lundi 27 janvier 2014

Le pouvoir et l’amour, passions contradictoires de Catherine II

La Grande Catherine a fait l’objet de nombreuses biographies, signées par exemple Henri Troyat ou Hélène Carrère d’Encausse. Le personnage est assez curieux pour nourrir aussi des fictions. En voici une d’Andreï Makine, Une femme aimée, où les aspects historiques – sa vie de 1729 à 1796 – sont revus à la lumière de notre temps. Ou plus précisément des deux époques auxquelles Oleg Erdmann, héros imaginaire, travaille à des films sur Catherine II.
La première fois, il a tout lu et tenté de transposer avec honnêteté la vie de cette femme, en contournant le joug de la censure qui régnait en URSS. Le tournage se fait au début des années 1980 et coïncide avec la mort de Leonid Brejnev. La seconde, il cède à l’amicale pression de Jourbine, devenu riche dans la Russie des oligarques, et accepte de diriger un feuilleton dont l’appétit sexuel de Catherine est le principal ressort.
Oleg est fasciné par Catherine, comme il le sera par les deux actrices qui jouent son rôle à des âges différents dans le premier film. Il cherche à lui rendre justice, râle quand la légende masque la vérité. Il est plus que fasciné, en réalité : obsédé. Amoureux, peut-être.
Les faits historiques sont là. Mais ils passent au second plan derrière la fièvre qui anime Oleg. Car l’Histoire n’est, au fond, qu’« une farce sanglante aux infinis rebondissements ». Tandis que trouver, dans les moments les moins connus de son existence, la vérité d’une femme, voilà une entreprise d’une tout autre envergure. Eva, la deuxième interprète de Catherine, partage le point de vue d’Oleg et l’exprime plus clairement que lui en détaillant tout ce qui la frappe chez une femme aux facettes contradictoires : une féministe, une autocrate, son écurie d’amants…
Catherine le Grand, comme l’appelait le prince de Ligne, un de ses nombreux grands contemporains (avec Diderot, Voltaire, etc.), souffrait, imagine volontiers Oleg, de n’avoir pas été aimée. Paradoxe d’une femme aux amants multiples : ceux-ci, en entrant dans son lit, ou plutôt dans l’alcôve contiguë à la pièce où elle recevait officiellement, prenaient aussitôt le goût du pouvoir ou des richesses. D’autant qu’elle distribuait généreusement l’un comme les autres.
Ils étaient tous pareils. Sauf un : Lanskoï, mort après quatre ans d’un véritable amour qui, pour la seule fois de son existence, aurait pu entraîner Catherine à quitter son pays pour connaître, loin du pouvoir, quelque chose qui aurait ressemblé au bonheur. Du moins Oleg l’imagine-t-il, conforté dans son hypothèse par les recherches d’un historien numismate selon lequel Lanskoï aurait, en faisant pour Catherine l’inventaire de sa collection de monnaies, surtout réuni les pièces venant d’autres pays que la Russie. Les pièces russes auraient trahis les amants dans leur fuite.
Catherine réelle, Catherine rêvée, laquelle choisir ? Makine n’a pas choisi : elles coexistent dans le passé et dans le présent. Cela donne un formidable personnage.

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