Les histoires d'agenda sont parfois idiotes. Il y a deux mois environ, j'avais accepté d'animer la rencontre avec Douna Loup qui aura lieu mercredi après-midi à l'Institut français de Madagascar (je constate d'ailleurs que mon nom se trouve toujours sur le site, j'en suis désolé pour celui qui me remplace). Je n'avais pas noté que le prix Rossel était attribué le même jour, rendez-vous qu'il m'est impossible de manquer. Il a donc fallu renoncer, ce qui ne m'a pas empêché de lire son nouveau roman, Les lignes de ta paume - et d'en apprécier l'écriture très travaillée en même temps que la justesse du ton sur lequel est restituée la vie d'une femme.
Avant d'en venir à Linda, 85 ans, l'héroïne de ce livre, un mot de Douna Loup elle-même. Née en Suisse en 1982, elle ne ressemble pas à l'image posée et cossue de son pays d'origine tel qu'on se le figure le plus souvent. Peut-être parce que ses parents, marionnettistes, étaient déjà hors cadre dans une société policée. Toujours est-il qu'à dix-huit ans, elle s'est embarquée pour Madagascar où elle a travaillé six mois comme bénévole dans un orphelinat. Puis qu'elle exercé des métiers très divers à son retour en Suisse, avant de plonger dans l'écriture - je ne parle ici que de la face visible de son travail d'écrivaine, c'est-à-dire des livres publiés, mais on peut penser qu'elle avait déjà produit d'autres textes avant d'exister en librairie (il faudrait peut-être le lui demander pour mieux éclairer son parcours).
En 2010, elle signe, avec Gabriel Nganga Nseka qui lui a raconté son histoire, Mopaya: Récit d'une traversée du Congo à la Suisse. Une traversée qui ne s'est pas faite dans la facilité, en passant par l'Angola. Douna Loup exploite ce qui doit être une de ses grandes qualités: un art de l'écoute qui lui permet de transposer, dans ses propres mots, la vie d'un autre - on retrouvera cette caractéristique dans Les lignes de ta paume. Si elle avait eu moins de talent, elle serait peut-être devenue une tâcheronne (tant pis si le Grand Robert ne prévoit pas de féminin pour ce mot) de la littérature, appliquée à écrire à la place d'autres des livres autobiographiques à usage des proches. Aurait-elle pu l'envisager si une maison d'édition ne l'avait pas accueillie? Encore une question que je ne lui poserai pas...
Toujours est-il que, quelques mois plus tard, elle publie un premier roman, L'embrasure, présenté comme un roman d'initiation dont Michel Abescat, dans Télérama, disait: "Roman d'initiation, roman d'amour hanté par le deuil, L'embrasure ne réussit pas toujours à tenir ensemble les fils qui le composent, à suivre tous les chemins qu'il ouvre. Mais il touche par la justesse de sa voix, cette façon de laisser parler le corps, les gestes, les sensations. A la fois conte intemporel et récit contemporain, ce premier roman est incontestablement celui d'un écrivain."
Appréciation confirmée, donc, lors de la récente rentrée littéraire, grâce à Les lignes de ta paume. Je file tout de suite vers un post-scriptum qui m'attendait, tant sa teneur me semblait s'être précisée au fur et à mesure que je tournais les pages: "Je dois ce texte à la parole de Linda Naeff qui a eu l’envie, la confiance et la générosité de me confier des éclats de sa vie. Dans ces pages rien n’est inventé et tout est inventé… comme chaque vie qui se dit, qui s’écrit, qui peint ses propres ombres à la lumière des années portées sur les lignes. C’est du fil tendu entre mots et mots que ce texte est né doucement d’abord, comme un flot souterrain, puis qu’il a trouvé tout à coup son point de jaillissement."
Comme dans son premier livre, Douna Loup a donc d'abord écouté quelqu'un avant de transformer une vie en livre, sans chercher à raconter tous les événements mais en procédant par scènes successives qui, se heurtant les unes aux autres, font le bruit d'une existence.
La recherche d'images originales donne une couleur singulière au texte: "Ta mère prend son crayon noir et se met du froid sous les yeux." Ou: "Jeanne elle, reste blanche devant cette guerre à venir, cette guerre au nom résonnant, au nom de silence tabou." Ou encore: "Les gouttes roucoulent sur le toit, ta voix chante, ta voix puise dans une réserve infinie de mots, ta voix froisse, froisse, froisse l’air entre mon oreille et le combiné." Et cent autres que j'aurais pu citer. Je me demande si cette manière d'écrire lui est naturelle ou si elle est le résultat d'un long travail...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire