Six romans de 1985 à 2013 - mais pas tous chez Gallimard, contrairement à ce que dit Le Point, car le premier, Le cran d'arrêt, était paru chez Denoël - et un prix littéraire de belle dimension au milieu, le Médicis pour Sa femme -, cela n'a pas suffi à rendre Emmanuèle Bernheim vraiment populaire. Dommage, elle aurait bien mérité une meilleure attention. Retour rapide, en espérant attirer quelques curieux vers ses textes, sur trois d'entre eux.
Sa femme (1993)
Sa femme, on ne sait pas qui c'est, et d'autant moins que l'auteur est une femme et la narratrice aussi. Donc, c'est l'autre: la femme de cet amant que Claire, jeune médecin, a rencontré comme on croise un microbe qui s'accroche ensuite - il faut préciser que Claire n'aime rien tant que les mois où règnent la grippe et l'angine, parce qu'elle apprécie les pièces chaudes où elle visite ses malades.
Thomas a annoncé la couleur. Il a une femme et deux enfants, il ne les quittera jamais. Mais c'est fou, les histoires qu'on peut s'inventer, puis raconter à d'autres, dans le but d'avoir la paix, quitte à devoir ensuite gérer ces mensonges de manière bien plus complexe que si on avait dit la vérité. En tout cas, Claire ne pense plus à Thomas qu'en fonction de Sa femme: le parfum qu'elle porte et, en contrepoint, celui dont elle ne peut trouver l'odeur, les cadeaux qu'elle fait à son mari, les petites attentions de chaque jour et les grandes des occasions particulières...
On a rarement, il est vrai, exprimé ainsi, avec autant de justesse et de précision basée sur des détails importants, ce sentiment curieux qui n'est pas tout à fait de la jalousie mais qui n'en est pas non plus très éloigné: la difficulté à partager un homme avec une autre, fût-elle présente seulement dans les déclarations de l'amant.
Vendredi soir (1997)
Brève rencontre... A la veille de quitter son appartement pour s'installer chez son ami, une jeune femme parisienne se rend à une soirée chez des connaissances. C'est jour de grève dans les transports en commun et la ville est embouteillée. Un inconnu demande à monter dans la voiture, elle lui ouvre la portière et commence alors l'aventure du désir, dans une montée sensuelle dont Emmanuèle Bernheim fait, pour son quatrième roman, l'unique trame du récit.
Une trame cependant bien suffisante car elle happe le lecteur dans une nasse dont il ne sortira plus, sinon à la fin, et pour quel épilogue? Laure et Frédéric, en tout cas, auront suspendu le temps, auront créé une trêve inattendue dans l'écoulement régulier des événements. Leur bulle, si provisoire soit-elle, aura été bien agréable à partager.
Stallone (2002)
L'existence de Lise, secrétaire médicale qui a abandonné ses études, tourne au ralenti. Elle découvre Stallone au cinéma et, comme lui, décide de rebondir. Ce petit livre est tout simple. Il met à nu et à vif une femme peu sûre d'elle-même, dont la projection sur les personnages incarnés par Stallone constitue la part la plus intime. C'est fascinant. Emmanuèle Bernheim va loin dans la connaissance de son personnage. Lise n'est pas une midinette amoureuse d'un acteur. Elle cherche plutôt, dans le reflet de l'autre, une force qu'elle ne se connaissait pas. Et le sentiment de la dette contractée l'habite de très étrange manière. Sous la forme d'une autre fidélité que personne ne peut comprendre, à moins d'en rire comme d'une bonne blague.
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