samedi 12 septembre 2015

Le monde du cinéma, c’est aussi du cinéma

Christophe Donner anime ses romans d’incendies symboliques mais majestueux, qui les colorent d’or et de rouge. L’argent parié et souvent perdu sur les champs de courses était au cœur d’A quoi jouent les hommes. C’est encore l’argent qui fait battre Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive, mais dans le milieu du cinéma qui ne manque pas non plus de flambeurs.
La phrase qui donne son titre au livre est attribuée à un de ces personnages hors normes qui ne manquent pas dans le paysage. Orson Welles, membre du jury au Festival de Cannes en mai 1968, se trouve pris entre les deux fronts de l’incendie : d’une part, conduits par Jean-Louis Bory, Jean-Luc Godard, François Truffaut et quelques autres, les partisans d’une annulation du Festival, au nom d’une révolution à laquelle, tout à coup, certains se (re)prennent à croire ; d’autre part, Roman Polanski qui n’aime pas les slogans lui rappelant l’atmosphère de son adolescence polonaise, soutenu par Jean-Pierre Rassam qui a acheté la moitié du jury afin de faire donner la Palme d’or à Milos Forman. Et Orson Welles, sommé par Rassam d’intervenir pour sauver le Festival en même temps que son investissement, de lui répondre par cette phrase énigmatique.
Ce n’est là qu’un bref moment dans un roman qui multiplie les scènes spectaculaires. Et qui, surtout, met en scène des personnages familiers : outre ceux qui ont déjà été cités, Claude Berri, Maurice Pialat, Claude Chabrol, Gérard Lebovici et une bonne partie du cinéma français des années soixante à quatre-vingt.
On assiste à une fantastique équipée vers Prague, lancée par Jean-Pierre Rassam qui emprunte la Mercedes de Truffaut et place Claude Berri au volant pour aller sauver les enfants de Milos Forman, victimes désignées, pense-t-il, veut-il faire croire, de l’invasion de la Tchécoslovaquie.
On assiste à des fêtes démesurées. Non, on n’y assiste pas : on y participe. Car, en prenant le peu connu du grand public Jean-Pierre Rassam, avec ses délires et sa mégalomanie, comme moteur principal de son roman, Christophe Donner lui donne une dimension cinématographique. Et c’est du grand spectacle, à tous les niveaux. Des haines féroces montent les réalisateurs contre les producteurs, les réalisateurs et les producteurs entre eux. L’ambition folle de Rassam le conduit à sa perte. On joue beaucoup d’argent, d’une manière pas si éloignée de celle qui motive les parieurs sur les courses de chevaux. On perd souvent son argent, ce n’est pas une grande surprise.
Mais c’est raconté avec un tel élan qu’il est aisé d’oublier la réalité des personnages, tout ce que nous savions déjà d’eux et à quoi se superpose la vision romanesque qu’en transmet Christophe Donner. Habité par son sujet, par les mouvements désordonnés de sa petite troupe, il a écrit un livre où tout est réussi, même le générique de fin.

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