Karel Schoeman n'avait pas assez de lecteurs en France, ai-je lu quelque part cette semaine, au détour d'un entrefilet qui annonçait sa mort. C'est vrai: ses livres auraient mérité un accueil plus chaleureux. Peut-être son statut d'auteur sud-africain confronté à la question de l'apartheid, très présente dans ce qu'il a écrit, a-t-il fait de lui un simple représentant, parmi d'autres, d'un problème dont on avait l'impression d'avoir suffisamment entendu parler. Erreur, bien entendu: sa voix personnelle n'est pas assimilable à celles de ses contemporains. Retour sur deux de ses livres (le deuxième est, pour l'instant, épuisé aussi bien en édition originale qu'en poche, publication à laquelle fait référence la brève note que j'avais rédigée).
Retour au pays bien-aimé (2006), traduit de l'afrikaans par Pierre-Marie Finkelstein
Plus ça change, plus c’est la même chose : Karel
Schoeman a écrit Retour au pays bien-aimé en 1972 et, si l’on n’est pas
attentif à cette date, le roman semble décrire un combat d’arrière-garde mené
aujourd’hui par des Afrikaners, les Blancs d’Afrique du Sud résolus à retrouver
leur pouvoir.
George Neethling est de retour au pays natal pour faire
l’inventaire d’un héritage à liquider. Il vit depuis longtemps en Europe et n’a
pas l’intention de se réinstaller en Afrique. Mais il ne trouve que les ruines
d’une ferme, et comprendra un peu plus tard comment le bâtiment a été détruit.
Surtout, il rencontre les fermiers du coin qui lui demandent de les rejoindre
pour mettre la terre en valeur. En quelques conversations, il a pu mesurer leur
peur de l’autre : on ne sort pas sans arme, il est préférable de voyager
groupés la nuit, etc. Comment la peur engendre la haine : le schéma n’a
pas vieilli.
George a l’impression d’être manipulé. Il ne faisait que
passer, et on le retient pour bien lui faire comprendre de quel côté est son
devoir. Le malaise est d’autant plus grand qu’il ne reconnaît rien. L’Afrique
du Sud est devenue un pays étranger, à aucun moment il ne s’y sent chez lui. Et
de moins en moins en comprenant les intentions des fermiers blancs.
Tout en délicatesse mais avec fermeté, Karel Schoeman creuse des fossés infranchissables entre les personnages. Jusqu’à sous-entendre une question : le pays bien-aimé de George, n’est-ce pas celui où il rentre après son voyage ?
Tout en délicatesse mais avec fermeté, Karel Schoeman creuse des fossés infranchissables entre les personnages. Jusqu’à sous-entendre une question : le pays bien-aimé de George, n’est-ce pas celui où il rentre après son voyage ?
La saison des adieux (2008 pour une réédition chez 10/18), traduit de l'afrikaans par Pierre-Marie Finkelstein
Ecrire
en Afrique du Sud, dans un pays quasiment en guerre, à quoi bon ? Adriaan,
poète, s’interroge. Pour ne trouver qu’une réponse : au fond, seuls
restent les mots. Ils traduisent avec précision le sentiment d’étrangeté qui
s’est emparé de l’écrivain. Et rendent compte de violences si fréquentes que
les gens semblent ne plus les voir. Entre le délire destructeur de l’apartheid
et l’aspiration personnelle à la paix, la déchirure est profonde. Elle fournit
cette voix belle et brisée.
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