dimanche 6 septembre 2015

Haruki Murakami sur une musique de Franz Liszt

Les patronymes nous parlent dans le roman, qui vient d'être réédité en poche, du romancier japonais Haruki Murakami. Dès le titre, L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage, puis dans la vie du personnage principal, la place des couleurs dans le nom est une clef du récit. Tsukuru, au lycée, appartient à une petite bande d’amis unis par une complicité rare, si forte que les histoires sentimentales entre les trois garçons et les deux filles du groupe sont évitées pour ne pas mettre en péril la qualité de leur relation collective. Mais il possède une particularité qui le différencie des autres : « Les deux garçons s’appelaient Akamatsu – Pin rouge –, Ômi – Mer bleue –, et les deux filles, respectivement Shirane – Racine blanche – et Kurono – Champ noir. Mais le nom “Tazaki” n’avait strictement aucun rapport avec une couleur. D’emblée, Tsukuru avait éprouvé à cet égard une curieuse sensation de mise à l’index. »
Le malaise diffus devient désir de suicide quand Tsukuru est rejeté par ses quatre amis, sans l’ombre d’un début d’explication. C’est sur ce basculement que s’ouvre le roman. Tsukuru a vingt ans, il étudie à Tokyo la construction des gares, bâtiments qui le fascinent depuis toujours. Il revient aussi souvent que possible à Nagoya où sont restés les autres membres du groupe et les revoit, jusqu’au moment où il se heurte à des portes fermées. Son incompréhension est telle qu’il renonce à chercher le sens de cette exclusion et s’enfonce dans un genre de dépression, sans aller jusqu’à la mort envisagée comme la seule issue logique à la fin de leur belle histoire commune.
Seize ans plus tard, engagé avec Sara dans une relation sentimentale à l’avenir encore incertain, Tsukuru est invité par elle à revenir sur l’origine d’une blessure qu’il croit refermée. Elle semble y voir une énigme que Tsukuru a besoin de résoudre pour se détacher de ses lointaines conséquences, et un nœud qui l’empêche d’être complètement avec elle-même. Sara, qui est organisatrice de voyages, retrouve les traces des anciens amis de Tsukaru, pour trois d’entre eux. Car Blanche est morte, apprend-elle.
Il reste à rencontrer les survivants et à les faire parler. Un pèlerinage vers le passé, et même un véritable voyage jusqu’en Finlande, où Noire est installée avec son mari. C’est là que le voile finira par se lever complètement sur le mystère, au terme d’un long dialogue émaillé d’autres révélations.
Le récit se déroule avec lenteur et fluidité, épousant en quelque sorte les Années de pèlerinage de Franz Liszt auxquelles il est fait souvent allusion dans le roman. En particulier une pièce de la première partie, « Le mal du pays », qui utilise les tempos suivants : Lento, Adagio dolente, Lento, Andantino,  Adagio dolente, Più lento. C’est aussi le rythme auquel on le lit : confortable, malgré toutes les questions que s’y pose Tsukuru sur son identité et sa place par rapport aux autres.

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