mercredi 2 septembre 2015

Les 100 ans du Prix du roman de l'Académie française (2)

Le Prix du roman de l’Académie française, devenu Grand Prix du roman en 1984, a été décerné pour la première fois en juillet 1915. Son centenaire, en octobre 2015, est une belle occasion de faire découvrir, plus sûrement que redécouvrir, deux des premiers lauréats.
Nous vous parlions hier de Paul Acker, le premier, en 1915.
Voici Charles Géniaux qui, deux ans plus tard, avait frappé les esprits avec un ouvrage publié sous forme de feuilleton et qui serait publié en 1918 seulement en volume.

Paul Souday raconte, dans Le Temps du 23 décembre 1917, la cérémonie de remise des prix littéraires et des prix de vertu, car il y avait aussi ceux-ci, à l’Académie française. Le palmarès littéraire « est long et imposant : près de cent cinquante mille francs de prix ! près de cent lauréats ! Car il y a quelques prix de dix et même de quinze mille francs, mais il y en a beaucoup de vingt-cinq, de quinze et même de dix louis. L’Académie est riche, et elle a même de la petite monnaie. »
Il constate que le secrétaire perpétuel, Émile Lamy, passe sous silence le plus grand nombre des œuvres récompensées. Son prédécesseur, Camille Doucet, « n’omettait personne. Mais avait-il tout lu ? On peut en douter et croire qu’il lançait ses adjectifs un peu au hasard. » D’ailleurs, il n’est pas toujours aisé de justifier les choix : « Que dire de ces romans insipides, de ces essais vaguement critiques ou historiques, de tous ces travaux d’amateur, de ces ombres et de ces larves ? Que de papier, de temps et d’argent gaspillés ! Bien entendu, dans cette masse, il y a quelques ouvrages de valeur, mais ils y sont trop souvent noyés. »
Charles Géniaux (1870-1931), qui reçoit le Prix du Roman pour La passion d’Armelle Louanais, mérite pour Paul Souday d’être extrait de la masse. C’est un « écrivain d’un tempérament vigoureux, qui a le sens du paysage pathétique et haut en couleur. »
Émile Lamy n’a pas passé sous silence le Prix du Roman. Il lui trouve des qualités éminemment modernes : « Armelle Louanais est l’épopée du silence. Un bourg de paysans muets, une gentilhommière, une église, une femme et un prêtre, que leur solitude fait plus importants l’un à l’autre : ici l’orage est dans les âmes, il s’y tait, il y étouffera. Si l’on eut dit il y a vingt ans : un écrivain composera un roman où deux personnages, qui n’agissent pas, ne parlent pas davantage, où les battements secrets de deux cœurs sont le seul mouvement de deux vies, où tout consentement, toute surprise d’un attrait humain sont anéantis dans le prêtre par une vertu que la tentation n’approche pas et prévenus dans la femme par un respect plus fort que l’amour, où la mort du prêtre vient avant qu’il ait eu rien à interdire, où la femme sous le deuil dont elle meurt à son tour reste fidèle à la religion de son secret, les maîtres des cénacles littéraires auraient pris en dédain l’indigence d’un tel sujet. Or cette œuvre a trouvé grâce devant notre goût rénové. Loin qu’il s’ennuie à la double austérité de cette morale et de cet art, il leur en a su un double gré. La surabondance des traits empâte notre littérature. Elle oublie un peu qu’il y a un art de ne pas dire et une puissance, la plus grande peut-être, du silence. À ceux qui gardent le culte de nos dons traditionnels, les deux personnages apparaissent semblables à ces statues voilées et dont les corps demeurent visibles et les visages expressifs sous les défenses des plis. Et à ceux qui accusaient notre littérature de chercher sa vie dans les licences malsaines, cette œuvre oppose la décisive réponse de sa chasteté et de son succès. »
Curieusement, le roman de Charles Géniaux est, à la date où se tient la cérémonie, introuvable en librairie. Il l’était tout autant lorsque le Prix du Roman 1917 a été annoncé, lors de la séance du 21 juin. Il n’est en effet, à ce moment, paru qu’en feuilleton dans la Revue des Deux Mondes, ce qui n’empêche pas Le Gaulois, dans un écho anonyme, de saluer un choix « qui sera contresigné par tous les lettrés. Il récompense une œuvre délicate et puissante dans sa hautaine sévérité. Armelle Louanais est l’histoire d’une sorte de Lamennais de campagne, présentée avec une psychologie des plus pénétrantes que M. Géniaux excelle à peindre. »
Le livre sort – enfin – en mars 1918 chez l’éditeur Ernest Flammarion, qui a déjà accueilli une demi-douzaine d’ouvrages écrits par Charles Géniaux sur la vingtaine qu’il a alors publié. Il lui en reste à peu près le même nombre à donner, dont certains en collaboration avec son épouse, Claire Géniaux.
Abel Hermant consacre au roman une bonne partie de chronique dans Le Figaro. Un éloge, avec une réserve, dans l’extrait que nous citons :
« M. Charles Géniaux est un bon peintre de portraits. Ses crayons de M. Louanais le père, de l’amusant chanoine de Saint-Jacut, des provinciales de second plan, et, à la fin, des deux servantes pleureuses, sont bien venus. Il écrit comme il sied d’écrire quand on raconte une histoire de ce temps-là, où les gens bien élevés de France s’exprimaient encore en français ; et tout serait pour le mieux s’il n’usait de l’horrible épithète “sensationnel”, qu’il faut laisser aux entrepreneurs de publicité pour cinémas. Au demeurant, il est correct, et cette correction semble bien agréablement surannée. »

Dans la même collection :
Charles Géniaux. La passion d’Armelle Louanais
Washington Irving. Kidd le pirate
Sainte-Beuve. De la littérature industrielle, suivi de Honoré de Balzac et la propriété intellectuelle
Manuel du plus que parfait arriviste littéraire
Henri de Régnier. Histoires incertaines
Maurice Spronck. L’an 330 de la république

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