vendredi 24 mars 2017

Nathacha Appanah, Prix France Télévisions

On peut regarder la télé et aimer les bons livres. La preuve par le Prix France Télévisions qui couronne cette année Tropique de la violence, de Nathacha Appanah.
C’est peut-être parce que Nathacha Appanah a publié, en même temps que ce roman, un Petit éloge des fantômes qu’on est si sensible au passage des âmes dans son sixième roman, Tropique de la violence. Le monde des vivants est parfois investi par les fantômes qui surgissent deux fois, ou presque : quelqu’un réagit comme si il ou elle avait vu un fantôme. Mais laissons cet aspect annexe, pour en venir à l’essentiel.
Cinq personnages se croisent jusqu’au vertige sur la terre française de Mayotte. Française, mais peu semblable à l’image traditionnelle de la France. Stéphane, venu faire une année de bénévolat dans une ONG, a trouvé des paysages splendides et un décor humain pour le moins contrastés : « Chaque matin, ce paysage magnifique et irréel sur la baie de Mamoudzou suffisait pour me donner de l’énergie, et j’oubliais la lie, j’oubliais la violence, j’oubliais la fange. Mais aujourd’hui, je ne vois qu’un bidonville, je n’entends que la colère, je ne vois que la mer violée par les morts et le sang et je voudrais fouiller cette lie, retourner cette violence peau à l’envers, je voudrais plonger dans la fange pour retrouver Mo. »
Mais Stéphane est surtout spectateur du drame qui se joue entre les autres protagonistes, avec Mo, Moïse, à l’avant-plan : « j’ai quinze ans et, à l’aube, j’ai tué. […] Je suis seul et j’ai tué Bruce, à l’aube, dans les bois. Bruce et son cœur de sauvage et son cerveau de malade et sa langue de serpent, Bruce qui me, qui m’avait… »
Qui m’avait quoi ? C’est l’énigme d’où tout le reste découle, bien que très loin en amont on puisse lire aussi, entre les lignes du roman, des causes plus profondes à cette violence. Une société en si piteux état que n’importe quelle étincelle peut se transformer, à tout moment, en embrasement général.
Tropique de la violence est un livre puissant, qui ne se substitue pas à une analyse sociologique mais qui trouve dans l’invention de quelques vies le chemin vers les racines du mal. Cela nous en donne une perception plus fine, probablement, que dans un exposé scientifique. Et, puisque nous sommes au plus près des personnages dont chacun prend tour à tour la parole, dans une polyphonie finalement révélatrice, nous comprenons mieux comment ils en arrivent là. A ce point de non-retour.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire