, en illustration au bas de cette note, le
rapprochement entre deux titres (grand format) publiés simultanément il y a
quelques jours chez l’une et chez l’autre.
Pocket et 10/18 ne
courent cependant aucun risque de se confondre à travers cette opération
commune. Dès les débuts, chaque collection avait une identité particulière, une
sorte d’empreinte génétique qui a certes évolué. Prenons les deux premiers
titres de l’une et de l’autre, dont voici les couvertures.
Côté 10/18, un philosophe français du 17e siècle (il ne s’agit pas
de la couverture originale, mais d’une réédition ultérieure). Côté Presses
Pocket, comme on disait encore à l’époque, la novélisation d’un film américain
par un romancier populaire de même nationalité. Le ton est donné. 10/18 est une
collection pour étudiants et intellectuels, dans laquelle les sciences humaines
occupent une place importante, davantage encore dès 1968 avec l’arrivée de
Christian Bourgois à la barre éditoriale. Pocket s’adresse davantage aux
amateurs de distractions, sans pour autant être une insulte à l’intelligence.
Il semble donc tout naturel de
trouver aujourd’hui, pour en revenir aux meilleures ventes du début, le
Japonais Murakami en 10/18 et, en Pocket, les auteurs français de best-sellers
Guillaume Musso ou Marc Levy. Ils succèdent à Dostoïevski ou Marx et Engels,
présents dans les dix premiers titres de 10/18, aussi logiquement qu’à André
Castelot et Auguste Le Breton, deux auteurs qui avaient inauguré eux aussi le
catalogue de Pocket.
L’image est cependant
loin d’être figée, comme on le voit en feuilletant les brochures que les deux
collections ont éditées à l’occasion de leur demi-siècle d’existence. Elles ont
le même titre : Les 50 titres cultes,
et elles donnent un reflet assez précis de ce que sont aujourd’hui les grandes
tendances de chacune.
10/18 propose d’abord un
de ses axes principaux, la littérature étrangère. On y croise des auteurs
classiques, comme Jane Austen ou Virginia Woolf (deux femmes, deux
Britanniques), des classiques contemporains surtout américains : Richard
Brautigan, Armistead Maupin, Bret Easton Ellis, John Fante, Jim Harrison, Toni
Morrison, Hubert Selby Jr., John Kennedy Toole, etc. D’autres écrivains
viennent d’Inde, d’Europe du Nord, d’Irlande… Ces traductions représentent plus
des deux tiers des titres déclarés « cultes », à côté desquels la
littérature française semble bien pauvre, avec un seul titre de Philippe
Besson. La dernière partie du catalogue propose quelques ouvrages du domaine
policier, devenu un des fers de lance de la collection, avec d’abord quatre
auteurs plongés dans le monde contemporain (avec ses turpitudes) et, pour
finir, la plus belle réussite de la maison, les séries « Grands
détectives ». La plupart sont historiques : Claude Izner nous
entraîne dans le Paris de la fin du 19e siècle, Peter Tremayne dans
le haut Moyen Age, Jean-François Parot dans les années qui précèdent la
Révolution française, pour donner quelques exemples non limitatifs.
Chez Pocket, on a décidé
d’oublier la barrière des langues. La première catégorie de la brochure,
« roman contemporain » fait se côtoyer Marc Dugain et Nicholas Evans,
Joseph Kessel et Douglas Kennedy, Jean Teulé et Stephen King. Le mot
« contemporain » doit être compris dans un sens large, puisque
Georges Bernanos, mort en 1948, entre encore dans cette catégorie, comme Aldous
Huxley, disparu un an après la création de la collection. L’exploration se
poursuit avec des thrillers dont la plupart, signés Dan Brown (Da Vinci Code), Maxime Chattam, Harlan
Coben, John Grisham, Thomas Harris et d’autres, sont d’immenses succès de
librairie. Les romans « féminins », puisqu’il existe une catégorie de
ce genre, le sont tout autant, grâce à Danielle Steel ou Juliette Benzoni. Et
la « S.F.-fantasy » est un secteur qui se porte à merveille, demandez
aux lecteurs de J.R.R. Tolkien ou de Frank Herbert. Pocket, pas allergique aux
documents, réédite des ouvrages de la collection « Terre humaine » ainsi
que le livre capital de Primo Levi sur la Shoah, Si c’est un homme.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire