Dans les rochers de Lyme Regis, au début du 19e siècle, Mary Anning chasse les fossiles. Cette gamine de la classe ouvrière possède un don particulier pour les découvrir. Elle le doit, dit-on, à la foudre qui l’a frappée et à laquelle elle a survécu, au contraire de la femme et des deux filles qui étaient avec elle. «Je ressens un écho de la foudre chaque fois que je trouve un fossile, une petite secousse qui dit: «Oui, Mary Anning, tu es différente de toutes les pierres de la plage.» C’est pour ça que je suis une chasseuse: pour sentir cet éclair, et cette différence, chaque jour.»
Mary Anning ne connaît rien aux fossiles. Son père, ébéniste, qui fouille autant par plaisir que pour vendre ses trouvailles, n’avait pas les moyens de lui en apprendre beaucoup plus. Ils les appellent des «curios» et se contentent d’améliorer une vie très précaire avec les quelques pièces que leur rapporte la vente auprès des touristes. La famille est grande, pauvre, comment Mary imaginerait-elle un monde où des animaux, créatures de Dieu, auraient disparu? Cela supposerait que l’œuvre de Dieu était imparfaite…
Elizabeth Philpot, une bourgeoise londonienne arrivée à Lyme Regis pour y vivre avec deux sœurs, va s’intéresser la première à Mary. Elle partage avec elle la passion des fossiles. Elle ne craint pas de salir et d’abîmer ses gants pour en dénicher – ce qui, pour une jeune femme convenable, bien que trop peu fortunée et déjà trop âgée pour envisager le mariage, paraît une faute presque aussi grave que de se trouver seule en compagnie d’un homme. Elizabeth est une passionnée. Moins douée que Mary, elle bénéficie de l’éducation d’une bonne famille et lit des publications scientifiques. Elle se pose même, avec angoisse, des questions sur la perfection de la création divine.
A l’époque, une femme est quantité négligeable. On ne lui demande pas son avis. Lui accorder le droit de penser paraît incongru. Et envisager qu’une femme soit à l’origine d’une découverte susceptible de modifier notre perception du monde, n’en parlons même pas.
Voici donc les hommes qui déboulent en terrain conquis, amateurs ou savants, bardés de leurs certitudes et agités d’une manière pas toujours exclusivement scientifique. Ils ne sont pas des chasseurs de fossiles: ils les collectionnent, c’est-à-dire qu’ils les achètent et les revendent en s’attribuant la paternité de la découverte. Ils publient des articles, ce qui est impossible pour une femme. Ils se rengorgent et se placent dans la course aux honneurs.
Et voici les femmes devant les hommes, Mary et Elizabeth, manquant de force pour sortir de leur rôle, tombant, mais, oui, amoureuses, se jalousant. On se croirait parfois dans un roman de Jane Austen, et ce n’est pas un hasard: l’écrivaine est passée par Lyme Regis dans ces années-là, elle y a situé en partie Persuasion et Tracy Chevalier lui rend ici un hommage discret.
Une fois encore, la romancière s’attache à des êtres de chair et de sang dotés d’une fine sensibilité. Celle qui nous séduit depuis La jeune fille à la perle porte haut l’art de placer, dans une période donnée, des personnages authentiques sur le fil de son imagination. La plupart des événements qu’elle raconte dans Prodigieuses créatures se sont produits. Elle les restitue d’ailleurs, en fin de volume, dans leur version authentique en précisant les libertés qu’elle a prises dans son livre. Mary Anning, dont la vie a fait l’objet de plusieurs biographies, ne pouvait prévoir qu’un roman la rendrait un jour si proche de nous.
Mary Anning ne connaît rien aux fossiles. Son père, ébéniste, qui fouille autant par plaisir que pour vendre ses trouvailles, n’avait pas les moyens de lui en apprendre beaucoup plus. Ils les appellent des «curios» et se contentent d’améliorer une vie très précaire avec les quelques pièces que leur rapporte la vente auprès des touristes. La famille est grande, pauvre, comment Mary imaginerait-elle un monde où des animaux, créatures de Dieu, auraient disparu? Cela supposerait que l’œuvre de Dieu était imparfaite…
Elizabeth Philpot, une bourgeoise londonienne arrivée à Lyme Regis pour y vivre avec deux sœurs, va s’intéresser la première à Mary. Elle partage avec elle la passion des fossiles. Elle ne craint pas de salir et d’abîmer ses gants pour en dénicher – ce qui, pour une jeune femme convenable, bien que trop peu fortunée et déjà trop âgée pour envisager le mariage, paraît une faute presque aussi grave que de se trouver seule en compagnie d’un homme. Elizabeth est une passionnée. Moins douée que Mary, elle bénéficie de l’éducation d’une bonne famille et lit des publications scientifiques. Elle se pose même, avec angoisse, des questions sur la perfection de la création divine.
A l’époque, une femme est quantité négligeable. On ne lui demande pas son avis. Lui accorder le droit de penser paraît incongru. Et envisager qu’une femme soit à l’origine d’une découverte susceptible de modifier notre perception du monde, n’en parlons même pas.
Voici donc les hommes qui déboulent en terrain conquis, amateurs ou savants, bardés de leurs certitudes et agités d’une manière pas toujours exclusivement scientifique. Ils ne sont pas des chasseurs de fossiles: ils les collectionnent, c’est-à-dire qu’ils les achètent et les revendent en s’attribuant la paternité de la découverte. Ils publient des articles, ce qui est impossible pour une femme. Ils se rengorgent et se placent dans la course aux honneurs.
Et voici les femmes devant les hommes, Mary et Elizabeth, manquant de force pour sortir de leur rôle, tombant, mais, oui, amoureuses, se jalousant. On se croirait parfois dans un roman de Jane Austen, et ce n’est pas un hasard: l’écrivaine est passée par Lyme Regis dans ces années-là, elle y a situé en partie Persuasion et Tracy Chevalier lui rend ici un hommage discret.
Une fois encore, la romancière s’attache à des êtres de chair et de sang dotés d’une fine sensibilité. Celle qui nous séduit depuis La jeune fille à la perle porte haut l’art de placer, dans une période donnée, des personnages authentiques sur le fil de son imagination. La plupart des événements qu’elle raconte dans Prodigieuses créatures se sont produits. Elle les restitue d’ailleurs, en fin de volume, dans leur version authentique en précisant les libertés qu’elle a prises dans son livre. Mary Anning, dont la vie a fait l’objet de plusieurs biographies, ne pouvait prévoir qu’un roman la rendrait un jour si proche de nous.
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