samedi 19 septembre 2015

Les livres, le rendez-vous des grands hommes

Comment rencontrer des personnalités marquantes? Sortir en ville? Ouais... Fréquenter les cimetières? Il y en a davantage, mais le conversation est brève...
Il reste les livres, plus sûr moyen d'entretenir des relations solides avec celles et ceux que vous auriez toujours voulu connaître. Morts ou vivants. Ils vont parfois par couples, comme
Boris Johnson, abandonnant provisoirement son meilleur (provisoirement aussi, peut-être) rôle, maire de Londres, pour écrire un copieux Winston, vous vous souvenez, l'homme du sang, de la sueur et des larmes. Ils vont parfois en foules, comme Jean d'Ormesson qui convoque non seulement Dieu mais aussi toute son époque dans Dieu, les affaires et nous. Le sous-titre, Chronique d'un demi-siècle, ment: les articles repris dans le volume courent de 1981, élection de qui-vous-savez, à 2015, attentat à Charlie. C'est déjà pas mal.
Les deux livres n'ont en principe rien à voir l'un avec l'autre. Il me plaît cependant, ce matin, d'y fouiner dans le même élan.
Boris Johnson nous apprend, sur Churchill, des choses que nous ignorions. Que j'ignorais, en tout cas - peut-être pas vous.
Churchill est un des grands innovateurs langagiers des temps modernes. Lorsque des dirigeants mondiaux se réunissent à cause d’une crise, on dit qu’ils ont un summit («sommet»), au cours duquel ils peuvent discuter du Middle East («Moyen‑Orient»), ou du risque que la Russie crée un nouveau iron curtain («rideau de fer»). Les trois termes cités ici ont été inventés ou mis à l’honneur par Churchill.
Ou bien quand, en août 1918 - mais dans un commentaire écrit plus tard -, Churchill éprouve de la pitié pour cinq mille prisonniers allemands devant lesquels il passe.
Le spectacle de tant de soldats ennemis prisonniers aurait dû le remplir du cruel plaisir de savoir que les Boches étaient enfin en position de faiblesse. Au lieu de quoi, il fut touché par leur malheur. Car il venait de comprendre que ses espoirs étaient fondés: l’Allemagne était bien en train de perdre la guerre; elle l’avait déjà perdue.
Des grands hommes de cette taille, il y en a peu. Il n'y en a plus, avance même Boris Johnson:
Combien de noms vous viennent‑ ils à l’esprit de personnes ayant joué un rôle déterminant pour le meilleur, ayant personnellement fait pencher la balance du côté de la liberté et de l’espoir? Peu, je parie, parce que, au moment où l’histoire l’exigeait, en 1940, un seul homme possédait le facteur Churchill. J’ai passé un certain temps à réfléchir à la question et j’affirme que je suis du côté de ceux qui estiment que nous n’avons eu personne de la trempe de Churchill, ni avant ni après.
Le "facteur Churchill"... Il faudrait tourner un film sous ce titre!
Quant à Jean d'O, puisque même ceux qui ne le connaissent pas lui donnent ce surnom familier, il renoue le dialogue entre Candide et le docteur Pangloss, il se demande s'il est fait pour la politique mais la politique le passionne autant qu'elle le désole quand elle tombe encore plus bas qu'elle ne l'était l'instant d'avant. Il engage (en 1984) à ne pas voter pour Jean-Marie Le Pen qui monte dans les sondages, pour des raisons qui relèvent du calcul politique:
Un mot particulier doit être dit de M. Le Pen. M. Le Pen a bien entendu le droit de s’exprimer comme tout le monde et il ne peut être que servi par les violences imbéciles qui s’exercent contre lui. Mais précisément parce qu’il monte dans les sondages, il représente plus que personne le péril de la division. Et ce n’est pas seulement à cet égard qu’il constitue un danger. Par l’image qu’il donne, par les méthodes qu’il préconise, par son idéologie, ses références, ses modèles, il est l’allié objectif le plus précieux de la majorité au pouvoir. S’il n’existait pas, elle l’aurait inventé.
Mais les meilleurs moments dans ses chroniques sont ceux où plus aucune position politique n'a d'importance, parce que la gauche, la droite et tout ce qu'il y a entre les deux, voire dans les marges, ont tout à coup moins d'importance qu'un événement comme celui du 7 janvier de cette année:
L’union se fait autour des martyrs libertaires d’un journal défendant des positions qui n’étaient pas toujours les nôtres. Des journalistes sont morts pour la liberté de la presse. Ils nous laissent un exemple et une leçon.
Jean d'Ormesson est parfois, souvent, prévisible. Mais pas toujours, et c'est bien pour cela qu'on lui garde une part de notre affection.

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