samedi 7 septembre 2013

Objets inanimés, avez-vous une âme ?

François Bon remonte le temps avec son Autobiographie des objets. Sans nostalgie mais avec mélancolie, dans un équilibre subtil entre une langue tenue et un certain relâchement. La bonne manière pour retrouver le sens qu’avaient, il n’y a pas si longtemps, des choses que nous n’utilisons plus mais dont nous conservons le souvenir.
Le temps des objets est derrière nous, à présent qu’ils se remplacent de plus en plus vite sans qu’on se demande ce que deviennent les choses abandonnées, remplacées, obsolètes. Tandis qu’ils nous accompagnaient autrefois bien plus longtemps, au-delà même de leur usage, restant dans un coin, dans un carton, sur une étagère… François Bon parle de ce temps-là, situé dans son évolution personnelle avant celui de l’écriture. D’une mémoire des formes, des couleurs et des textures liée à des souvenirs précis – ou flous, c’est selon – et sans à aucun moment se dire que c’était mieux avant. « On n’a pas de nostalgie – l’idée d’une mélancolie est plus riche, plus subversive même, à la fois quant au présent et au passé. »
Autobiographie des objets déborde largement des limites de son titre, et au moins autant de la mémoire de son auteur. Toute une génération, née dans les années cinquante, et peut-être au-delà, s’y reconnaîtra. Peut-être davantage les garçons que les filles, comme le faisait remarquer une lectrice de l’ouvrage, car en effet les centres d’intérêt étaient plus dissociés alors qu’aujourd’hui. Et, si l’écrivain refuse le mot de nostalgie, il n’est pas interdit au lecteur d’en éprouver un peu…
Les objets ne doivent pas tous avoir servi à quelque chose. Une tige et une rondelle d’acier forgé, sur le bureau, sont surtout le résultat concret d’un savoir-faire, celui du grand-père qui les avait rangées dans un tiroir. Il en émane l’idée d’une perfection dans le travail et le souvenir de celui qui l’a accompli : « Sur ma table, c’est sa présence, mieux qu’une photo ou quoi que ce soit d’autre. En dix heures, il a fallu percer la rondelle, puis creuser les cinq pans au bon angle, et soigner la perpendiculaire au plan. Puis araser sur la tige les mêmes six pans, la lime travaillant alors de l’extérieur et non plus de l’intérieur, puis commencer la longue approche de l’ajustement. »
Plus de soixante chapitres explorent ainsi un passé qui souvent rejoint le présent par effet de rémanence : « J’appartiens à un monde disparu – et je vis et me conduis au-delà de cette appartenance. C’est probablement le cas pour tout un chacun. La question, c’est l’importance et la rémanence matérielle d’un tel objet, parfaitement incongru, parfaitement inutile, dans le parcours personnel. » C’est construit sans organisation apparente, sinon qu’une idée en entraîne parfois une autre. Sinon aussi que François Bon sait très précisément jusqu’où il veut aller. Il l’écrit plusieurs fois : « l’armoire aux livres, dont je sais depuis longtemps qu’elle sera l’aboutissement de ce texte. » Parce qu’il s’agit, au fond, de retracer par fragments, avec le support des objets, le chemin vers l’écriture. Celle-ci est devenue le moyen et le moteur de la connaissance du monde, des autres… Et c’est par l’écriture, dans un équilibre subtil entre une langue tenue et un certain relâchement, que s’établit le pont sur lequel François Bon invite à avancer pour nous approcher de lui et surtout de sa démarche.

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